Le tout nouveau Gouverneur de la Nouvelle France, Louis de Buade, comte de Frontenac trouva très approprié, les plans précédemment établis par l’intendant Jean Talon, alors que ce dernier repartait en France après sa mission au Canada où il avait été envoyé par le Roi. Il avait accompli d’énormes changements favorables aux Français venus bâtir ce pays. Il était soulagé en constatant que le nouveau gouverneur continuerait ce qu’il avait commençé à faire. Avant de repartir en France Jean Talon avait donc chaudement recommandé Louis Joliet à Frontenac, comme possédant de nombreuses qualités pour aller à la découverte du fameux Metsi Sipi le Père des grandes eaux dont les Amérindiens leur avaient parlé. Un fleuve immense coulant vers le Sud !
Louis Joliet, était le fils d’un charron au service de la compagnie des Cent Associés, il était né à Québec en 1645, comme tous les Français nés sur le sol du Canada il était Canadien, puis tout jeune encore, il avait fait ses études chez les jésuites.
Très souvent comme cela se passait pour les jeunes gens ayant été instruits par ces prêtres, y compris ceux en France, ils avaient développé en eux le désir de la prêtrise mais aussi un rêve, celui de devenir missionnaire. En écoutant les récits de ceux qui revenaient de Nouvelle France, rapportant les chroniques des travaux de l’apostolat entrepris là-bas, si loin de l’autre côté des mers, ils se voyaient partir à leur tour sous ces cieux septentrionaux, pour participer à la conversion des peuples autochtones. Cela s’était également passé de cette façon pour Cavelier de la Salle à Rouen, ou encore pour Guillaume Couture, lui aussi à Rouen. Et tant d’autres encore… Louis Joliet était à Québec même, mais son désir avait été suscité exactement de la même façon par ceux qui revenaient du fin fond des bois. Louis Joliet va alors recevoir les ordres mineurs à l’âge de 17 ans, puis pendant presque quatre années il étudiera entre autres, très sérieusement la philosophie.. Pourtant, il décide soudain, en juillet 1660, de renoncer à sa vocation et de se lancer dans le commerce des fourrures. Jean Talon l’envoie vers le lac Supérieur explorer les mines de cuivre. C’est donc en revenant de cette exploration qu’il avait rencontré Cavelier de La Salle et les deux Sulpiciens Dollier de Casson et Galinée de Bréhan, près du lac Ontario.
Louis Joliet fera par la suite un voyage sur la côte du Labrador. Tous les documents laissent entrevoir quelqu’un de bien éduqué, hardi et courageux, d’une grande intelligence, d’une grande capacité d’observation avec des connaissances en mathématique considérables.
Bien qu’il ait renoncé au sacerdoce il avait conservé une profonde amitié pour les jésuites, n’est-il pas alors possible d’imaginer que le choix de Jean Talon ait pu être influencé par les pères qui participaient grandement à cette époque dans la politique de la colonie ? Les jésuites auraient-ils téléguidé Louis pour entreprendre une telle expédition en direction de l’Illinois ? Pour l’accompagner dans ce voyage il lui fut adjoint le père Jacques Marquette, en raison de sa grande connaissance des langues amérindiennes des tribus de cette région, mais peut-être pour qu’un Jésuite soit aux côtés de l’explorateur.
Louis Joliet, avec cinq autres coureurs des bois, traverse à nouveau les grands lacs pour se rendre à Michillimakinac pour rencontrer ce père. Il le trouve à la Pointe Saint Ignace le 8 décembre 1672 il y a à cet endroit sur le détroit, une mission des jésuites entre le lac Huron et le lac des Illinois appelé Machihiganin (Michigan). Jacques Marquette avait travaillé à cet endroit depuis deux longues années, il s’était occupé des réfugiés Wendat (Hurons) installés à la mission du Saint Esprit, depuis leur fuite de la Huronnie, ce qui faisait plus de vingt ans à présent, ainsi que des Outaouais qui vivaient également là avec eux. Ce prêtre avait été envoyé en Nouvelle France en 1666, il était prévu qu’il soit envoyé à la mission de Tadoussac sur le fleuve Saint Laurent, c’est pourquoi il avait tout particulièrement appris les langues des Montagnais avec Gabriel Dreuillettes, mais il dût se rendre par la suite en 1668 sur les grands lacs où il était finalement resté depuis. Il avait mis fort à propos ses talents de linguiste car en si peu d’années il parlait déjà, et avec une grande facilité, plus de six langues amérindiennes.
Louis Joliet expose au père Marquette la raison de sa venue, à la demande du nouveau gouverneur Frontenac, et son désir de le voir prendre part à l’expédition avec lui, pour aller à la recherche de cet immense fleuve, dont les Français entendent tous tellement parler, ce fleuve que les Lakota et les autres tribus qui vivent le long de ses bords, appellent du nom évocateur de Metsi Sipi ou « Père des grandes eaux ». Cependant ils doivent attendre le printemps et le dégel des rivières, ce qui leur laisse toute latitude pour préparer tout ce dont ils auront besoin, entre autres les armes, les provisions et les divers objets de pacotilles à échanger avec les Amérindiens qu’ils rencontreront, soit pour les amadouer, soit pour obtenir de la nourriture ou même les deux à la fois.
Le père Marquette est un religieux fort admiratif de la Vierge qui mêlé à la ferveur de son culte, lui donne la motivation nécessaire pour aller découvrir de nouvelles terres. C’est ainsi qu’il commencera le journal de son voyage le jour de l’Immaculée Conception : « Je suis heureux d’aller exposer ma vie pour sauver ces tribus et plus particulièrement les Illinois qui m’avaient instamment demandé, lors de leur passage à la Pointe Saint Esprit, de venir apporter la parole de Dieu parmi leur peuple. »
Louis Joliet et Jacques Marquette après avoir longuement écouté les Amérindiens leur décrire l’itinéraire qu’ils souhaitaient emprunter, en tracèrent une ébauche, espérant que cela pourrait les aider dans leur trajet et leur difficile avancée.
Au matin du 17 mai 1673 ils embarquent avec deux canots d’écorce de bouleau et quelques provisions, comprenant du blé d’inde et de la viande fumée.
Après avoir dépassé Michillimakinac, ils se dirigent le long des rives Nord du lac des Illinois, puis ils établissent un camp en fin de journée le long de la grève, où ils installent leurs canots. Avant de parvenir à la Baie verte, ils s’arrêtent au village de la tribu des Folles Avoines, appelée ainsi parce que c’était la culture de cette tribu pour sa nourriture principale. En apprenant vers quel endroit les voyageurs comptaient se rendre, les Indiens de ce village poussèrent mille hauts cris, faisant tout pour les en dissuader, en leur racontant des histoires propres à les effrayer, tentant vainement de les décourager d’entreprendre une telle aventure afin qu’ils fassent demi-tour. Pour cela ils leur racontent que les rives du « Père des grandes eaux » regorgent de tribus féroces, qu’il y a un démon effrayant qui engloutit les étrangers dès qu’ils apparaissent, mais voyant que cela ne les impressionne pas plus que cela, ils ajoutent que la chaleur y est telle que de toutes façons s’ils se hasardent malgré tout jusque-là, on ne les reverra plus jamais !
Quel était leur but en voulant les décourager à ce point ?
Le père Marquette après avoir prié avec eux monta dans son canot, et l’expédition put, sans plus d’inquiétude, reprendre tranquillement sa route. Ils atteignirent avec de grandes difficultés la Baie verte, juste à l’entrée de la rivière des Renards, après avoir passé péniblement des rapides assez impressionnants, mais en définitive ils sont récompensés d’autant d’efforts car après le lac Winnebago ils trouvent une rivière, au cours enfin calme et tranquille, qui les amène dans un endroit où poussait avec une grande abondance du blé d’inde parmi lequel des multitudes d’oiseaux se nourrissaient. C’est ce lieu même, que lors de son voyage avec le père Allouez, le père Claude Dablon en 1670 avait décrit avec un certain lyrisme, d’une façon admirative, ce village installé tout en haut d’une colline, tout entouré par une plaine s’étendant à ses pieds, juste en bordure d’une forêt. Mais plus que le paysage ce qui donna un grand bonheur au Père Marquette, ce fut de voir une croix fièrement plantée au centre de ce village, elle était entièrement ornée de peaux, d’arcs et de flèches, comme pour une offrande au grand Manitou des Français !
Les anciens et les chefs de ces tribus des Mascoutins et des Miamis tinrent conseil et ils écoutèrent longuement Louis Joliet leur expliquer qu’ils étaient envoyés par le gouverneur des Français, pour explorer et découvrir d’autres pays, mais aussi enseigner leur religion à tous ceux qui le désireraient. Il demanda au Conseil de leur accorder des guides afin de les amener jusqu’à la rivière du Wisconsin. Le conseil ayant accédé à leur demande, dès le 10 juin au matin ils purent repartir sous la conduite de deux Amérindiens, et tout le village vint alors assister solennellement à leur départ.
Après quelques jours, passés en descente de rivières et en bivouacs fort rudimentaires, ils aperçoivent le 17 juin suivant, de vastes prairies avec au loin des collines escarpées, c’est là que se dresse le village de la prairie du Chien. Le soulagement et la joie de Louis Joliet et du père Marquette sont intenses ! Un large et rapide courant les aide à guider leurs canots sur le remous du Père des Grandes Eaux, puis en se dirigeant sans cesse vers le Sud, ils pagayent dans un isolement total, pas une seule trace d’êtres humains ! Par contre de très gros poissons tapent fréquemment en heurtant leurs canots avec une si grande force, qu’ils doivent avancer avec la plus extrême prudence, devant même accoster à cause d’une déchirure apparue à un de leur canot, qu’il leur faut immédiatement réparer. Tandis qu’ils sont sur la berge, ce 25 juin 1673, ils aperçoivent, imprimées sur la terre de la rive, des empreintes d’hommes paraissant provenir d’un simple sentier, s’enfonçant dans les terres. Aussitôt Joliet et Marquette laissent leurs canots sur le bord, pour suivre ce sentier à travers les hautes herbes de la prairie, ils arrivent ainsi en suivant le cours d’une petite rivière, à un village de la nation des Illinois. Une tribu pacifique mais puissante. Averti de leur arrivée, le grand chef des Illinois les attend. Il a revêtu son grand habit de cérémonies et sa coiffure de plumes de grand Sachem de cette tribu. Dès qu’ils arrivent à sa hauteur, il prononce ces magnifiques paroles devenues aujourd’hui célèbres :
« Que le soleil est beau, Français, quand tu viens nous visiter, tout notre village t’attend, tu entreras en paix dans toutes nos cabanes !… »
Leur accueil sera inoubliable pour les deux Français, après toutes ces journées difficiles à pagayer dans la solitude la plus complète. Ils acceptent de bon cœur toutes leurs traditions y compris leur nourriture, composée non seulement de poisson mais en plus d’un chien cuit tout exprès en leur honneur, tout cela est accompagné de très nombreux compliments tels : « votre présence ajoute de la saveur à notre tabac… fait le fleuve plus calme, le ciel plus serein, la terre plus belle… » En essayant de les dissuader, eux aussi, de poursuivre leur voyage et de les détourner de leur objectif de descendre le fleuve, en leur décrivant les dangers auxquels ils s’exposent, ils leurs décrivent les nations en guerre ou d’autres fortement hostiles comme ces puissants et habiles tireurs à l’arc, sur les rives Ouest du fleuve. Les Illinois sont surpris et étonnés devant la résolution des Français d’aller, malgré les dangers largement décrits, explorer le cours du Metsi sipi, mais voyant qu’ils ne se laissent pas davantage influencer ils leur remettent solennellement un calumet sacré, qui leur servira de sauf-conduit, et leur rendra ainsi plus amicales les tribus habitant le long de ces rives. Louis Joliet et Jaques Marquette très touchés, remercient sincèrement pour ce précieux présent.
Ils peuvent enfin prendre un peu de repos dans une cabane préparée à leur intention, où étendus sur d’immenses peaux de buffles ils passent, après ces difficiles semaines, couchés à même le sol sous leur canot retourné, une excellente nuit de repos.
Le 26 juin au matin plus de six cents Illinois accompagnés de leur chef toujours revêtu de ses magnifiques habits et décoré de ses extraordinaires plumes, les reconduisent à leurs canots, avec quelques regrets de les voir déjà s’en aller, ils leur firent des « au revoir les plus bienveillants et les plus fraternels »
Le père Marquette a raconté très longuement et avec de nombreux détails, cette étrange visite chez les Illinois dans la Relation de cette année-là. Plus tard, au siècle suivant, le poète américain Henry Longfellow en fera un magnifique poème, à partir du récit même de ce père. Cependant, il ne pourra pas s’empêcher de changer pourtant le mot « Français » qu’il remplacera par celui « d’étranger » un terme général nettement moins spécifique, car en bon Américain qu’il était, cela l’avait un peu dérangé que ce soit des Français et non des Américains qui les premiers soient arrivés aussi loin sur le Mississipi… Comme l’écrira plus tard l’écrivain Jean Raspail « certes Longfellow avait occulté complètement ces Français si intrépides et si déterminés, mais en 1673 dans le langage des Amérindiens, tout étranger était Français, pour la bonne raison que seuls les Français étaient venus jusqu’à eux, auréolés d’une réputation d’hommes aimables et bienveillants, des étrangers peut-être, mais des Français, ce n’étaient ni des Anglais ni des Espagnols… et encore moins des Amérindiens! »
Nos voyageurs reprennent leurs canots, ils repartent avec toujours autant d’enthousiasme. Après plusieurs heures de navigation sur un cours plutôt tranquille ils arrivent à l’entrée d’une passe difficile, des parois rocheuses élevées fort abruptes plongent dans les eaux rapides où le courant s’accélère, et plus loin, au détour d’un virage ils se trouvent nez à nez avec ce fameux rocher, peint de nombreuses couleurs vives, particulièrement en rouge, noir et vert ressemblant à un véritable monstre, dominant tout le cours de l’eau. Cette peinture gigantesque était destinée aux Amérindiens qui lorsqu’ils passaient là s’arrêtaient, faisant des sacrifices à ce dieu surplombant les eaux tourbillonnantes, car ces incroyables peintures impressionnaient toujours terriblement les voyageurs crédules.
La flottille continua son avancée, manquant plusieurs fois d’être submergée par ce très fort courant qui l’entraînait, évitant on ne sait comment de s’écraser au milieu des récifs surgissant au beau milieu de l’écume de ce fleuve ! Ils sont emportés tels des fétus de paille entendant gronder une véritable cataracte jusqu’au moment où ils se trouvent au confluent d’un autre fleuve aussi agité et tumultueux, qui dévale depuis les Rocheuses, c’est le Missouri ! Enfin peu à peu les falaises diminuent, le cours du Metsi sipi se charge de boue, de troncs d’arbres arrachés et de petits tas d’herbes entourés de branchages, emportés par le courant, puis bientôt ils longent des rives luxuriantes toutes chargées de la chaleur tropicale du sud de cette Amérique. Mais avant même d’en apprécier les charmes ils sont environnés de furieuses nuées de moustiques qui les attaquent dans leurs canots, et ils ne peuvent arriver à les éloigner qu’en allumant des feux de bois vert, à même les canots !
Depuis leur arrêt dans le village des Illinois, ils avaient bien certainement ramé plus de trois cent milles en direction de l’embouchure de l’Arkansas, lorsqu’ils aperçoivent un groupe de wigwams sur la rive ouest du fleuve. C’étaient des Tuscaroras, armés par les Espagnols de fusils, et leur accueil n’avait rien d’amical, rien à voir avec celui des Illinois. Bien au contraire ! Les Français comprennent que des canots vont vraisemblablement être mis à l’eau pour venir les attaquer, aussitôt se rappelant du calumet donné par les Illinois, Marquette l’élève à bout de bras, afin de le faire voir autant qu’il le pouvait en espérant pouvoir, malgré son inquiétude et une gigantesque angoisse, amadouer cette humeur fort vindicative que ces Amérindiens paraissaient ressentir à leur égard.. Alors curieusement les Illinois avaient raison, à la vue de ce calumet la colère des Tuscaroras s’apaise presque instantanément et cela devint extrêmement facile de pouvoir ensuite parlementer avec les membres de cette tribu, quelques minutes auparavant, si agressifs.
Les voyageurs s’étaient bien avancés sur le grand fleuve en direction de son embouchure, ils pensaient alors qu’ils n’en étaient plus très éloignés mais redoutant plus que tout, s’ils allaient plus loin d’être capturés ou tués par des Indiens dont ils ne connaissaient pas la langue ou pire par des Espagnols, dont la réputation de cruauté et d’inhumanité étaient arrivés jusqu’aux Français, ils décidèrent immédiatement après avoir rencontré cette tribu, qui les avait accueillis au premier abord, de cette manière si hostile, de retourner à présent en Nouvelle France, car s’il leur arrivait quoique ce soit, leur découverte serait perdue, et nul ne pourrait rapporter le récit de ce qu’ils avaient vu du grand Metsi sipi .
Quittant le village de l’Arkansas le 17 juillet, ils entament avec soulagement le voyage de retour, après autant de difficultés et d’inquiétudes. Le voyage de retour s’avéra extrêmement épuisant, car à présent ils étaient complètement à contrecourant, en plus de cette énorme difficulté la chaleur de l’été et de terribles effluves malsaines s’y rajoutèrent ce qui, tout cela conjugué, rendit Jacques Marquette réellement malade. Mais grâce à leur opiniâtreté jours après jours, coups d’aviron après coups d’aviron dans ces rapides et ces forts courants, ils parvinrent à remonter peu à peu vers le Nord, atteignant enfin l’Illinois, y pénétrant par l’embouchure où ils retrouvèrent enfin des eaux calmes et paisibles, des forêts ombragées et des plaines abondantes où pâturent le bison et le cerf.. Ils s’accordèrent un peu de repos au village des Kaskaskia. Ce village des Illinois est devenu fort célèbre et très connu par la suite, lorsque les Français sillonneront ensuite ces lieux. Il devait y avoir d’après le récit de Marquette au moins soixante-quatre cases. Un de leur chef se proposa avec quelques jeunes guerriers de les guider vers le lac des Illinois, appelé plus tard lac Michigan, ce fut donc à la fin du mois de septembre seulement, qu’ils rejoignirent enfin la baie verte en suivant les côtes de ce lac. Les voici donc de retour après quatre longs mois passés sur les rivières à pagayer plus de deux mille cinq cent milles. Marquette choisit de rester à la mission de la Baie verte, tandis que Louis Joliet préféra repartir tout de suite à Québec, pour apporter au gouverneur Frontenac le résultat de leur expédition.
Louis Joliet avait eu beaucoup de chance, tout le long de ce voyage périlleux, que ce soit au milieu des forts courants de ces rivières inconnues, ou au moment des rencontres avec ces Amérindiens du pourtour du fleuve, si nettement hostiles envers eux, mais voilà que soudain aux pieds même des rapides de Lachine, cette chance l’abandonna, tout juste-là, ce 14 novembre 1674 juste en amont de Montréal, alors qu’il était presque arrivé, « qu’il était pratiquement de retour, son canot se renversa, deux de ses hommes ainsi qu’un jeune Amérindien se noyèrent, et en même temps que ce drame, disparurent dans les rapides de Lachine tous ses papiers importants, toutes les précieuses notes qu’il avait soigneusement prises et écrites, tout au long de l’expédition, » tout cela fut précipité au fond des eaux tumultueuses sans qu’il puisse les rattraper, et lui-même échappa à la mort de justesse..
Totalement découragé, épuisé de fatigue à peine sorti de l’eau, il écrivit une lettre au gouverneur Frontenac accompagnée d’une petite carte de ses découvertes : « J’avais échappé à tous les périls des Indiens, j’avais passé quarante-deux rapides, j’étais sur le point de débarquer plein de joie à la réussite d’une si longue et si difficile entreprise, lorsque mon canot a chaviré, j’ai perdu deux hommes ainsi que la boite de papiers en vue d’un premier établissement français… »
Joliet demandera par la suite une subvention pour les pays qu’il a découverts mais cela restera sans suite, puisque le roi ne voulait plus étendre davantage la Nouvelle France, il avait expressément demandé que les habitants restent dans les limites de la colonie, et ne s’aventurent plus désormais dans les déserts de l’Ouest !
Suite au rapport de son voyage Louis Joliet obtint en guise de subvention les îles Mingan en 1680 puis la grande île d’Anticosti. Cette île située dans l’estuaire du fleuve Saint Laurent avait été surnommée l’île aux naufrages, tant de vaisseaux s’y étaient trouvés en mauvaise position au fil des ans, ceci à cause des nombreuses battures sur son côté Sud, ainsi que des plaques rocheuses affleurant à peine, trompant les pilotes. Son nom Montagnais était Natishquan qui signifie « endroit où on chasse l’ours » à moins que ce ne soit selon d’autres textes, un mot Micmac Natigostec « terre avancée » Jacques Cartier l’avait appelé île de l’Assomption en la découvrant le jour de cette fête religieuse, quant aux autres Amérindiens ils l’appelaient Naticousti, il semblerait que ce fut ce dernier nom plus couramment employé peut-être, qui a été repris par Marc Lescarbot dès 1609 dans ses écrits, et la prononciation française peu à peu le transforma en Anticosti.
C’est là qu’en 1681 Louis Joliet s’y installa avec sa femme Claire et six aides, s’engageant à la pêche à partir de son île, étant un navigateur habile et un bon arpenteur. C’est environ à cette période-là qu’il établit une carte du fleuve Saint Laurent, puis il ira explorer les côtes du Labrador. A son retour Frontenac le nommera pilote royal et il deviendra hydrographe de Québec. Lors de l’épisode de l’attaque de la flotte anglaise en 1690 sous le commandement de l’amiral William Phips, sa femme Claire et sa belle-mère seront prisonnières sur le vaisseau amiral anglais « le six friends », sur lequel elles resteront pendant toute l’attaque de Québec, sous le bombardement des canons de la ville, mais également sous les coups envoyés depuis les autres bateaux anglais.. Tous les établissements de son île d’Anticosti seront brûlés par les navires anglais remontant le fleuve tandis qu’ils se rendaient devant Québec, pour l’attaquer !
Louis Joliet est mort entre 1699 et 1700 apparemment assez pauvre, d’après les textes laissés par Pierre Margry qui a suivi ses traces, il aurait été enterré sur l’archipel des îles Mingan.
Après leur retour de l’expédition du Metsi sipi Marquette était resté à la mission de la Baie verte tout l’hiver et jusqu’à l’été suivant car il était tombé gravement malade.
Marquette sent « sa maladie lui retirer peu à peu la vie » C’est pourquoi lorsqu’il se dirige vers le lac des Illinois, le 19 mai accompagné d’un grand nombre d’Amérindiens, il demande de faire aborder le canot , il est si faible qu’il a besoin d’aide pour descendre à terre, ses forces commençant à l’abandonner ses compagnons doivent le porter et l’installer à l’abri d’une large écorce.
Là totalement épuisé, le père Marquette arrive à donner quelques instructions pour ses obsèques qu’il perçoit si proches, il le fait d’une voix calme et même joyeuse, demandant à ses compagnons de route de l’excuser pour tout le mal qu’il leur donne, depuis que la maladie l’a rattrapée, mais remerciant le Seigneur de lui permettre de mourir de cette façon, tout à fait merveilleuse pour lui, ici au milieu des Amérindiens qu’il aime tant… Le père Marquette au cours de la nuit va alors quitter cette vie, tout à fait tranquille et heureux, les yeux fixés sur son crucifix qu’il tient serré entre ses mains, murmurant entre ses lèvres desséchées par cette maladie qui l’envahit et le submerge, les noms de Jésus et de Marie.
Après l’avoir enterré selon ses souhaits, ses compagnons se rendent alors à Michillimakinac afin d’apporter cette triste nouvelle à la mission Saint Ignace.
Au printemps suivant les Amérindiens qui avaient tellement aimé ce prêtre, vinrent déterrer son corps. Ils nettoyèrent soigneusement et affectueusement ses os à la manière amérindienne et les placèrent minutieusement dans une boite en écorce de bouleau, comme ils le faisaient pour les êtres qui leur étaient chers, puis formant un cortège d’une trentaine de canots, ils le transportèrent jusqu’à Saint Ignace tout en chantant leurs chants funèbres. Lorsqu’ils approchèrent de la mission, tous les commerçants, les prêtres et les Amérindiens du petit village se pressaient le long des rives pour voir revenir les restes du Père Marquette … Une cérémonie eut alors lieu à la chapelle de la mission et c’est là qu’il fut enterré sous le plancher même de cette chapelle, entouré de toute l’affection qu’il avait suscitée tout au long de sa vie en Nouvelle France …
Les Amérindiens racontèrent que bien longtemps après sa mort, ils remportaient encore des victoires rien qu’en invoquant le nom de Marquette.
Jusqu’à ce passage de Louis Joliet et de Jacques Marquette qui parcoururent cinq mille trois cents kilomètres en cinq mois sur des fleuves totalement inconnus, personne n’était encore allé aussi loin que l’Illinois.
Plus tard, les Américains élèveront plusieurs statues au Père Marquette, ils préféreront glorifier un simple prêtre leur permettant d’occulter l’explorateur français Louis Joliet, le représentant même de la France et du Roi de France.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec