Lynda Khelil, responsable de la mobilisation à la Ligue des droits et libertés et membre du regroupement Des Universitaires
Nicolas Chevalier, membre de Justice climatique Montréal
Elizabeth Pruszynski, membre de SOS Territoire
DES UNIVERSITAIRES (6 de 15) – Les luttes contre le réchauffement climatique et pour le respect des droits humains et du droit à l’autodétermination des Peuples autochtones sont interdépendantes. Nous appelons à décloisonner ces luttes et à agir collectivement, en tant qu’allochtones, pour mettre fin aux violations des droits des Premiers Peuples.
L’ordre économique, social et politique actuel se nourrit et crée de nombreuses violations de droits humains, tant ici qu’à l’étranger. Génératrice de conflits sociaux et de misère, la crise climatique ne pourra qu’exacerber cette situation déjà dramatique.
Conscients de cet enjeu, les membres du Front commun pour la transition énergétique postulent donc sans réserve, dans leur Feuille de route pour la transition du Québec vers la carboneutralité, que tout plan de lutte aux changements climatiques doit viser une société équitable, fondée sur le respect des droits de toutes et tous.
Pour une transition porteuse de justice sociale
Le respect des droits humains, tel une boussole, nous indique la direction à suivre pour lutter contre les changements climatiques.
Les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels sont fondamentaux, indissociables, interdépendants et non hiérarchisables; la violation d’un droit pouvant compromettre d’autres droits (par exemple, un manque d’accès à un logement salubre compromet le droit au logement et nuit indirectement au droit à la santé).
Une analyse basée sur les droits humains permet d’exposer les impacts dévastateurs des bouleversements climatiques et de mieux comprendre leurs conséquences sur les conditions de vie des populations. Le réchauffement climatique a déjà des impacts majeurs sur les droits à la vie, à l’eau, à l’alimentation, à la santé, au logement, à la sécurité, à la dignité et à un environnement sain partout dans le monde.
Des populations affectées
Les effets des changements climatiques ne sont pas de même nature ni de même ampleur pour tout le monde. Il est important d’en tenir compte dans l’élaboration des mesures de transition vers la carboneutralité. Ils menacent au premier plan les droits des populations déjà vulnérabilisées, car défavorisées et marginalisées par notre société, comme les personnes autochtones, les femmes, les personnes âgées, les jeunes et les enfants, les personnes en situation de handicap, les personnes racialisées, les personnes migrantes et réfugiées et les communautés nordiques, côtières et insulaires. Cette liste est non exhaustive et les caractéristiques sont cumulatives. Soulignons que les Premiers Peuples sont particulièrement affectés, puisque leur identité, leur autosuffisance traditionnelle et leur bien-être sont intimement liés à leurs territoires ancestraux.
Ensuite, l’exigence du respect des droits humains aidera à choisir les mesures de transition énergétique en favorisant la participation des populations aux prises de décisions. Prenons pour exemple la substitution des combustibles fossiles par des sources d’énergie qui émettent moins de gaz à effet de serre (GES) mais nécessitent l’extraction de métaux, comme le graphite, le cobalt ou le lithium pour la fabrication des batteries servant, entre autres, à l’électrification des transports. Or, l’industrie extractive est responsable de multiples cas de violations de droits humains et de dégradation de l’environnement à travers le monde. Nous parlons, entre autres, de destruction de milieux de vie, de conditions de travail dangereuses pour les travailleurs et travailleuses et même d’exploitation de jeunes enfants (voir le rapport de 2016 d’Amnistie Internationale et de l’Observatoire africain des ressources naturelles).
Rappelons à nos gouvernements qu’ils ont adopté en droit interne la Charte québécoise des droits et libertés de la personne et la Charte canadienne des droits et libertés, et qu’ils se sont engagés à respecter plusieurs textes fondamentaux en droit international.
