Par James Howard Kunstler – Le 24 mai 2021 – Source kunstler.com
Nous prenons du recul par rapport aux désordres et aux idioties du moment pour souhaiter à Bob Dylan un joyeux 80e anniversaire. Il est entré en scène lors d’un précédent moment de désordre national, les années soixante, comme nous appelons cette époque sauvage où nous, les baby-boomers, sommes devenus adultes et avons mis le monde sans dessus dessous pendant un certain temps, en jetant nos identités dans un zeitgeist enragé. Bob était en fait un peu plus âgé, pas tout à fait un boomer, né sept mois avant l’entrée des États-Unis dans la Seconde Guerre mondiale.
C’est important car il était parfaitement positionné à l’avant de cette vague déferlante d’une manière particulière que je vais essayer d’expliquer. Lorsqu’il a quitté son trou-du-cul du monde dans le Midwest pour s’installer à New York à l’hiver 1961, il était non formaté, ambitieux, intelligent, rusé et pas encore adulte. Il a grandi en public au cours de la décennie suivante. Il l’a incarné dans les chansons qu’il a écrites. C’était l’essence même de ce qu’il représentait pour ceux d’entre nous qui l’ont suivi. Il nous a enseigné le mystère de ce que signifie passer de l’adolescence à la conscience, et il l’a fait avec un art incomparable qui, une fois qu’il a eu de l’influence, a fait paraître ses concurrents à peine suffisants. Il est facile de comprendre que ce rôle l’ait irrité, mais c’est ainsi.
C’est Bob qui a fait du format album la forme d’art de ma génération. Avant cela, la scène musicale pop américaine se résumait à différentes sortes de peluches adolescentes, de clichés sur les désirs hormonaux des garçons et des filles les uns pour les autres. Il y avait un long chemin entre « Wake Up Little Susie » des Everly et « Visions of Johanna » de Bob. Il avait 24 ans quand il l’a écrite fin 1965 (et l’a enregistrée en février 1966). Vingt-quatre ans, c’est à peu près l’âge où la zone de jugement du cerveau humain se développe enfin, et la chanson décrit de façon saisissante l’émerveillement saisissant de devenir un adulte pleinement équipé – et de le reconnaître ! Le sujet de la chanson n’est plus une fille, c’est une femme, avec des ramifications cosmiques telles que « le fantôme de l’électricité hurle dans les os de son visage ».
Des paroles comme ça – et Bob en produisait à la pelle à l’époque – faisaient paraître les chansons des autres un peu légères et idiotes. Les Beatles s’en sont approchés à peu près au même moment avec leur aventure dans les chansons de l’âge adulte dans l’album Rubber Soul, mais ils n’ont pas été capables d’y apporter la concentration d’une seule sensibilité comme Bob l’a fait, et ils le savaient.
Quoi qu’il en soit, Bob s’y préparait depuis des années sur le plan lyrique. Il a eu une enfance confortable dans le Minnesota, mais c’était un endroit dur. Il a absorbé cette réalité et l’a résumée avec une concision et une spécificité éblouissantes dans des chansons comme « North Country Blues », qui parle d’une famille défaillante dans une ville défaillante où les mines de fer ferment et où l’avenir n’existe plus. De même, « The Ballad of Hollis Brown », qui raconte l’histoire d’un fermier désespéré qui se tue avec sa famille de six personnes dans la prairie solitaire du Dakota du Sud. Ce sont des histoires sur d’autres personnes et d’autres vies, des reportages sur place, avec plus de résonance que Walter Cronkite ne pourrait jamais espérer leur donner.
Lorsque Bob écrivait sur lui-même et sur son étrange voyage, il peuplait de plus en plus ce paysage de rêve d’une galerie de personnages hallucinatoires : nains, madones, moines ermites, anges cow-boys, politiciens ivres, Napoléon en haillons, le mystérieux tramp …. Imaginez à quel point c’était bizarre d’être Bob pendant ces quelques années. Il n’a pas eu à se battre pour devenir célèbre, il roulait sur l’or avant même d’avoir vingt-cinq ans, et tous les journalistes de la presse professionnelle lui tiraient la manche dès qu’il sortait de chez lui, le suppliant d’expliquer comment le monde fonctionnait. Pas étonnant qu’il ait fait le malin avec eux, prétendant qu’il était « juste un homme de chansons et de danse », alors que tout le monde le savait au dessus. Et étonnamment, il y est parvenu.
Une fois qu’il a achevé sa transformation en adulte, il a pratiquement accompli son devoir, et tout ce qui a suivi n’a été qu’une longue coda, avec quelques éclairs de l’ancien génie, comme ces stupéfiantes paroles de sa chanson de 1985 « Dark Eyes » :
Un coq chante au loin et un autre soldat est en train de prier,
L’enfant d’une mère s’est égaré, elle ne le trouve nulle part.
Mais je peux entendre un autre tambour battre pour les morts qui se lèvent,
Ceux qui craignent la bestialité de la nature comme ils viennent et tout ce que je vois sont des yeux sombres.
Ça ressemble à ce qui se passe « là-bas » en ce moment, vous ne trouvez pas ? Il méritait ce prix Nobel. Je suis heureux qu’il ait persévéré pendant toutes ces années et qu’il continue à monter sur scène et à sortir des chansons. Je l’ai rencontré une fois en 1975 lorsque je travaillais pour Rolling Stone Magazine. C’était après un concert de charité à San Francisco, à l’hôtel Fairmont. Je n’ai pas pu m’empêcher de le saluer comme un vieil ami, et j’ai été bêtement surpris de constater qu’il ne me reconnaissait pas « d’un trou dans le mur ». Quoi qu’il en soit, je suis heureux que nous ayons partagé ces décennies ensemble sur cette merveilleuse planète et je le salue le jour de son anniversaire pour ce qu’il a donné et qui a vécu en moi toutes ces années.
Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.
Traduit par Hervé, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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