Claude Vaillancourt est écrivain, auteur de Frères insoumis, éditions Druide, 2021.
Il y a cent ans, a eu lieu l’une des plus importantes rébellions de l’histoire des États-Unis. En Virginie-Occidentale, dans les comtés de Mingo et de Logan, pendant près d’une semaine, 10 000 mineurs en colère ont affronté une armée privée de 3000 hommes au service des patrons de grandes compagnies minières.
Cette explosion de violence a été l’aboutissement d’un long conflit. Mal payés, travaillant dans des conditions difficiles, risquant leur vie et harcelés par une police privée entretenue par les patrons, les mineurs ont entamé une grève qui s’est étendue sur plusieurs mois. Pour neutraliser la grève, les patrons ont fait venir des scabs en grande quantité et ont chassé les grévistes de leurs maisons (appartenant aux compagnies minières).
On peut imaginer le climat de tension perpétuelle que cette grève suscitait. Les mineurs victimes d’éviction se sont assemblés dans des camps, dont le principal était celui de Lick Creek. Les conditions de vie y étaient tellement misérables qu’elles ont scandalisé nombre de compatriotes, après les reportages publiés dans des journaux prestigieux comme The New York Times, The Nation et The New York World.
Il faut dire que les enjeux étaient considérables. Un grand syndicat, l’United Mine Workers of America (UMWA), avait réussi à rassembler les mineurs partout au pays et à bien les représenter. Sauf en Virginie occidentale. Mais ce petit État avait tellement de charbon sous terre qu’il pouvait fournir à lui seul l’ensemble du pays. Ce qui annihilait tous les efforts de l’UMWA. Syndiquer les mineurs en Virginie occidentale signifiait améliorer les conditions de travail de leurs semblables dans tous les États-Unis. D’où l’obstination des propriétaires de mines à ne rien céder.
Une longue escalade
La bataille du mont Blair a causé une trentaine de morts du côté de la milice privée, et près d’une centaine du côté des mineurs — ce qui demeure cependant objet de discussion chez les historiens. La milice profitait d’un bien meilleur équipement et d’une position favorable au sommet de la montagne, alors que les mineurs avaient l’avantage du nombre. L’armée américaine a mis fin aux combats, les mineurs refusant de se battre contre cette institution qu’ils estimaient, ne serait-ce que parce que plusieurs d’entre eux avaient été soldats pendant la Première Guerre mondiale.
Le sort du chef de la police de Matewan, Sid Hatfield, est peut-être ce qui a le plus attisé la colère des mineurs. Celui-ci les avait toujours défendus. Dans un épisode particulièrement sanglant, appelé «massacre de Matewan», il avait empêché les détectives de la compagnie Baldwin-Felt de se lancer dans de nouvelles évictions. Des tirs de partout dans la ville ont fait trois victimes du côté des mineurs et sept du côté des détectives. Les patrons des mines et celui de la Baldwin-Felt, humiliés par Hatfield, ont pris leur vengeance et l’ont assassiné en plein jour, devant témoins, sans que personne ne soit blâmé pour un crime aussi odieux.
Les mineurs se sont alors levés, ont formé leur propre armée et ont pris possession d’un territoire d’environ cinq cents milles carrés où ils demeuraient la seule autorité : ils contrôlaient les transports, les routes, les gares, les mines, les écoles et les lieux publics. Cela ne leur suffisait pas. Il leur fallait passer à l’attaque.
Défaite ou victoire?
La bataille du mont Blair a été une lourde défaite pour les mineurs. Le nombre de membres de l’UMWA a chuté dramatiquement après le conflit. La répression contre les révoltés les a durement frappés. Les tribunaux se sont acharnés contre plus de mille d’entre eux qui se sont retrouvés en prison. Les patrons des compagnies minières triomphaient : non seulement tout reprenait comme auparavant, mais les rebelles subissaient une dure leçon.
Pourtant, à long terme, ce sont les mineurs qui l’ont emporté. Sous la présidence de Franklin D. Roosevelt, la très forte majorité des mineurs au pays, y compris ceux de Virginie-Occidentale, se sont syndiqués et ont pu améliorer leur existence.
La bataille du mont Blair nous rappelle à quel point les avancées sociales se sont faites au prix de longues luttes, au Québec y compris, dont certaines étaient meurtrières. Les avancées syndicales aux États-Unis ont cependant été suivies d’un long recul depuis les années 1980, alors que le taux de syndicalisation n’est plus que 10,9% des travailleurs aujourd’hui. Ce qui correspond aussi à une baisse spectaculaire des conditions de vie de la classe moyenne au pays.
Cette insurrection nous fait réfléchir aux conséquences d’une pareille chute, très imprévisibles (qui aurait cru, il y a quelques années à une victoire de Donald Trump à la présidence des États-Unis?), mais qui pourrait possiblement faire renaître de nouveaux mouvements de colère. Elle rappelle surtout l’imparable nécessité d’offrir à tous les travailleurs du monde des conditions de travail décentes.
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