Finalement, les gouvernements et entreprises ont de nombreuses obligations, notamment quant à la réduction des émissions de GES. La perspective des droits humains met en lumière ces obligations et appuie la mobilisation des mouvements sociaux.
Solidarité, contributions et droits ancestraux des Premiers Peuples
Les Premiers Peuples ont la responsabilité traditionnelle de protéger les terres et les eaux des territoires auxquels ils appartiennent depuis des temps immémoriaux. Malgré les génocides, les déplacements et sédentarisation forcés, et les tentatives d’assimilation et d’effacement par les institutions coloniales, il y a résurgence des mouvements autochtones pour le retour des terres sous leurs gouvernances afin d’arrêter le saccage, de protéger les territoires, de lutter contre les changements climatiques et d’établir des communautés écologiques.
La colonisation et ses conséquences, bouleversements climatiques inclus, ont eu, ont et auront des effets disproportionnés sur les peuples persécutés. Les Premiers Peuples disent appartenir à leurs territoires; lorsque le territoire est détruit ou qu’ils doivent le quitter, cela crée un désastre économique, social et spirituel.
L’expertise et le leadership des Premiers Peuples sont précieux pour la résurgence de la biodiversité, la lutte commune contre le racisme climatique et pour l’amélioration des écosystèmes dans une perspective de justice sociale et environnementale. Nous avons une plus grande portée en unissant nos forces pour un monde qui ne soit plus colonial, mais réellement inclusif et contre l’acharnement des multinationales.
Ces constats appellent à des actions concrètes et urgentes pour garantir le respect des droits des Premiers Peuples : au consentement préalable, libre et éclairé, au droit de dire non au développement de tout projet, à l’autodétermination des Premiers Peuples en fonction de leurs besoins et aspirations, et à maintenir et renforcer leurs propres institutions, cultures et traditions.
Des pans entiers de la réalité coloniale du Canada et des torts incommensurables causés quotidiennement aux Premiers Peuples sont encore largement méconnus. Encore plus d’enfants sont retirés de leur culture aujourd’hui qu’au temps des pensionnats et l’incarcération est, elle aussi, systémique et les exile de leur culture. En tant qu’allochtones, il est crucial de connaître les outrages, spoliations et génocides perpétrés par nos gouvernements, de dénoncer les préjugés, d’exiger le respect des droits des Premiers Peuples et de concrétiser des réparations. Nos populations coloniales aux modes de vie ravageurs occupent les territoires qui n’ont jamais été cédés. Cette lutte est une occasion de construire des relations de solidarité active avec les Premiers Peuples.
En faire plus que les pays du Sud
L’urgence climatique exige une mobilisation d’une ampleur sans précédent. Tous les pays doivent s’engager contre le réchauffement climatique. Cependant, l’étendue de l’engagement requis de chacun n’est pas identique. En vertu du principe de la responsabilité commune mais différenciée, reconnu en droit international de l’environnement, les pays riches ont une responsabilité à l’égard des pays du Sud qui seront plus durement affectés par les dérèglements climatiques et dont les conditions de vie précaires découlent en grande partie des modes de production et de consommation du Nord. En raison de leur responsabilité historique, les pays du Nord, incluant le Canada, doivent en faire plus que les pays du Sud pour soutenir les peuples et les pays qui subissent les effets des changements climatiques dans leur transition empreinte de justice sociale.
Prenons en main notre responsabilité collective et mettons les droits humains au cœur de notre lutte contre les changements climatiques!
Questions ou commentaires? (mailto:info@desuniversitaires.org)
Ce texte fait partie d’une série de 15 articles qui visent à faire connaître au grand public les différents chapitres de la Feuille de route Québec ZéN, élaborée par les membres du Front commun pour la transition énergétique et leurs allié·e·s. Créé en 2015, Le Front commun pour la transition énergétique regroupe 90 organismes environnementaux, citoyens, syndicaux, communautaires et étudiants représentant collectivement 1,8 million de personnes au Québec. Bonne lecture!
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal