Catherine de Sienne, femme de feu

Catherine de Sienne, femme de feu

Rien de simple ni d’usuel dans la vie de Catherine de Sienne : de jeune fille pieusement excentrique enfermée dans son sous-sol, elle deviendra la mamma des papes et des grands de ce monde. 

Cette sainte mystique illettrée du 14e siècle aura sans doute vécu dans l’entourage de Jésus plus que ses propres disciples. Elle le voyait partout, discutait avec lui sur les sujets chauds du moment : la peste, la famine, l’exil des papes à Avignon et les rébellions des cités italiennes.

Toute jeune enfant encore, elle avait rencontré le Christ habillé en pape, la tiare sur la tête, dans la Basilique San Domenico de Sienne. Il était accompagné de saints Pierre et Paul, et de saint Jean l’évangéliste. Ce premier colloque la marquera pour le reste de son existence.

Il ne serait pas utile de relater cette vision moyenâgeuse si ce n’était qu’une exception dans la vie de cette autre fol-en-christ, mais il semblerait que s’entretenir avec Jésus, la Vierge, le roi David et les saints était vraiment son pain spirituel quotidien.

Cette Siennoise a été pleinement femme, et femme d’Église, quand pratiquement tous les hommes qui normalement portent ce titre l’avaient délaissé.

C’est même lors d’une énième occasion de ce genre, en 1367, le dernier jour du Carnaval, alors que tout le monde batifolait en buvant et en dansant, qu’elle a reçu le Christ pour époux. 

La scène est très belle : le roi David jouait de la harpe, pendant que la Sainte Vierge plaçait la main de Catherine dans celle de son Fils. Il lui passa un anneau d’or au doigt et lui dit : « Moi, ton Créateur et ton Sauveur, je t’épouse dans la Foi qui ne recevra aucune atteinte jusqu’au jour où je t’épouserai dans le Ciel. Ne crains rien, accomplis mes desseins. Tu vaincras tous mes ennemis. »

Ce mariage mystique a lancé Catherine sur les chemins du monde. On comprendra qu’à partir de là, elle a fini par sortir de son sous-sol et se mettre à l’action. 

De zéro à héraut

Vingt-troisième enfant d’une famille roturière, elle a presque été reniée par sa mère et prise pour folle à lier par tous ; elle n’était rien aux yeux de personne. Elle ne portait l’habit dominicain que comme tertiaire et n’avait aucune éducation scolaire. Cette petite fille trop jolie pour être religieuse allait devenir la conseillère des papes, l’ambassadrice des cités italiennes et la mère spirituelle d’une myriade de disciples. 

Comme femme, elle a souffert et gémi pour l’Église et pour l’Europe jusqu’au fond de ses entrailles. Elle a révolutionné le monde en épousant l’Amour fait homme en la personne du Christ. 

Elle n’a pas pris son trou pour autant ni douté de sa mission. Plutôt, elle répétait sans cesse à tous, car elle le croyait fermement, le vivant elle-même : « Si vous êtes ce que vous devez être, vous mettrez le feu au monde entier ! » 

Révolutionnaire, non par choix mais par appel, elle ne voulait pas tout changer de son propre chef, mais bien parce qu’elle suivait celui qui a dit : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Lc 12, 49)

Semoncer le pape

C’est ce qui s’est concrétisé lorsqu’elle est partie pour Avignon afin de ramener le pape à Rome. 

Elle qui avait tant œuvré parmi les débauchés et les raclures de Sienne n’a pas été scandalisée par la vie luxueuse et dissolue qu’elle a trouvée à la cour papale, même si elle en souffrait fortement en son cœur, comme une gifle de plus sur le visage défiguré de son Époux.

Elle appelait les prélats des « démons incarnés » qui souillent l’Église et font d’elle une porcherie. Mais elle avait pitié du pape, Vicaire du Christ, et c’est avec des accents si irrésistibles et doux qu’elle le suppliait de revenir à Rome, à la chaire de saint Pierre : « Allez, allez vite à votre Épouse qui vous attend, pâle et mourante, vous lui rendrez la vie… Courage, mon père, soyez un homme. Je vous dis que vous n’avez rien à craindre… »

Humainement parlant, le pape avait tout à craindre : ce semblait être une pure folie que de se jeter ainsi dans la gueule de la louve romaine qui avait chassé ses prédécesseurs. Certains cardinaux lui ont faussé compagnie pour continuer leur dolce vita provençale, alors que d’autres l’ont suivi malgré eux…

Femme virile ?

Cette Antigone de la Cité éternelle, cette petite vierge de Sienne a vraiment été une femme, une femme qui savait parler aux hommes, et même rappeler au Saint-Père, Grégoire XI, qu’il en était un. 

Son successeur, Urbain VI, resté seul à Rome, abandonné pour sa part par tous ses cardinaux, a fait quérir la vierge siennoise. Elle est venue tout de go lui redonner courage et il s’est écrié enthousiasmé après l’avoir écoutée : « Cette petite femme nous fait honte à tous ! ».

Simone de Beauvoir disait : « On ne nait pas femme, on le devient ». Eh bien, oui et non. Comme on ne nait pas homme non plus, ni même chrétien1.

Être femme ne veut pas dire ne pas être virile, ne pas avoir la tête bien vissée sur les épaules, être moins que l’homme, c’est seulement l’être différemment. Cette Siennoise a été pleinement femme, et femme d’Église, quand pratiquement tous les hommes qui normalement portent ce titre l’avaient délaissé.

On peut penser à elle et avoir honte. Mais que ce soit une sainte vergogne mêlée d’espérance qui nous pousse à devenir toujours plus ce à quoi nous sommes appelés !

Catherine de Sienne, sainte patronne de l’Europe et des journalistes, priez pour nous, pour le pape et l’Église, mais aussi pour nos missions respectives ! 


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  1. L’idée d’une pure et simple auto-invention de soi ne mènera jamais nulle part : la naissance amène son lot de déterminations aux moyens desquelles tout un chacun est appelé à croitre et à s’épanouir. C’est d’ailleurs le sens premier du terme nature, du latin natura, qui renvoie au fait de la naissance, à l’état naturel et constitutif des choses. Et la vocation surnaturelle se fonde sur cette apriorité naturelle.

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