C’est en fouillant dans les archives de la BAnQ qu’Emmanuel Lamontagne a découvert par le hasard le plus total ce musée fascinant. Comment est-ce possible qu’un lieu dédié à l’art de l’Empire du Milieu ait vu le jour en 1930 dans la ville de Québec ?
Selon le recensement de 1923, il n’y avait que 500 personnes d’origine chinoise dans la ville de Québec, dont plusieurs commerçants à la tête de restaurants, de blanchisseries et d’une épicerie.
À cette époque, Québec avait son Chinatown dans le secteur compris entre la côte d’Abraham et ce qui est aujourd’hui le boulevard Charest. Le quartier a été liquidé à coups d’expropriation à partir de 1969 et presque entièrement démoli pour faire place à d’énormes piliers en béton destinés à soutenir l’autoroute Dufferin-Montmorency.
Mais étonnamment, la communauté, bien que déjà implantée dans la ville de Québec, n’a absolument aucun lien avec le Musée d’art.
Il s’agit en fait d’une initiative des jésuites de la Vieille Capitale. L’histoire des relations entre les Jésuites et la Chine remonte au 16e siècle, époque à laquelle le missionnaire Matteo Ricci se rend dans l’Empire du Milieu pour tenter d’y implanter le catholicisme en l’inculturant aux coutumes locales.
Ce qui nous mène quelques siècles plus tard à nos jésuites de la ville de Québec qui, dès 1924, présentent des conférences sur la Chine pour faire connaitre la mission de Xuzhou dont ils sont responsables.
Le public assistant à ces conférences était la plupart du temps acquis d’avance à la cause puisqu’il se composait essentiellement de prêtres et de religieux, dont plusieurs étaient… jésuites ! Il fallait donc changer de stratégie pour attirer les bienfaiteurs et faire connaitre la mission de Xuzhou.
Miser sur l’exotisme
C’est ainsi que nait l’idée du Musée d’art chinois, le but étant d’attirer la sympathie et surtout les dons, en faisant connaitre la Chine et les Chinois à la population québécoise.
Le Musée d’art chinois et les objets qu’il exposait nous mettent face à la complexe et délicate question du regard que l’on pose sur l’autre.
Un article du Devoir du 3 novembre 1933 déclare1 : « Il ne faudrait pas juger la Chine par ce qu’on en voit en demeurant chez soi… il faut l’aller voir chez elle – et elle est chez elle au Musée chinois – où l’on apprendra qu’il y a des Chinois magnifiquement doués des talents artistiques les plus divers. »
En somme, les jésuites utilisent un truc vieux comme le monde : miser sur la curiosité. Le Musée d’art chinois est donc à comprendre dans la lignée des cabinets de curiosité. Beaucoup plus que le zèle missionnaire de la population, c’est l’attrait du public pour des objets exotiques et inaccessibles autrement qui financera les opérations jésuites en Chine.
Une collection diversifiée
Le visiteur se retrouve ainsi devant une panoplie d’œuvres : on parle d’un peu plus de 800 objets, dont des porcelaines, des peintures, des sculptures, des broderies, du mobilier, etc. Les objets phares du musée sont une lampe en forme de dragon et un lit qui, selon les jésuites, auraient appartenu à l’impératrice Cixi.
Fait rarissime pour l’époque, l’exposition présente même une statue de Bouddha ! En plus des objets d’art, les jésuites présentent également des photos et des cartes des missions en Chine ainsi que des outils agricoles typiques de Xuzhou.
En plus des revenus provenant des droits d’entrée, les jésuites pouvaient compter sur toute une gamme d’objets vendus dans la boutique du musée. Des livres relatant les missions des jésuites en passant par des cartes postales, des éventails, des foulards en soie et de petits bibelots. Bref, une véritable collection de chinoiseries était proposée aux visiteurs en guise de souvenir de leur « voyage » en Chine.
Un inventaire éparpillé
L’aventure du Musée d’art chinois de Québec durera jusqu’en 1947, date à laquelle les opérations cesseront définitivement. La collection sera malheureusement éparpillée en divers lieux lorsque l’organisme jésuite assurant la gestion du musée la Procure de Chine déménagera à Montréal.
Heureusement, plusieurs objets, dont le lit dit de l’impératrice, ont abouti dans les collections publiques nationales.
Il n’en demeure pas moins que nous sommes ici face à un important chantier de recherche historique. Le Musée d’art chinois et les objets qu’il exposait nous posent à la fois la question de la circulation des objets entre les cultures, mais surtout, ils nous mettent face à la complexe et délicate question du regard que l’on pose sur l’autre.
Ce petit musée missionnaire a été, à coup sûr, pour la ville de Québec, l’une des premières expositions assurant un pont entre les cultures.
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- cité dans SAMUEL C. FLEURY, Le financement canadien-français de la mission chinoise des Jésuites au Xuzhou de 1931 à 1949 : La Procure de Chine, Université Laval, Québec, 2014, p. 65.
Source : Lire l'article complet par Le Verbe
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