L’argent n’explique pas tout. Des chefs d’entreprise faisant partie des 500 plus grandes fortunes de France n’ont pas le dixième du poids politique d’un Cyril Hanouna, dont la société H20 pèse 43 millions par an, ce qui n’est pas exceptionnel pour une boîte de prod qui fait tourner une quotidienne. En d’autres temps, Delarue et Ruquier dégageaient autant de CA sur le service public. Mais les temps ont changé : aujourd’hui, la télé ne rapporte plus autant qu’hier, les audiences d’un Ruquier, qui est en train de disparaître doucement dans l’indifférence générale, atteignant difficilement le tiers de celles d’un Ardisson des grandes années (2000-2004).
« Il serait temps que les lecteurs du “Monde” et l’intelligentsia comprennent que Cyril va rester dans l’histoire de la télévision. C’est un chef d’entreprise. Vincent Bolloré ne laissera jamais partir Cyril Hanouna, sachant que C8 dépend entièrement de lui. » (Michel Drucker)
Hanouna, lui, pèse entre 1 et 1,5 million de téléspectateurs, ce qui n’est pas énorme. Mais il touche des jeunes et des femmes des milieux populaires et ça, ça intéresse les politiques, qui ne s’adressent en général qu’aux classes aisées, aux lecteurs du Monde et du Figaro, pour résumer. Or, pour gagner une élection, il faut gagner les pauvres, convaincre les non-cultivés. Attention, on n’a pas dit les cons. D’ailleurs, Hanouna a été à ses débuts (il a quand même 20 ans de télé derrière lui) traité de gros con, puis il a fédéré des cons, de plus en plus de cons, pour devenir Baba, le roi des cons. C’est justement ce marché que visent les publicitaires, donc ça tombe bien. Par cons, on entend les catégories populaires qui vont au super ou à l’hypermarché pour consommer. Parce que la télé est l’antichambre du Marché.
On a remarqué une chose : à chaque fois qu’un animateur est dans le vent, il a des ambitions politiques. Il y a 10 ans, Fogiel déjeunait avec Sarkozy. Ardisson, lui aussi, a fricoté avec les sarkozystes, mais sans grand résultat. Aujourd’hui, par le truchement de son homme de main, ou de paille Stéphane Simon, il fricote avec les lieutenants de la droite zemmourienne (Bercoff, Onfray, Goldnadel et cie). Alors rien détonnant à ce que Cyril ait déposé Hanouna 2022, un rêve à la Coluche, curieusement mais logiquement soutenu par Macron, qui a bien compris qu’un Hanouna au 1er tour piquerait des voix populaires ou populistes à ses deux opposants principaux, Marine et Mélenchon. D’ailleurs, Mélenchon a son rond de serviette dans l’émission de débats Balance ton post !, conduite par le pauvre Naulleau… viré à l’occasion de la venue du leader de LFI ! Mais le sens de l’honneur a déserté la télé depuis longtemps.
« Cyril pèse dans le débat politique et tous les politiques veulent venir, fanfaronne Lionel Stan, directeur général de H2O Productions, la société de production fondée et présidée par Cyril Hanouna. Si on peut faire avancer les choses dans le monde de la télévision, pourquoi pas dans la société française et en politique ? ».
À entendre Hanouna, les prétendants à l’Élysée se rueront tous sur le plateau d’une émission prisée des jeunes, où l’on parle de tout, souvent de manière familière. Où l’on peut, comme Jean-Luc Mélenchon, décider que tel chroniqueur (Éric Naulleau, en l’occurrence) ne participera pas aux débats. (Le Monde)
Malin, Hanouna fait entrer dans le débat (politique, sous couvert de divertissement), des lieutenants de Marine et de Mélenchon. Raquel Garrido est passée d’Ardisson (Salut les Terriens !) à Hanouna sur C8, Messiha, quand il était encore au RN, et aujourd’hui à titre personnel, diffuse la pensée nationale-sioniste sur C8 et CNews.
Il n’y a pas de place pour les tièdes, comme dirait le Christ : LRPS, c’est fini, mort, enterré. Les hommes po du PS ou de LR n’intéressent plus grand-monde. Le buzz, c’est avec les deux tendances populistes !
Et avant de penser à inviter Marine (c’est sur les rails), Hanouna a remis en selle Le Pen père, dans une séquence tout à fait inattendue pour ceux qui croyaient encore à un conflit droite/gauche, notamment pour 2022. Le conflit se fera sur une ligne de fracture oligarchie/peuple, libéralisme/souverainisme, on le sait depuis des lustres sur E&R.
Macron joue donc sur du velours en laissant les deux ailes populistes se neutraliser. Aujourd’hui, tout est ingénierie, calcul à trois bandes, big data et manipulation. C’est donc la Schiappa qui a été envoyée par l’Élysée lancer un message à la France populaire, celle des supermarchés.
On ne peut évidemment pas imaginer une seconde qu’elle ait pensé à ça toute seule, même si elle a déjà été défendre son baratin idéologique chez Hanouna. Schiappa est en service commandé et d’ailleurs, quand elle décide toute seule d’une action politique, en général c’est une boulette. La preuve avec sa dernière sortie sur la laïcité, ce hochet pour électeurs qui croient encore à la République :
« Le chef de l’État a sèchement recadré sa ministre déléguée à la Citoyenneté. La raison : sa décision d’organiser des états généraux de la laïcité. « Les Français s’en fichent et moi aussi. » Ce mercredi, en conseil des ministres, Emmanuel Macron a tancé Marlène Schiappa, sa ministre déléguée chargée de la Citoyenneté. L’objet de son courroux : l’initiative de la ministre d’organiser des états généraux de la laïcité en début de semaine, et ce sans en avertir le chef de l’État. Une idée qui n’a visiblement pas plu à Emmanuel Macron, lequel a sévèrement recadré sa ministre.
« On n’a pas besoin de colloque, de forum ou de je ne sais quoi. Si c’est pour regarder le film de Caroline Fourest sur Tariq Ramadan, on l’a déjà vu, on a bien compris », a sèchement envoyé le Président. » (BFMTV)
Il n’y a que chez Charlie et chez les Fourestines (la secte des sœurs anticatholiques hystériques) qu’on croit au concept de laïcité, qui n’est que le faux-nez des forces occultes qui dirigent le pays en sous-main. C’est dans Le Monde, qui consacre un interminable papier de presque 10 pages à Hanouna et ses ambitions, qu’on découvre la proposition de Schiappa :
Marlène Schiappa, pour sa part, veut bien voter Hanouna, mais uniquement en tant qu’animateur. « En 2022, assure-t-elle, c’est lui qui devrait coprésenter le débat de l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle. » Parce que, dit-elle, il a été un des premiers à prendre au sérieux le mouvement des « Gilets jaunes », enfilant en direct la fameuse chasuble et déclarant à l’antenne : « Si on peut faire le relais entre vous et le gouvernement… »
De là à dire que Baba est le relais médiatique de Macron chez les classes populaires…
Schiappa explique en outre que Baba a bien travaillé pour le Système en neutralisant les Gilets jaunes (qui ont eu de la visibilité chez lui) et en « tuant » Génération identitaire :
Autre raison avancée par la ministre chargée de la citoyenneté, avec qui le présentateur a animé un « Balance ton post ! » consacré aux « gilets jaunes », en janvier 2019 : « C’est quelqu’un de brillant, qui connaît la société française. Mais il est de bon ton de cogner sur lui, cela relève du mépris de classe. » En invitant sur son plateau, le 21 janvier, Thaïs d’Escufon, la porte-parole de Génération identitaire, il aurait aussi ouvert les yeux du gouvernement et permis la dissolution du groupuscule d’extrême droite. « C’est grâce à lui ! », soutient Marlène Schiappa.
La télé et les émissions quotidiennes, qu’il anime à un rythme d’enfer, sont devenues trop étroites pour Baba : il veut, comme Fogiel voulait une chaîne (France 3) auparavant, une chaîne, une télé à lui tout seul ! Ce sera probablement Europe 1, que Bolloré (qui a lancé ou plutôt relancé Baba en 2004, via son fils Yannick) est en train de racheter au rabais, avant la grande échéance électorale de 2022. La station ne pèse plus que 5 % d’audience, son positionnement pro-Système l’a littéralement blessée à mort et ce n’est que logique (on n’a pas dit justice, ce serait un jugement de valeur). On sent qu’avec Hanouna, le mélange divertissement-information à la Canal+ va prendre une autre dimension. Mais Bolloré jouera-t-il Macron ou Marine ? De toute façon, il pèsera. Et il est tout à fait possible que par son poids politique montant, il raffermisse ses positions économiques.
Le grand article du Monde, après avoir passé en revue les pressions et menaces d’Hanouna (via son armée de « fanzouzes ») sur Cazarre, Cymes, Le Marchand et autres animateurs, sans oublier Arthur, sa bête noire (et modèle à la fois), se termine sur une note sombre :
On repense pourtant à ce que nous a dit Rachid Arhab : « Cet homme, c’est Janus. Quelqu’un de sincèrement généreux mais aujourd’hui prisonnier d’un système qui fait peur. » On songe surtout à cet avertissement reçu de la part de l’assistant d’une des plus grandes vedettes de la télévision. Joint au téléphone, il nous avait prévenus : « Vous ne savez pas à qui vous vous attaquez avec l’écriture de ce portrait. Vous ne savez pas qui est Cyril Hanouna, qui sont ses amis, de quoi ils sont capables, à quel point il fait peur à tout un tas de gens. » Suivant les préceptes d’Hanouna, on avait souri. Avant de comprendre que notre interlocuteur, lui, ne plaisantait pas.
En réalité, comme dans la fable, ce sont Bolloré et Courbit, associés dans Banijay, le premier groupe de production de programmes indépendant au monde, avec ses 2,7 milliards [1], qui font peur. Tant qu’Hanouna sera adossé à ces deux colosses, il ne risquera rien. Et tout le monde le courtisera, parfois pour profiter de sa popularité, parfois pour le manipuler. Et à ce jeu, Macron est un champion. Hanouna serait-il la balle de ping-pong entre Bolloré et le Président ?
Illustration de la nouvelle puissance d’Hanouna :
la convocation de l’ambassadeur turc pour l’affaire Fabien Azoulay
Le Français Fabien Azoulay a pris 16 ans de prison en Turquie en 2017 pour avoir tenté de passer des produits stupéfiants (du GBL, dit aussi « drogue du violeur »). Devant cette « injustice », Cyril Hanouna a réussi à cuisiner l’ambassadeur turc en plateau. Le fait que Fabien soit juif et homosexuel joue puisqu’il aurait à cause de cela subi des mauvais traitements dans les geôles turques.
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation