La programmation de micro-organismes permet de nombreuses applications telles que la mise au point de biocapteurs de cellules entières pour détecter des molécules spécifiques, surveiller et diagnostiquer des maladies, ou encore de vecteurs thérapeutiques, mais elle se heurte toutefois à l’absence de contrôle spatial. Zoher Gueroui, directeur de recherche au laboratoire Pasteur et coordinateur du projet ANR Nanoheaters (2016-2021), et ses collègues de l’IMPMC, de l’IBENS et du CIRB, ont modifié des bactéries Escherichia coli pour leur conférer des propriétés magnétiques afin de les guider dans l’espace grâce à un champ magnétique externe. Le point sur ces travaux de recherche publiés dans ACS Synthetic Biology.
Pour quelles raisons avez-vous intégré des propriétés magnétiques chez E. coli ?
Zoher Gueroui : Nous avons souhaité exploiter les progrès récents réalisés en matière de programmation de micro-organismes, dans le contexte de la biologie synthétique. En introduisant des séquences d’ADN au sein de bactéries de type Escherichia coli (E. coli), il est par exemple possible de programmer ces dernières pour qu’elles détectent une molécule chimique (pathogène, métaux lourd ou polluant) dans l’environnement et émettent un signal optique. Des bactéries ont également été utilisées pour produire une molécule ayant un intérêt thérapeutique, par exemple pour favoriser la destruction de cellules cancéreuses (Chowdhury, S. et al., Nature Medicine 2019).
L’obtention d’une bactérie E. coli manipulable par une voie physique et non biochimique, comme un champ électromagnétique, pourrait apporter une nouvelle dimension pour les contrôler. Ainsi nous avons voulu introduire cette propriété au sein de bactéries E. coli afin de pouvoir les guider, les concentrer, et localiser leur action par les forces générées par des aimants. Cette bactérie est par ailleurs facilement manipulable, génétiquement et biochimiquement.
Comment avez-vous introduit ces propriétés ?
Z.G. : L’idée de départ était simple : faire produire à E. coli des nanoparticules magnétiques génétiquement encodées qui seront stockées en leur sein. Nous avons modifié la bactérie afin qu’elle produise des protéines recombinantes de ferritines qui vont s’assembler sous forme de nano-cages, puis nous avons ajouté un milieu de croissance riche en fer. Les protéines de ferritines stockent ce fer favorisant alors la nucléation d’une nanoparticule, un oxyde de fer, dans leur cavité.
Après ces étapes de modifications génétique et chimique, puis de caractérisation des propriétés magnétiques, nous avons observé la croissance et la division de la bactérie, ainsi que la distribution des nanoparticules après une division cellulaire. La transmission est asymétrique : une seule des deux bactéries filles hérite de la grande majorité des nanoparticules magnétiques, ce qui est intéressant puisque cette division permet certes de maintenir une infime portion des bactéries magnétiques mais avec des propriétés quasi-inaltérées. Nous avons enfin examiné la mobilité des bactéries E. coli modifiées et démontré les propriétés, sous champ magnétique externe, du déplacement de ces bactéries.
Quelles sont les applications envisageables ?
Z.G. : Plusieurs pistes ont été explorées, nous avons tout d’abord produit un antigène exprimé à la surface des bactéries pour des applications de tri sélectif. En appliquant un champ magnétique nous avons ainsi pu séparer une population spécifique via cette interaction antigène/anticorps, ce qui offre des applications pour le diagnostic. La production d’un antigène au sein de la bactérie et son export à la surface, en utilisant les techniques génétiquement encodées, permet d’éviter les étapes actuellement mises en œuvre de purification et de greffage chimique pour implanter un anticorps ou un antigène, et ainsi potentiellement conduire à la réduction des coûts et délais.
Une seconde application a été explorée, à savoir la détection de molécules qui signalent la présence de bactéries pathogènes. Les bactéries E. coli modifiées peuvent être utilisées comme biosenseurs, capables de produire une protéine fluorescente en présence d’une molécule secrétée qui témoigne de la signature d’un pathogène. Dans ce contexte, le champ magnétique permet de localiser fortement les biosenseurs dans l’espace et, en augmentant cette concentration, d’améliorer ainsi la détection et sensibilité de la mesure.
Ces bactéries pourraient également être utilisées comme agents de contraste dans le domaine de l’imagerie par résonance magnétique. Enfin, elles pourraient également être utilisées comme « usines chimiques » pour produire des objets formulés, des nanoparticules de taille monodisperse qui peuvent présenter à leur surface une protéine d’intérêt telle qu’un anticorps monoclonal ou une protéine fluorescente.
Et les prochaines étapes ?
Z.G. : Nous avons mis au point un processus robuste et souhaitons désormais étudier de nouvelles stratégies de biominéralisation qui permettraient d’explorer d’autres phases magnétiques pour optimiser les propriétés magnétiques des micro-organismes, et démultiplier ainsi les applications. Cette méthode de modification est générique, aussi nous pourrions viser la magnétisation d’autres micro-organismes d’intérêts.
Une demande de brevet a été déposé auprès de PSL Valorisation et nous étudions désormais un nouvel axe de recherche afin d’examiner des applications plus précises dans le domaine du diagnostic, notamment l’usage de notre technologie pour mettre au point des essais qui pourraient permettre une détection rapide et sensible de pathogènes. Le projet ANR Nanoheaters nous a en quelque sorte permis de mener un projet de recherche nouveau, très fondamental au démarrage, et qui a conduit à l’obtention d’un financement de pré-maturation.
Référence :
Mary Aubry, Wei-An Wang, Yohan Guyodo, Eugénia Delacou, Jean-Michel Guignier, Olivier Espeli, Alice Lebreton, François Guyot, Zoher Gueroui. « Engineering E. coli for magnetic control and the spatial localization of functions ». ACS Synthetic Biology, 2020
Ces travaux ont été menés par des chercheurs du laboratoire Pasteur (CNRS/ENS/Sorbonne Université), de l’Institut de Minéralogie, de Physique des Matériaux et de Cosmochimie (CNRS/MNHN/Sorbonne Université), de l’Institut de Biologie de l’École normale supérieure (ENS/CNRS/Inserm) et du Center for Interdisciplinary Research in Biology (CNRS/Collège de France/Inserm).
source : https://anr.fr
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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