« Le plus grand dérèglement de l’esprit consiste à voir les choses telles qu’on le veut et non pas telles qu’elles sont.» ─ Jacques-Bénigne Bossuet
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La décision de la Cour d’appel sur la Loi 99, laquelle porte sur le droit à l’autodétermination du Québec, loin de confirmer ce droit, elle le rend inopérant en l’enfermant dans la convention constitutionnelle canadienne.
Bref historique
Suite au référendum serré de 1995, Ottawa va demander un avis consultatif à la Cour suprême dans un Renvoi relatif à la sécession du Québec.
Réagissant à la décision de la Cour suprême, Ottawa a adopté en juin 2000 la Loi C-20 ou « Loi dite de la Clarté » pour s’assurer que le droit à l’autodétermination du Québec n’aurait aucune effectivité.
Le Québec va réagir en réaffirmant son droit à l’autodétermination en adoptant en l’an 2000 la Loi 99 ou la Loi 99 ou la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec.
La Loi 99 a été contestée devant les tribunaux depuis plusieurs années par Keith Henderson auquel s’en joint Ottawa en 2013. La Cour d’appel vient de rendre sa décision : la Loi 99 est constitutionnelle mais…
Loi 99 : les droits du peuple québécois confirmés (Le Devoir, 13 avril 2020)
De quoi entretenir l’illusion voulue par le fédéral depuis 50 ans à l’effet qu’un référendum d’initiative gagnant suffirait pour mener le Québec à la souveraineté. Après lecture du jugement de 40 pages, c’est plutôt la conclusion contraire qui s’impose. Il est grand temps de mettre fin à ses illusions pour revenir à la réalité.
En réalité, la décision de la Cour d’appel confirme la décision de première instance à l’effet que la Loi 99 est une loi provinciale soumise à la convention constitutionnelle canadienne :
- à la formule d’amendement de la constitution de 1982 ;
Comme le démontre l’étude Les obstacles juridiques à une réforme du fédéralisme de l’IRQ (2015), la fédération est pratiquement irréformable.
- à la décision sur le Renvoi sur la sécession de 1998 qui offre aucune garanti de résultat et qui ouvre à la partition du territoire du Québec ;
- à la Loi sur la clarté (C-20) de juin 2000.
Joseph Facal, ex-ministre responsable de la Loi 99, a déclaré en réaction à l’adoption de la Loi C-20 :
« L’objectif du gouvernement fédéral est simple : il veut contester le droit fondamental du peuple québécois de contrôler lui-même son destin national et chercher à en encadrer l’exercice au moyen de considérations à ce point arbitraires et restrictives qu’elles reviennent à tenter de déposséder le peuple québécois de son droit fondamental à décider librement et sans ingérence de son avenir politique.»
Autant de dispositions arbitraires de l’État fédéral qui remettent en cause l’effectivité du droit à l’autodétermination du Québec. Elles font qu’une victoire référendaire n’aurait aucune chance de mener à un changement effectif du statut politique du Québec de province à État souverain.
Le fédéral satisfait de la décision
C’est ce qui explique qu’Ottawa n’a pas l’intention d’en appeler à la Cour suprême et que Stéphane Dion, le père de la Loi sur la clarté (C-20), se dit satisfait de cette décision de la Cour d’appel : « Nous avons perdu une bataille et nous avons gagné la guerre », a-t-il affirmé en entrevue au Devoir. Il estime avoir obtenu la victoire qu’il souhaitait « par la porte d’en arrière » : « […] Nous voulions que l’application de la loi soit limitée uniquement aux compétences provinciales et nous l’avons eu.»
Revoir la stratégie du camp souverainiste
La lecture du jugement de la Cour d’appel mène à une conclusion évidente. Tant et aussi longtemps que le droit à l’autodétermination du Québec sera soumis au cadre constitutionnel canadien, ce droit n’aura aucune effectivité. Aucune ! Il est grandement temps pour le camp souverainiste d’en prendre acte et d’ajuster sa stratégie à cette réalité.
Ce qui impose de revoir le cadre stratégique reposant sur un référendum d’initiative (à ne pas confondre avec un référendum de ratification) comme voie d’accès à la souveraineté. Une stratégie reposant sur le postulat que le fédéral allait se soumettre à la décision démocratique du Québec. Une grave erreur d’appréciation sur laquelle le camp souverainiste a parié le destin d’une nation depuis 50 ans.
Il est temps d’adopter un cadre stratégique pour sortir le projet de la cage constitutionnelle canadienne pour le faire surgir à l’international, soit à l’Organisation des Nations unies (ONU), là où se régissent les règles du jeu en matière de changement de statuts des États.
C’est exactement pour prévenir que le camp souverainiste emprunte cette voie vers l’ONU que le tribunal a décrété que la Loi 99 définissant le peuple et l’État du Québec n’avait aucune valeur statutaire pour les fins du jugement… un statut existentiel réduit à une « expression pompeuse » :
« En ce qui concerne « l’État du Québec », il s’agit d’une expression politique que certains qualifieraient de pompeuse. Elle peut certes en agacer plusieurs, mais elle n’a aucun effet juridique.» [Paragraphe 105]
Selon ces trois savants juges, le législateur (Assemblée nationale), en définissant le statut de peuple et de l’État du Québec, aurait donc parlé pour ne rien dire. Ces derniers affichent le même mépris envers notre statut d’État que Pierre E. Trudeau en 1994, juste avant le référendum de 1995 : « Les professeurs enseignent le nationalisme dans les écoles. Ils disent à leurs élèves que le Québec est un État et c’est faux. Le Québec est une province, un canton, un district.»
Et pour s’assurer de bien enfermer le Québec dans la cage constitutionnelle canadienne à double tour, le tribunal a outrepassé sa juridiction pour s’arroger les prérogatives du droit international :
« […] La population du Québec, quelle que soit la façon de la définir, ne possède pas, en vertu du droit international, le droit de faire sécession unilatéralement du Canada vu que les conditions du droit international pour ce faire – soit la colonisation, l’oppression ou l’exclusion – ne sont pas remplies.» [Paragraphe 92]
La Cour d’appel du Québec, en usurpant l’autorité du droit international, remplit ainsi son rôle de gardienne de la Constitution de 1982, laquelle se fonde sur la négation de notre statut politique de nation et qui vise expressément l’objectif du Rapport Durham, en finir avec la seule nation française en Amérique pour la réduire à l’échelle d’un groupe ethnique.
Un recours à l’ONU
Cette menace à notre existence de nation autorise tous les moyens à la légitime défense. Voilà un motif fondamental pour justement en appeler à la protection de l’ONU pour assurer notre propre existence pour la suite de l’Histoire. C’est exactement pour ces mêmes motifs que les nations autochtones ont obtenu La Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones pour protéger leurs droits à préserver leurs identités.
Le camp souverainiste possède l’expertise pour monter un dossier pour interpeller l’ONU avec pour objectif de faire reconnaître l’effectivité du droit à l’autodétermination de l’État du Québec.
Autre stratégie pour faire reconnaître l’effectivité du droit à l’autodétermination du Québec
Doter le Québec d’une constitution d’État pour imposer, de manière STATUTAIRE, la reconnaissance de la nation et de l’État du Québec par le fédéral. La souveraineté, c’est d’abord un État qui change de statut, ce qui suppose un État. La constitution est la pierre angulaire de l’édification de l’État du Québec.
Vigile a identifié depuis longtemps cette ligne de front : l’édification de l’État du Québec pour imposer la reconnaissance statutaire de la nation et de l’État du Québec, ce qui entraînerait une brèche dans la cage constitutionnelle de 1982.
Retour sur la stratégie d’Égalité ou indépendance
Daniel Johnson (père) avait bien compris où se situait cette ligne de front sur la reconnaissance STATUTAIRE de la nation et de l’État du Québec. Dans sa publication, Égalité ou indépendance (1965), il faisait le constat que :
« On nous conteste encore le droit au titre de nation. » [p.20]
« Je trouve irréalistes et infantiles les querelles qu’on nous cherche depuis une quinzaine d’années, chaque fois que nous osons parler du Québec comme d’un État… ils ont appelé Confédération en réalité une fédération d’États. » [p.37]
Partant de ce constat, Daniel Johnson (père) avait élaboré une stratégie pour imposer la reconnaissance statutaire de la nation et de l’État du Québec par Ottawa. Dans le cas d’un refus de reconnaissance de ce statut par Ottawa, il prévoyait un référendum de ratification sur une constitution de l’État du Québec, définissant notre statut de nation et d’État (Égalité) :
« Je suis certain que 80 pour cent des Québécois appuieront la thèse des deux nations ! »
référence : Daniel Johnson, 1964-1968, la difficile recherche de l’égalité, Pierre Godin. Édition de l’Homme [p.303]
Une stratégie que les péquistes n’ont pas compris, d’où le cul-de-sac actuel
Claude Morin en est un qui n’avait pas compris la stratégie d’ambivalence de Daniel Johnson avec de graves conséquences pour la suite de l’histoire. À Claude Morin qui lui demande d’éclairer sa lanterne, Daniel Johnson répond :
« Lisez mon livre Égalité ou indépendance et vous comprendrez où je m’en vais, monsieur Morin… Celui-ci suit le conseil, mais reste perplexe. La lecture répétée de « l’évangile selon saint Daniel » ne lui permet pas à une compréhension claire de la position constitutionnelle de son patron. Veut-il, oui ou non, l’indépendance […] ».
référence : Daniel Johnson, 1964-1968, la difficile recherche de l’égalité, Pierre Godin. Édition de l’Homme [p.302]
Rappelons qu’à l’époque l’appui à la souveraineté était autour de 10 %. Dans son livre Pour un Québec souverain, Jacques Parizeau qualifie l’ouvrage de Daniel Johnson « d’idée géniale parce qu’elle correspondait tellement bien à ce que tant de gens souhaitaient : l’égalité ou l’indépendance. »
référence : Pour un Québec souverain, Jacques Parizeau, VLB éditeur, 1997 [p. 22]
Bien que pour Jacques Parizeau en 1997 ce serait attendre encore Godot… à l’époque cette stratégie de l’ambivalence de Johnson était bien adaptée au contexte, jusqu’au moment où un certain Général est apparu au Balcon.
Fini l’ambivalence : Daniel Johnson, c’était l’INDÉPENDANCE !
La réaction d’Ottawa en 1969 : La longue guerre
La déclaration du Général de Gaulle a placé Ottawa devant un défi existentiel : « le séparatisme ». Ce qui se révèle avec le temps, c’est qu’en réponse, la stratégie du fédérale s’est articulée en deux volets en 1969 :
Premier volet – Convaincre le camp souverainiste d’adopter le référendum comme mode d’accès à la souveraineté, en donnant la fausse illusion qu’Ottawa allait respecter le choix démocratique du Québec. Tel que rapporté par Claude Morin dans sa biographie Mes premiers ministres :
« L’idée du référendum, écrit-il, me fut involontairement suggérée en 1969 par trois personnalités renommées de l’establishment politico-technocratique anglophone fédéral […] Bien que pratiquement jamais utilisée en régime parlementaire britannique, seule une consultation de ce genre serait susceptible, me dirent-ils, d’inciter Ottawa et les provinces à consentir à un nouveau partage des pouvoirs plus avantageux pour le Québec. »
référence : Mes premiers ministres. Lesage, Johnson, Bertrand, Bourassa et Lévesque. Claude Morin. Édition Boréal, 1992 [p.482-485]
Deuxième volet – La même année, le 17 décembre 1969, le premier ministre Pierre E. Trudeau présentait au Comité du cabinet sur la sécurité et le renseignement un mémorandum intitulé : « Current threats to National Order and Unity : Quebec separatism ». Un feu vert pour l’utilisation de tous les moyens de l’État pour mener une guerre clandestine contre le mouvement souverainiste. Mémorandum documenté dans ce livre : Closely Guarded: A Life in Canadian Security and Intelligence, l’auteur John Starnes confirme que c’était la réaction du Canada à la déclaration du Général de Gaulle.
référence : Closely Guarded: A Life in Canadian Security and Intelligence. John Starnes. University of Toronto Press (2001) [p.143-144 et appendice]
En 1969, ceux qui nous ont indiqué le chemin à suivre pour arriver au but, étaient justement ceux qui ne voulaient surtout pas qu’on y arrive. Comment s’étonner que l’on ait abouti dans le cul-de-sac actuel.
Résumons
La décision de la Cour d’appel sur la Loi 99 participe de cette même stratégie que celle d’Ottawa en 1969, c’est-à-dire entretenir la fausse illusion que le droit à l’autodétermination du Québec est effectif. Ce qui a eu pour effet d’enfermer le camp souverainiste dans le cadre stratégique du référendisme pour y engager toutes leurs forces, et qui a mené au cul-de-sac actuel.
Il est urgent de sortir de ce piège référendaire tendu par les mandarins fédéraux en 1969 et de revenir à la dure réalité.
Arrêtons de croire qu’on peut gagner notre maison avec une loterie référendaire truquée et bâtissons-là pièce par pièce.
Retour à l’édification de l’État du Québec
« Nation : un peuple en possession d’un État » ─ Karl Deutsch
« L’histoire mondiale ne retient que les Nations qui se sont constituées en États » ─ F.W. Hegel
Commençons par la pierre angulaire :
1 ─ Doter le Québec d’une constitution d’État par la refonte de la Loi 99, incluant la Loi 101 dans le statut de langue d’État et la Loi 21 (*), avec pour objectif d’imposer la reconnaissance statutaire de la nation et de l’État du Québec. Cette constitution pourrait faire l’objet d’un référendum de ratification en même temps qu’une élection. Il est à prévoir que l’adoption d’une constitution incluant ces trois (3) lois constitutives de notre statut de nation et qui reçoivent un appui de près de 70 % de la population, le gouvernement poserait ainsi la pierre angulaire de l’édification de l’État du Québec.
2 ─ La Constitution de 1982 imposée contre la volonté démocratique du Québec, consacre le multiculturalisme comme doctrine d’État du Canada. Cette doctrine se fonde sur la négation de notre nation ce qui pose un défi existentiel à notre statut politique de nation française en Amérique. Cette menace existentielle justifie un recours à l’ONU.
La doctrine de Vigile.Québec
Vigile produit des analyses politiques qui ne se limitent pas à se plaindre de situations que nous fait la domination fédérale mais elles visent à développer un plan opérationnel dans l’immédiat, sans attendre le mythique Grand soir référendaire.
Il est temps d’agir si le camp souverainiste ne veut pas donner raison à Stéphane Dion lorsqu’il affirme « Nous avons gagner la guerre ».
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(*) La décision rendue sur la Loi 21 consacre la partition juridique du Québec, et remet en cause le principe d’unité politique de l’État du Québec tel que défini de manière statutaire par la Loi 99.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec