Serge Halimi s’étonne que, dans la perspective de l’élection présidentielle, la politique étrangère n’intéresse plus personne : « Que l’on souhaite ou non une alliance de la gauche et des écologistes en vue de l’élection présidentielle française de l’année prochaine, les termes de ce débat ont confirmé l’analphabétisme géopolitique de la plupart des journalistes. Car, à supposer qu’aucune divergence de politique économique et sociale n’interdise aux formations situées à gauche de M. Emmanuel Macron de faire front commun contre lui dès le premier tour du scrutin, peut-on en dire autant pour la politique étrangère ? Le plus étonnant est que cette question n’ait intéressé personne. Les rapports avec les États-Unis, la Chine, la Russie ; la politique de la France au Proche-Orient, en Afrique, en Amérique latine ; la force de frappe ? Aucun de ces sujets ne semble avoir été abordé par les dirigeants de gauche lors de leur rencontre du 17 avril dernier. Mais, loin de s’en montrer surpris, les médias ont préféré réserver leur glose à des questions aussi décisives pour l’avenir du pays que les repas végétariens dans des cantines scolaires de Lyon, les « réunions non mixtes » d’un syndicat étudiant ou le refus d’une subvention à un aéro-club de Poitiers. »
Pour Jean-Michel Dumay, la justice est au bord de l’implosion : « Tandis que le garde des sceaux Éric Dupond-Moretti, en conflit avec les personnels de justice, inscrit ses réflexions d’ancien avocat pénaliste dans un projet de loi hétéroclite, la France consacre toujours aussi peu d’argent à sa justice. Magistrats, greffiers et agents administratifs subissent une pénurie ancienne qui les use et un empilement de réformes, sans vision globale, qu’ils n’absorbent plus. »
Á lire un fort dossier sur le génocide au Rouanda, à commencer par l’article de Bobacar Diop sur l’énigmatique silence africain : « La faillite de la « communauté internationale », qui a livré à la mort huit cent mille Tutsis du Rwanda, fait l’objet d’abondantes analyses depuis 1994. Mais comment comprendre le silence des États et des intellectuels africains tandis que se perpétrait, au vu et au su de tous, le dernier génocide du XXe siècle ? Aujourd’hui encore, des assassins vivent tranquillement un peu partout sur le continent. »
Pour Évelyne Pieiller, la résilience est partout et la résistance nulle part : « Jusqu’où aller dans la mise en œuvre de nouvelles contraintes, et comment y aller ? Comment faire pour qu’elles apparaissent justifiées, voire bénéfiques, pour s’assurer de leur acceptabilité sociale ? Le recours aux sciences cognitives permet d’armer dans ce but les politiques publiques et de contribuer à un modelage de nos comportements ; ce qu’illustre la valorisation de la « résilience ».
Pourquoi les syndicats ont perdu face à Amazon, demande Maxime Robin : « Vedettes hollywoodiennes, journalistes, dirigeants politiques… : tout le monde souhaitait la création d’une section syndicale dans l’entrepôt Amazon de Bessemer, en Alabama. Tout le monde… sauf les ouvriers du site, qui ont massivement voté contre cette implantation. Les pressions exercées par l’entreprise lors de la campagne suffisent-elles à expliquer ce résultat ? Aux États-Unis, l’implantation d’un syndicat dans une entreprise ressemble à un chemin de croix. Sollicitée par un employé — ici, un magasinier qui, au mois d’août, a téléphoné à la RWDSU —, l’organisation doit d’abord prouver à l’agence fédérale chargée du droit du travail, le National Labor Relations Board (NLRB), que 30 % des travailleurs du site désirent la création d’une section. Une fois cette étape franchie, et au terme d’une âpre campagne, un référendum est organisé. Le combat se mène usine par usine, hypermarché par hypermarché, fast-food par fast-food : si le « oui » l’avait emporté à Bessemer, cela n’aurait pas changé la situation des autres entrepôts Amazon. Pour les salariés, s’engager dans une telle démarche implique une bataille longue et ardue, avec, en cas de défaite, des représailles contre ceux qui ont sollicité l’aide du syndicat — souvent un licenciement.
Aude Vidal décrit le déferlement des déchets plastiques en Asie du Sud-Est : « Aux consommateurs et aux collectivités locales de se débrouiller ! Telle est la philosophie des entreprises qui produisent du plastique à foison, sans se soucier de ce qu’il devient. Quand la Chine a décidé de refuser les déchets que lui envoyaient les pays occidentaux, ses voisins en ont été inondés, au détriment de la santé des populations. Et si on traitait le problème à la source ? »
Pour Charles Enderlin, le camp de la paix ne comprend pas l’idéologie de Netanyahou : « Longtemps minoritaire, le Likoud s’est peu à peu imposé comme la principale force politique d’Israël. Qu’il s’agisse de Menahem Begin, premier vainqueur de la gauche, d’Yitzhak Shamir, ancien responsable d’une organisation terroriste, ou de M. Benyamin Netanyahou, l’actuel chef du gouvernement, tous ses dirigeants ont œuvré à intensifier la colonisation des territoires palestiniens. »
Mathias Reymond explique comment Washington sème la zizanie sur le marché européen du gaz : « Conflit en Ukraine, sort de l’opposant Alexeï Navalny, gazoduc Nord Stream 2 : la dégradation des relations entre la Russie et l’Europe occidentale depuis 2014 occupe les chancelleries. Ces tensions ont pour toile de fond un « grand jeu » énergétique où se croisent la stratégie russe, les exigences américaines, les intérêts allemands, l’urgence climatique et le dogmatisme libéral de la Commission européenne. »
Luis Alberto Reygada montre comment Mexico tente de se dégager de la tutelle des EU : « Le Mexique voit sa souveraineté grignotée de toutes parts. Sur le plan institutionnel, par la corruption. Sur le plan territorial, par les cartels de la drogue. Sur le plan économique, par le libre-échange. Et sur le plan géopolitique, par sa proximité « maudite » avec les États-Unis. Dans ce dernier domaine, le président Andrés Manuel López Obrador a opéré un virage discret, mais déterminant. »
Serge Halimi revient sur le bilan et la personnalité d’Obama (de Don Quichotte à Sancho Pança) : « Peu de présidents américains ont suscité autant d’enthousiasme et bénéficié d’une telle popularité internationale. À l’arrivée, cependant, un sentiment d’occasion manquée. Dans ses Mémoires, M. Barack Obama livre quelques-unes des clés de cette déception. Cela pourrait-il expliquer l’audace économique actuelle de son ancien vice-président ? »
Morgane Pellenec dénonce les équivoques de la biologie de garage : « Née dans des garages ou des laboratoires informels, la biologie participative promeut une science ouverte et collaborative, qui vise à s’affranchir de la propriété intellectuelle, voire de l’industrie. Les bricoleurs du vivant s’appuient sur le libre accès aux connaissances et sur le détournement des méthodes. Mais des logiques entrepreneuriales les rattrapent. »
Pour Anne Jourdain et Allan Popelard, « les enseignants hésitent entre combativité, apathie et sirènes managériales : « Plus syndiqués que la moyenne de la population active, plus enclins à faire grève, les enseignants donnent l’image d’un bastion compact et organisé. Mais cette apparente combativité dissimule la réalité d’une profession gagnée par la démobilisation : la dégradation des conditions de travail, les défaites à répétition et les pressions de la hiérarchie ont fini par laisser des traces. »
Thimothée de Rauglaudre dénonce l’ambiguïté des emplois domestiques, le lobby des patrons : « Faire garder des enfants, engager quelqu’un pour s’occuper du ménage d’une personne âgée ou invalide… Motivées par la nécessité, et palliant l’absence de dispositifs publics ad hoc, ces pratiques justifient les confortables réductions d’impôts accordées aux particuliers employeurs. Or, dans leur majorité, les services à domicile recouvrent des prestations de confort. »
Pour Marc Perrenoud et Pierre-Yves Rommelaere, la cantine scolaire peut être un lieu de lutte : « Les remous provoqués par l’introduction, en janvier dernier, de repas végétariens dans les cantines de Lyon ont placé la restauration scolaire sous les feux des projecteurs. Mais les questions liées à ce secteur d’activité très rentable s’étendent bien au-delà de la nourriture carnée ou même du label « bio ». Libérée de sa dépendance aux industriels, la cantine pourrait devenir une station d’essai du « bien-manger » Ailes de poulet ou bâtonnets de poisson panés, pâtes au fromage râpé, mousse au chocolat : on sait que les mets favoris des petits mangeurs correspondent souvent à ceux qu’ils consomment à la maison, où leurs parents n’ont pas toujours le temps, l’énergie ou les moyens de diversifier et d’équilibrer les menus. Ces plats domestiques s’avèrent souvent trop gras, trop salés ou trop sucrés, afin de compenser le manque de goût des produits de base, issus de l’industrie agroalimentaire. Leur composition révèle une saturation d’additifs, de conservateurs, d’exhausteurs de goût, de gommes et de gélatines, destinés à prolonger leur durée de consommation et à améliorer leur aspect. Habitués — socialisés, même — à ces excès glucidiques et lipidiques, les enfants en redemandent. »
Antony Burlaud revient sur l’œuvre de Leonardo Sciascia : « Il aimait Voltaire et les combats contre l’obscurantisme. Leonardo Sciascia déchiffra la Sicile comme un concentré de scandales et de violences, mais aussi comme un symbole des processus à l’œuvre dans l’Italie chaotique des années 1970. Il choisit souvent, pour mener ses enquêtes, la forme du roman policier, et sut toujours susciter la jubilation de l’esprit. ur sa pierre tombale, Leonardo Sciascia, mort en 1989, fit inscrire une phrase empruntée à l’écrivain Auguste de Villiers de L’Isle-Adam : « On s’en souviendra, de cette planète ». Trente ans après sa mort, la planète se souvient-elle de Sciascia ? En Italie, célébrations, émissions et colloques, placés sous le haut patronage de quelques sommités politiques, ont marqué son centenaire. En France, celui-ci semble être passé presque inaperçu, malgré quelques initiatives éditoriales.
Cet oubli est d’autant plus fâcheux que la France a longtemps fait la part belle à Sciascia. Grâce à Maurice Nadeau et à quelques autres, il a été tôt traduit, lu et reconnu de ce côté-ci des Alpes. Surtout, cette seconde patrie — où il envisagea même, à la fin des années 1970, de s’établir — lui avait fourni quelques-uns de ses écrivains favoris : Voltaire, Paul-Louis Courier, Stendhal. Et, pour un lecteur de la trempe de Sciascia – grand ruminateur de textes, collectionneur de citations, philologue et éditeur à ses heures, convaincu qu’un livre est « une forme d’approche du bonheur » et une bibliothèque, une ressource vitale en même temps qu’un arsenal, cette prédilection littéraire était aussi un choix existentiel. Ces écrivains-là l’aidaient à s’orienter. »
Jean-Baptiste Mallet nous souhaite la bienvenue au musée de la propagande européenne : « Á Bruxelles, le parc Léopold abrite un musée insolite qui, depuis son inauguration, le 6 mai 2017, a déjà attiré un demi-million de visiteurs. Nous y entrons par un sas de sécurité où des vigiles contrôlent notre identité, passent nos effets personnels aux rayons X et vérifient notre température à l’aide d’une caméra thermique.
Nous ajustons le casque de l’audioguide et sélectionnons l’une des vingt-quatre langues officielles de l’Union européenne. « Bienvenue à la Maison de l’histoire européenne, un projet du Parlement européen. Au fur et à mesure que nous vous guiderons à travers l’exposition, vous remarquerez que nous ne vous racontons pas l’histoire de chaque nation européenne. »
L’exposition permanente débute par la présentation d’objets ayant trait à la géographie du continent et au mythe grec d’Europe. Après quoi, au XVIIIe siècle, l’heure vient déjà d’évoquer le régime nazi et l’Union soviétique. « Pendant la révolution française de 1789, de simples citoyens renversent la monarchie absolue qui les contrôlait depuis des siècles. Leurs nobles idéaux de liberté, égalité et fraternité sont bientôt souillés par la Terreur, une période de violente répression, d’exécutions de masse et de purges politiques. La guillotine est adoptée par l’État révolutionnaire français pour supprimer ses ennemis », poursuit le narrateur invisible dans l’audioguide, tandis que retentit à nos oreilles le bruit sec et froid d’un couperet. « Le raisonnement – que des objectifs idéalistes peuvent justifier des moyens brutaux – a été utilisé plusieurs fois au cours de l’histoire européenne. Notamment par l’État policier de l’Union soviétique sous Joseph Staline et par le régime nazi en Allemagne. » Cette première analogie se révélera le fil conducteur de la visite. »
Ilustration : Angel Mateo Charris, “ El effecto mariposa ” (l’effet papillon), 2015.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir