par Tasio Retortillo Merino.
Je viens de tomber sur une critique de la collapsologie qui recoupe partiellement certaines de mes intuitions.
• reseauinternational.net/un-exemple-probable-de-fausse-opposition-ideologique-le-collaptionisme, sans que j’adhère forcément à l’article dans son ensemble
• france.attac.org/la-collapsologie-une-impasse-reactionnaire?
Voici mes extraits choisis :
« On trouve une occultation qui consiste à ne faire aucune ou quasiment aucune référence au capitalisme, pour parler de façon indifférenciée de « l’économie », ou de la « civilisation industrielle », qui devient « civilisation thermo-industrielle » chez les collapsologues. Ce parti pris renvoie sur le fond à l’absence totale, dans les deux corpus, d’approche de classe. Une partie significative des « objecteurs de croissance » considèrent les salariés des pays industrialisés comme des privilégiés, validant par leurs luttes la poursuite indéfinie de la croissance et du consumérisme, d’où leur refus fréquent de les soutenir.
De la même façon, sont totalement ignorées services publics, la protection sociale. Ce n’est pas étonnant : l’alternative réside en effet dans la valorisation des petites communautés traditionnelles et la revendication du repli. De ce fait, on arrive à des approches qui se maintiennent obstinément à l’écart de ce qui constitue les préoccupations de la majorité des catégories de population qui luttent : salarié.es, chômeur/ses, paysan.nes, mouvements sociaux l’essentiel des transformations jugées nécessaires se situent principalement au niveau des représentations, ce qui dessine une nouvelle forme d’idéalisme. Pablo Servigne et Rafaël Stevens écrivent : « Presque tout se jouera sur le terrain de l’imaginaire et des représentations du monde ».
Mais surtout il s’avère que les travaux présentés consistent avant tout en une compilation, un commentaire de travaux existant déjà dans différentes disciplines. On n’y trouve pas d’étude originale d’un aspect du problème. L’apport revendiqué par Servigne et ses co-auteurs consiste précisément dans cette compilation, censée apporter un nouvel éclairage à la trajectoire en cours. Cela ne constituerait pas un problème en soi si l’étiquette de science à part entière n’était pas largement diffusée par les commentaires médiatiques, et si l’ambiguïté sur le statut du discours n’était pas entretenue par les collapsologues eux-mêmes.
Enfin se pose le problème de la façon dont la rencontre des différentes disciplines est organisée : on assiste plutôt à un inventaire hétéroclite, mélangeant différents registres de réflexion, de tous les résultats allant dans le sens souhaité par les auteurs, qui piochent ici et là sans approfondir – avec souvent une confusion récurrente entre corrélation et causalité -, plutôt qu’à une interdisciplinarité construite, où le statut et la place des différentes hypothèses et notions seraient explicités.
Jérémie Cravatte comme Régis Meyran notent ainsi le caractère fourre-tout de l’analyse : « Qu’est-ce qui est en train de s’effondrer selon les collapsos ? Les écosystèmes, le capitalisme, la finance, l’économie, la « modernité », la « culture occidentale », la société, les repères, la « complexité », la démocratie libérale, l’État, la légitimité de l’État, les services publics… ? Il s’agit en fait indistinctement d’un peu tout cela à la fois dans la notion d’« effondrement ».
Comme le note Jean-Baptiste Fressoz, « le discours actuel de l’effondrement mélange deux choses : la perturbation du système Terre et la sixième extinction, qui sont avérées, et l’épuisement des ressources fossiles qui est sans cesse repoussé à plus tard. Le capitalisme fossile se porte à merveille, il est dans la force de l’âge, son effondrement est peu probable, et c’est bien là le tragique de la situation ».
D’autre part, les deux mécanismes dominants censés être à l’origine du basculement sont le système-dette en interaction avec la catastrophe écologique. Cette confusion majeure est ainsi critiquée par Daniel Tanuro : « cette bulle est composée de capitaux fictifs. C’est le produit de la spéculation. Cela n’a rien à voir avec le monde physique.ue les actionnaires paient les frais de leur gabegie, et le problème de la dette sera résolu ».
Élisabeth Lagasse, sociologue à l’Université de Louvain, observe que :
« Ce faisant, ils effectuent un glissement entre les sciences naturelles et les sciences sociales, en étudiant la société comme un « écosystème », et en déduisant de données « physiques », un effondrement social. Cette idée qu’il existerait des déterminismes sociaux découlant de lois de la nature porte un nom : le positivisme ».
Exit donc les choix politiques, les rapports sociaux et les stratégies des classes dominantes qui conduisent à ces évolutions. Ce que Régis Meyran qualifie de « vision organiciste de la société », consistant à comparer son fonctionnement avec celui d’un organisme vivant. les collapsologues défendent l’idée que la solidarité, la coopération et l’entraide ont plus de probabilité de survenir entre les êtres humains en cas de catastrophe. L’argumentation renvoie avant tout à l’efficacité supérieure de l’entraide (par rapport à la compétition) dans l’évolution biologique.
Le deuxième exemple de reprise de thèses douteuses concerne l’économie et en particulier la monnaie. La monnaie n’est pas pour eux une institution sociale inhérente au fonctionnement du capitalisme, mais un instrument technique servant à faciliter des transactions marchandes assimilables sur le fond au troc. Le troisième exemple de base théorique fragile se trouve du côté de la démographie : ils n’hésitent pas à entonner des accents malthusiens ou néo-malthusiens selon lesquels la pression démographique en tant que telle serait le problème numéro un de la planète, occultant tous les facteurs explicatifs d’ordre social et économique, comme les inégalités foncières, les dynamiques d’urbanisation, et plus généralement les inégalités économiques et sociales pourtant convoquées par ailleurs, mais sans en tirer les conséquences.
Les collapsologues ne résolvent pas leurs propres contradictions : ils admettent que la question de la démocratie est centrale, mais n’excluent pas que les basculements entraînés par l’effondrement nécessitent des mesures impopulaires – et n’écartent pas complètement on l’a vu des politiques de restrictions des naissances ; ils ne voient de salut que dans un archipel de petites communautés et dans les évolutions individuelles, (on pourrait même dire les conversions individuelles), en occultant totalement la question des infrastructures, des investissements nécessaires, de l’école, de la santé les auteurs non seulement quittent le terrain du diagnostic avec ses dimensions techniques pour s’aventurer dans ce qu’ils appellent la « collapsosophie », c’est-à-dire une philosophie de l’effondrement, la dimension normative devient centrale.
En termes de modèle de société, les auteurs prennent soin dans ce troisième ouvrage de se démarquer des survivalistes sur le modèle américain, comprenant sans doute que ce modèle (avec bunker, armes et religion) est inaudible en France. Ils y opposent donc comme dans le premier la création de petites communautés autosuffisantes en énergie et en nourriture. Mais telles qu’elles sont présentées par les collapsologues, on bute sur l’occultation de la nécessaire existence d’un cadre global où elles prennent place (Quelle école ? Quel système de santé ? Quel réseau de transport ?).
L’idée d’un « choc » conduisant à une remise en cause brutale au niveau individuel de l’échelle des valeurs et des modes de vie n’est pas sans faire penser à la « stratégie du choc » des politiques néolibérales, diagnostiquée par Naomi Klein. De même, l’analogie avec la conversion religieuse (le terme de « renaissance » revient souvent) ne doit pas être sous-estimée. Le danger peut paraître marginal mais il est bien présent, et ne peut que converger avec les dégâts des politiques néolibérales. »
Après, bon, l’article mentionne un lien entre le mouvement de la collapsologie (peut-être est-il plus honnête de l’appeler un « mouvement social » plutôt qu’une « science ») et celui de la ZAD, qui a tout de même évité en certaines occasions que la nature – donc notre patrimoine commun – ne soit massivement, injustement et inutilement saccagée par les riches. Donc bon, que ce soit dit : mes exigences philosophiques s’arrêtent nettement partout où un arbre reste debout.
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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