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ALLAN ERWAN BERGER — L’entêtement avec lequel le gouvernement français entend faire passer coûte que coûte ses lois infectes, dont les citoyens ne veulent pas pour diverses raisons parfois contradictoires, rencontre au sommet de l’iniquité la veulerie avec laquelle la grande majorité des représentants de la population de gauche s’abstiennent de résister efficacement et ne veulent prendre, de la résistance, au mieux que ses postures. Mais là n’est pas le seul problème : il est aussi dans la façon dont sont traitées les manifestations de notre indignation, puisque tout y est fait pour les rendre physiquement dangereuses, en assurant une impunité inquiétante aux forces armées, en faisant des coupables les victimes et des victimes les coupables, tout en ne touchant qu’au minimum aux quelques « casseurs » présentés comme dingues et qui servent ici d’alibi à tout le reste, tandis qu’on envoie une unité d’élite antiterroriste déloger quelques jeunes gens sur un toit. Tout se passe comme si le pouvoir rêvait que nos manifestations, qui ne sont jamais que de l’insurrection polie, dégénèrent en insurrection tout court. Nous aurions tout à y perdre, nous dit-on parfois, et nos maîtres tout à gagner.
Il y a un coup d’État, avec la complicité de l’ensemble des forces de pouvoir, quel que soit par ailleurs le discours spécifique qu’elles prétendent tenir sur tel ou tel objet de la polémique. Car en dehors d’un enfumant blabla de façade, il y a quand même une sérieuse convergence sur le fond : la démocratie ne doit pas poindre, le pouvoir doit rester confisqué. C’est de plus en plus visible car de plus en plus décomplexé.
Raison pour laquelle la haine gouvernementeuse s’est déportée ces derniers temps sur un nouvel objet : ce ne sont plus les syndicalistes que le discours criminalise, mais les non-encartés, les lambdas de la rue, les citoyens indignés qui, ont formé hier la Nuit Debout, aujourd’hui les Gilets Jaunes. Voici bien la cible : la démocratie qui point, les lanceurs d’alerte qui se dressent, les gens qui se parlent. Et le drapeau de l’Europe financière flotte, sinistre, au-dessus des écoles et des palais de justice.
En écoutant ce qui se dit sur les places et les rond-points, en lisant les communiqués qui y sont publiés, on se rend assez vite compte qu’on y traite principalement de politique fondamentale, matière presque entièrement inconnue dans l’hémicycle rupin où les parasites gavés qui sont censés nous représenter déposent leurs gros culs malpropres.
C’est ça, c’est la politique fondamentale, c’est elle qui ne doit pas sourdre jusqu’à la population. Aussi, les médias nous invitent-ils à frémir au spectacle de la couche extérieure des révoltés, faite d’affrontements avec les forces de l’ordre (pas notre ordre, pas nos forces), tandis que le cœur débattant des assemblées reste inconnaissable, insondable, insondé à quelques finkielkrauteries près. Car la morale, qui est le ciment des civilisations, pèse de toute son importance dans nos assemblées sauvages, tandis qu’elle est bafouée, reniée dans les palais où les malfaisants ont pour habitude de s’entre-décorer et se tiennent joyeusement par la barbichette, loin de toute atteinte judiciaire. Et le drapeau de l’Europe financière flotte, sinistre, au-dessus des télévisions allumées.
Ce qui se passe dans les rond-points, c’est l’ancienne France qui perce la neige. Celle de la Constituante de 93. Les sans-dents d’aujourd’hui avancent tranquillement sur les traces des sans-culottes de jadis. Ils leur reste à s’emparer de ce qui leur revient de droit, et qui est notre héritage : le drapeau, des mots, et même une chanson.
Il est certain qu’un faisceau de manifestations qui porteraient les couleurs de la France, et qui scanderaient les beaux mots de « Liberté, Égalité, Fraternité » à plein mégaphone, aurait une telle gueule étonnante que les caméras du monde entier (mais pas de la France) se jetteraient dessus et porteraient ces images incroyables jusqu’au canapés où gisent, abandonnés, tant de cerveaux disponibles sur tant de continents. Et ces mots, et ce drapeau, qui furent ceux des participants des Nuits Debout, qu’ils en aient eu conscience ou non, ils sont aujourd’hui repris en jaune soleil, et en pleine conscience cette fois-ci. C’est imparable : il y a en ce moment un écho des luttes politiques de la fin des temps monarchiques, et c’est jusqu’à la “Marseillaise” qui, aujourd’hui, résonne étrangement. Car cette “Marseillaise” qui, depuis tant de générations, a été confisquée par les crapules, au point que l’entendre peut soulever le cœur, elle parle de nous finalement, de nos groupes assiégés, de nos vies attaquées. La lire, c’est frémir devant un fantôme.
Que veut cette horde d’esclaves,
De traîtres, de rois conjurés ?
Pour qui ces ignobles entraves,
Ces fers dès longtemps préparés ?
Français, pour nous, ah ! quel outrage,
Quels transports il doit exciter !
C’est nous qu’on ose méditer
De rendre à l’antique esclavage !
Osez dire que ce couplet ne nous concernait pas au printemps 2016. Il a beau être bizarre, mal bricolé et pompeux, il est exact, et décrit notre hiver 2018.
Quoi ! ces cohortes étrangères
Feraient la loi dans nos foyers !
Quoi ! ces phalanges mercenaires
Terrasseraient nos fils guerriers !
Grand Dieu ! par des mains enchaînées,
Nos fronts sous le joug se ploieraient,
De vils despotes deviendraient
Les maîtres des destinées ?
Ne vous semble-t-il pas entendre les Grecs s’indigner des chaînes de la Troïka ? Et cela, qui nous désigne :
Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus.
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus.
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre !
Pendant ce temps, le drapeau de l’Europe financière claque, sinistre, au-dessus de la statue de son dieu Euro, imbécile objet d’une adoration friquée dont nous faisons tous les frais, d’un bout du continent à l’autre.
Il est temps de ressortir notre drapeau, notre devise et notre chanson, et de les proposer à nos voisins de servitude, pour qu’ils s’en fassent des symboles adaptés à leurs causes. Au minimum, ça scandalisera les décatis du cerveau, et Finkielkraut postillonnera encore et encore de beaux gnagnagnas.
Notre pays est tout près d’être un volcan. Faisons en sorte qu’il soit fertile et non ravageur, et que les Gilets jaunes en soient le généreux cratère. Finies, les collaborations ! Redevenons la France, cet inextinguible bélier toujours disponible d’une génération à l’autre, qui boutera, peut-être, la finance hors des palais de l’Europe, sous les huées des nantis et les ovations des sans-dents de la planète entière. Alors on nous aidera, et nous ne serons plus seuls.
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec