Chronique de Slobodan Despot aux «Beaux parleurs», en direct du Livre sur les Quais de Morges, 5 septembre 2021
Petit préambule. En tant que manifestation de masse, le «Livre sur les Quais» exigeait cette année la présentation d’un pass sanitaire pour accéder aux espaces intérieur. Refusant de jouer ce jeu-là, j’ai demandé à Jonas Schneiter, notre animateur, de trouver une solution. Laquelle solution a été trouvée: un enclos pour moi seul au milieu de la foire. Mon petit Guantanámo personnel… Un parfait résumé de la vie dans la Nef des Fous. Par temps clément, je veux dire. Ci-dessous la vidéo, plus bas le texte original. (SD)
La bonne et la mauvaise littérature
Nous sommes ici à Morges dans une fête de la littérature. C’est donc naturellement d’affaires littéraires que j’ai envie de parler.
Il y a quelques années, j’ai publié deux romans, chez Gallimard, qui ont récolté quelques prix et un joli succès. J’allais livrer le troisième lorsque le Covid est arrivé. Et alors, soudain, j’ai dû réorienter ma plume. Car c’est toute notre vie qui s’est transformée en roman, plus précisément en dystopie.
Une dystopie, nous dit Wikipedia, «est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’il soit impossible de lui échapper et dont les dirigeants peuvent exercer une autorité totale et sans contraintes de séparation des pouvoirs, sur des citoyens qui ne peuvent plus exercer leur libre arbitre.»
Quand la fiction devient réalité, écrire la réalité est pris pour de la fiction. J’ai donc poursuivi mon œuvre littéraire en m’attachant de semaine en semaine, dans mon Antipresse, à écrire la réalité.
Pour venir ici, j’ai dû obtenir un pass sanitaire. Il faut désormais qu’une bureaucratie nous certifie que les gens en bonne santé sont en bonne santé. Mon médecin lui-même n’a plus son mot à dire. On nous a fermé les écoles sans raison sanitaire, on a confiné les contaminés avec les personnes saines, nous avons accepté de mettre des masques, à garder nos distances, et surtout de négliger notre immunité naturelle. Cela n’a pas tellement plus inquiété le virus par rapport aux endroits où l’on n’a pas pris de telles mesures.
Désormais, nous allons être abonnés au tatouage.
Dans la vie réelle, j’avais un carnet jaune de vaccination avec lequel je pouvais voyager partout parce que j’étais protégé. Dans la fiction, je devrais avoir un tatouage, probablement pour rester chez moi, parce qu’il ne me protège pas. Je vais mettre le doigt dans un engrenage au bout duquel mon corps et ma vie ne m’appartiennent plus.
Si on avait proposé un tel scénario à Philip K. Dick, ou à un autre grand auteur de science-fiction, il l’aurait refusé pour son invraisemblance. L’excès de pathos et l’invraisemblance sont la marque du toc, en littérature.
Il y a quelques jours, l’astrophysicien Jean-Pierre Luminet a renoncé à ouvrir la conférence de la Société astronomique de France et à recevoir un prix qui lui était décerné, parce que l’accès à cette conférence était conditionné par l’«infâme pass sanitaire». En désignant cette chose comme une «monstruosité liberticide», Luminet a refusé la mauvaise littérature.
Si nous avions affaire à la peste bubonique, et la certitude que de telles mesures, et elles seules, sauveraient l’humanité, je comprendrais une telle atteinte aux libertés. En l’état de la situation, je la range au chapitre des dérives psychotiques, et je rejoins Luminet pour appeler les hypnotisés à «se réveiller de leur ahurissante léthargie».
La littérature et les ausweis sont opposés dans leur nature même. Je n’ai pris cette cage, exceptionnellement, que pour pouvoir vous le dire. Mes mots, vous en ferez ce que vous voudrez. Vous êtes libre de penser qu’il s’agit seulement de l’introduction de mon nouveau roman…
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