Au plus haut du verbe
11 juillet 2021 – Je poursuis ici, à ma façon, le texte du jour, des « Notes sur la civilisation d’après » ; l’on sait que l’on ne sait pas, terminant par ceci :
« Ainsi, si nous savons qu’il se passe quelque chose, nous savons également que nous n’en savons rien. Socrate ne nous démentirait pas. »
Alors, au-delà de tout cela, que reste-t-il à proposer ? Nullement une “fuite en avant”, perdue d’avance puisque l’on ne sait ni ce que nous réserve “en avant”, ni ce qui nous attend au-delà de l’“en-avant”. Reste à proposer la voie d’une “fuite vers le haut”, où la “fuite” n’en est pas une puisque vers le haut, – une “course vers l’élévation de la pensée”, au risque bienvenu de rendre folle de rage la raison-subvertie qui nous conduit vers la folie si nous la suivons.
Suis et suit donc l’énigme des propos d’au-delà de la pauvre raison-subvertie…
La langue française, – ce qu’il en reste aujourd’hui, – est, pour cette démarche, en attendant que brille quelque lumière du destin dans notre avenir, une “lumière” spécifique et particulière dans notre marche forcée. Nul ne dit mieux l’idée que nous voulons représenter que Cioran, le Roumain qui convertit sa vie et son âme à la langue du Français ; lorsque, immédiatement après la guerre, à Paris où il résidait déjà et où, déjà, le fait d’être né le rendait fou, il abandonna le roumain pour le français dans ses écrits. « |’adoption du français [fut] pour lui comme une “thérapeutique” :“ La langue française m’a apaisé comme une camisole de force calme un fou”. »
Ainsi traiterons-nous, ici, l’usage du français, “comme une thérapeutique”… Le constat que l’on peut faire alors est, pour notre compte, d’ordre métaphysique sinon d’au-delà de la métaphysique à l’image de cette citation du Pseudo-Denys l’Aréopagite que nous reprenons souvent, que je chéris justement à cause de ses aspects sublimes, énigmatiques et, à la lecture comme à l’audition me semble-t-il, d’une puissance inouïe, – que le français, même moderne [classique, tout de même] rapporte d’une façon sublime, comme s’il restait un lien privilégie permettant de ressusciter le passé magique et ésotérique dans une époque qui a massacré toutes ces choses…
« […C’]est là qu’il fait taire tout savoir positif, qu’il échappe entièrement à toute saisie et à toute vision, car il appartient tout entier à Celui qui est au-delà de tout, car il ne s’appartient plus lui-même ni n’appartient à rien d’étranger, uni par le meilleur de lui-même à Celui qui échappe à toute inconnaissance, ayant renoncé à tout savoir positif, et grâce à cette inconnaissance même connaissant par-delà toute intelligence.»
On fera appel à cet égard au plus désespéré des désespérés, à l’auteur du ‘De l’inconvénient d’être né’, dont certaines des maximes nous invitent, en les interprétant d’une manière enlevée, en les haussant au plus haut du verbe plutôt qu’au pied de la lettre ; ainsi ajoutant des quatre aphorismes et réflexions d’Emil Cioran, pour nous conduire à la remarque que nous ne pourrons pas éviter une réflexion fondamentale sur l’être, bien au-delà du civilisationnel, à l’heure où nous nous trouvons en “entre-deux”, entre deux tuiles du tuilage des civilisations, – l’idée de “l’inconvénient d’être né” devenant alors la suggestion d’une réflexion sur l’éternité, le Temps non pas perdu ni retrouvé mais écarté, la Perfection selon le Bouddha, tandis que la méditation sur la mort envisage le “mystère” à côté du “rien du tout” :
• « Il fut un temps où le temps n’était pas encore… Le refus de la naissance n’est rien d’autre que la nostalgie de ce temps d’avant le temps. »
• « Depuis longtemps, depuis toujours, j’ai conscience que l’ici-bas n’est pas ce qu’il me fallait et que je ne saurais m’y faire ; c’est par là, et par là uniquement, que j’ai acquis un rien d’orgueil spirituel, et que mon existence m’apparaît comme la dégradation et l’usure d’un psaume. »
• « Nous ne courons pas vers la mort, nous fuyons la catastrophe de la naissance, nous nous démenons, rescapés qui essaient de l’oublier. La peur de la mort n’est que la projection dans l’avenir d’une peur qui remonte à notre premier instant.
» Il nous répugne, c’est certain, de traiter la naissance de fléau : ne nous a-t-on pas inculqués qu’elle était la source du bien, que le pire se situait à la fin et non au début de notre carrière ? Le mal, le vrai mal est pourtant derrière, non devant nous. C’est ce qui a échappé au Christ, c’est ce qu’a saisi le Bouddha : “Si trois choses n’existaient pas dans le monde, ô disciples, le Parfait n’apparaîtrait pas dans le monde…” Et, avant la vieillesse et la mort, il place le fait de naître, source de toutes les infirmités et de tous les désastres. »• « A l’égard de la mort, j’oscille sans arrêt entre le “mystère” et le “rien du tout”, entre les Pyramides et la Morgue. »
Cette sorte de réflexion énigmatique et sans espoir une seule seconde d’aboutir à une réponse raisonnable et rassurante qui ne serait que tromperie et simulacre, c’est cela qu’il nous faut dans cette enfer de communication, bavardage informationnel sans fin, ou plutôt sans queue ni tête, en rhizome comme écrivait Deleuze, maître de la déconstruction ayant achevé son labeur de néantisation. Nous savons évidemment que cette voie ne satisfait aucune de nos attente de compréhension immédiate et d’immédiateté rationnelle pour livrer des réponses imparables et impératives sur l’événement qui ne peut se satisfaire de tels excès de suffisance humaine. (Que se passera-t-il demain ? Quel jour et à quelle heure l’effondrement ? Où peut-on trouver des provisions bon marché pour tenir jusqu’aux vacances, enfermé dans son bunker type “effondrement-proof” ?)
Pour compléter ce propos qui ne satisfera certainement pas le lecteur pressé et exigeant des “preuves à l’appui”, des “complots pertinents” ou des “schémas du ‘monde d’Après’”, on se permettra de citer un extrait du livre en-cours (lui aussi), et dont nous espérons une habilitation rapide, de PhG, sur la poursuite du Tome-III de La Grâce.
« …Hors de l’enfermement de la pensée de la théologie religieuse ou de la référence respectueuse mais extraordinairement réductrice du moderne à la pensée “dépassée” des Anciens, l’esprit peut envisager dans le champ de la réflexion générale, c’est-à-dire des évènements terrestres courants, à aborder des hypothèses concernant les domaines de la pensée de l’“absolu”, tel que l’“éternité”. Plus encore, grâce à la destruction de la réalité objective, il peut envisager des moyens libérés des entraves des sciences et de la scolastique institutionnelle.
» Le moyen de mon travail à ce propos est l’“âme poétique”, qui mêle la beauté de l’esthétique et la richesse de l’ouverture à l’intuition haute pour développer une argumentation que j’estime féconde dans la mesure où elle ignore les interdits de la pensée scolastique, où elle emprunte des voies à l'accès desquelles cette scolastique n’a pas jugé bon d’installer une police pour vérifier si vous respectez ses fameux panneaux rouge barré de blanc du “sens interdit”… J’ai la faiblesse de penser que j’ai plus de légitimité intellectuelle à développer cette sorte de réflexion au nom de l’“âme poétique” dite-SemperPhi qu’un variant-omega ou un réplicant-lambda robotisé à $100 millions par an de la direction de Google vous annonçant l’éternité pour le post-homme grâce à l’outil du robot-humanoïde armé de la légitimité des hyper-nanotechnologies et d’une lecture assidue des BD de science-fiction dans sa jeunesse… (Quel galimatias !)
» D’où il se déduit que, contrairement à ce qu’affirme l’argument pris comme référence constitutive du débat, mes réflexions, si elles peuvent être discutées, réfutées, ridiculisées, moquées par des arguments et des hypothèses évoluant au même niveau et selon les mêmes règles, ne peuvent être frappées d’invalidation. C’est bien entendu ce que craint le plus fortement la modernité, c’est-à-dire le Système, qui n’entend pas réfuter une pensée mais interdire toute pensée qui ne soit pas de lui, et même qui ne soit pas lui-même ; car la simple existence de cette pensée-qui-n’est-pas-lui représente pour lui le danger suprême de la mise à jour de l’inéluctabilité de l’ambition unique de sa démarche, qui est la néantisation du monde par entropisation. »
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