
Israël affirme que le président Donald Trump a donné son feu vert à un bombardement de terre brûlée sur Gaza, anéantissant des familles entières et tuant des dizaines de nourrissons et d’autres enfants.
Par Abubaker Abed et Jeremy Scahill
Source : Drop Site News, 18 mars 2025
Traduction : lecridespeuples.substack.com
Note de la rédaction : en raison des attaques israéliennes en cours, Abubaker Abed a transmis son reportage et son témoignage à Jeremy Scahill par téléphone et SMS.
Morgue de l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa à Deir Al-Balah, Gaza, le 18 mars 2025. Photo : Ali Jadallah/Anadolu via Getty Images.
DEIR AL-BALAH, GAZA – Soutenu par les États-Unis, le gouvernement israélien a repris tôt mardi matin ses attaques génocidaires d’une intensité extrême contre Gaza, déclenchant une vague massive de frappes militaires aveugles sur l’ensemble du territoire et tuant plus de 410 personnes, dont un grand nombre d’enfants et de femmes, selon les autorités sanitaires locales. Ce massacre a entraîné l’un des bilans les plus lourds de ces 17 derniers mois et a également coûté la vie à plusieurs membres du gouvernement de Gaza ainsi qu’à un membre du bureau politique du Hamas. L’administration Trump a déclaré avoir été informée avant les frappes, qui ont débuté vers 2 heures du matin, heure locale, et que les États-Unis soutenaient pleinement les attaques israéliennes.
« Le ciel était envahi de drones, de quadricoptères, d’hélicoptères et d’avions de chasse F-16 et F-35. Les tirs de chars et de véhicules n’ont pas cessé », témoigne Abubaker Abed, journaliste collaborateur de Drop Site News, basé à Deir Al-Balah, dans la bande de Gaza. « Je n’ai pas dormi cette nuit-là. J’avais un pressentiment, une angoisse au creux du cœur que quelque chose d’horrible allait arriver. À 2 heures du matin, j’ai essayé de fermer les yeux. Puis, quatre explosions ont secoué ma maison. Le ciel est devenu rouge, obscurci par d’épais panaches de fumée. »
Abubaker raconte que les frappes israéliennes ont commencé la veille au soir avec quatre bombardements à Deir Al-Balah. « Les gémissements des mères et les cris des enfants résonnaient douloureusement à mes oreilles. Ils ont frappé une maison près de chez nous. Je ne savais pas qui appeler. Mes jambes m’ont lâché. Je tremblais de peur et ma famille a été brutalement réveillée », dit-il. « Ma mère suffoquait. Mon père me cherchait. Nous nous sommes regroupés au centre de notre maison, conscients que notre fin était peut-être proche. C’est la même peur qui nous habite depuis seize mois de bombardements incessants. Le cauchemar recommence. »
Les attaques israéliennes ont frappé Gaza du nord au sud, de Rafah et Khan Younis à Deir Al-Balah au centre, jusqu’à Gaza City, où certaines des frappes les plus violentes ont touché des zones déjà réduites à un paysage apocalyptique. Depuis l’entrée en vigueur du « cessez-le-feu » en janvier, plus d’un demi-million de Palestiniens sont retournés dans le nord, beaucoup vivant dans des abris de fortune ou sur les ruines de leurs anciennes habitations.
Les hôpitaux, déjà dévastés par seize mois d’attaques israéliennes incessantes et un manque criant de matériel médical, peinent à faire face à l’afflux massif de blessés. Les autorités locales ont lancé un appel d’urgence aux dons de sang.
Mardi en fin de matinée, le Dr Abdul-Qader Weshah, urgentiste à l’hôpital Al-Awda du camp d’Al-Nuseirat, au centre de la bande de Gaza, décrit la situation : « Nous venons de recevoir un nouvel afflux de blessés après une frappe toute proche. Nous avons pris en charge les victimes. Nous nous préparons simplement à en accueillir d’autres, car de nouveaux bombardements sont attendus », confie-t-il à Drop Site News. « Depuis ce matin, nous sommes bouleversés, réveillés par les cris et la souffrance des gens. Nous avons soigné des dizaines de blessés, principalement des femmes et des enfants. »
Le Dr Weshah explique que certains blessés ont dû être transférés vers d’autres hôpitaux faute de matériel médical. « Nous n’avons pas les moyens. Les hôpitaux de Gaza sont vidés de tout. Ici, il nous manque absolument tout, même des produits essentiels comme des désinfectants et des compresses. Nous n’avons pas assez de lits. Nous n’avons pas la capacité de soigner les blessés. Nous n’avons ni appareils de radiographie, ni IRM, ni même des choses aussi élémentaires que des fils de suture. L’hôpital est plongé dans un chaos sans précédent. Il n’y a pas assez d’équipes médicales. Débordés par l’ampleur des blessures, nous sommes horrifiés et nous ne savons même plus pourquoi nous parlons au monde. Nous travaillons avec moins que le strict minimum. Nous avons besoin de médecins, d’équipements et de fournitures, et des conditions nécessaires pour faire notre travail. »
« Chaque minute, un blessé meurt faute de ressources », déclare Muhammad Abu Salmiya, directeur de l’hôpital Al-Shifa, à Al Jazeera Arabic.
Morgue de l’hôpital Indonesia à Beit Lahia, Gaza, le 18 mars 2025. Photo : Abdalhkem Abu Riash/Anadolu via Getty Images.
Le Dr Zaher Al-Wahidi, directeur de l’unité d’information du ministère de la Santé à Gaza, a déclaré à Drop Site, mardi après-midi, que 174 enfants et 89 femmes avaient été tués dans les attaques israéliennes. Selon les responsables locaux de la santé et des témoins, le bilan devrait s’alourdir considérablement, car des dizaines de personnes seraient ensevelies sous les décombres des bâtiments où elles dormaient lorsque les bombardements ont commencé. « Nous pouvons entendre les voix des victimes sous les gravats, mais nous ne pouvons pas les sauver », a déclaré un responsable médical de l’hôpital Al-Shifa, à Gaza. Des vidéos publiées sur les réseaux sociaux par des Palestiniens de Gaza montrent des scènes insoutenables de corps inanimés de nourrissons et de jeunes enfants tués dans les bombardements.
Zinh Dahdooh, étudiante en chirurgie dentaire à Gaza, a mis en ligne un enregistrement audio de ses voisins hurlant alors que leur abri était bombardé, les piégeant sous les décombres. « Cette nuit, ils ont bombardé nos voisins », a-t-elle écrit sur le réseau social X. « Ils ont continué à crier jusqu’à ce qu’ils meurent, et aucune ambulance n’est venue les secourir. Combien de temps sommes-nous censés vivre dans cette peur ? Combien de temps encore ? »
D’après les autorités sanitaires locales, de nombreuses frappes ont touché des immeubles ou des maisons où vivaient plusieurs générations d’une même famille. « Israël a anéanti au moins six familles dans ses frappes. L’une d’elles venait de ma ville natale. Les autres étaient de Khan Younès, de Rafah et de la ville de Gaza. Certaines ont perdu cinq ou dix membres. D’autres ont vu disparaître une vingtaine de proches », rapporte Abubaker. « Nous parlons de familles exterminées, des enfants aux personnes âgées. Aujourd’hui, la famille Gharghoon a été bombardée à Rafah. Les frappes ont tué le père et ses deux filles. Leur mère, leurs grands-parents, ainsi que leurs oncles et tantes ont également été assassinés, effaçant toute la famille des registres d’état civil. Il s’agit de l’anéantissement de familles entières. Parmi les attaques israéliennes à Deir al-Balah, Israël a bombardé les maisons des familles Mesmeh, Daher et Sloot. Plus de dix personnes, dont sept femmes, de la famille Sloot ont été tuées, les rayant entièrement de l’existence. Il en a été de même pour les familles Abu-Teer, Barhoom et d’autres encore. C’est une extermination délibérée. C’est un génocide. »
Mardi, le Jihad islamique palestinien a confirmé que « Abu Hamza », porte-parole de son aile militaire, les Brigades Al-Qods, avait été tué avec sa femme et plusieurs membres de sa famille.
L’enfer sur terre
Des responsables israéliens ont déclaré avoir reçu le « feu vert » du président Donald Trump pour reprendre les bombardements intensifs sur Gaza en raison du refus du Hamas d’obéir à sa directive exigeant la libération immédiate de tous les prisonniers israéliens. « Tous ceux qui cherchent à terroriser non seulement Israël, mais aussi les États-Unis d’Amérique, en paieront le prix », a déclaré Karoline Leavitt, porte-parole de la Maison-Blanche, sur Fox News. « L’enfer va se déchaîner. »
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a publié une déclaration affirmant qu’« Israël va désormais agir contre le Hamas avec une puissance militaire croissante ». Selon les médias israéliens, la décision de reprendre les frappes intensives sur Gaza avait été prise une semaine plus tôt et ne répondait à aucune menace imminente du Hamas. Israël, qui a violé à plusieurs reprises le cessez-le-feu entré en vigueur le 19 janvier, cherche à imposer de nouvelles conditions dans une tentative flagrante de justifier l’abandon total de l’accord.
« C’est inadmissible », a dénoncé Muhannad Hadi, coordinateur humanitaire de l’ONU pour les territoires palestiniens occupés. « Un cessez-le-feu doit être rétabli immédiatement. La population de Gaza a enduré des souffrances inimaginables. » Aggravant la crise dans les hôpitaux de Gaza, Israël a récemment commencé à bloquer l’entrée de personnel médical international dans la bande de Gaza à un rythme sans précédent, dans le cadre d’une nouvelle politique radicale limitant drastiquement le nombre d’organisations humanitaires autorisées à y opérer.
Des panaches de fumée s’élevaient du centre de Gaza au moment où Israël intensifiait ses bombardements, dans la nuit de lundi à mardi.
Abubaker Abed a décrit la scène depuis son domicile au centre de Gaza :
« Nous étions tous réunis dans la même pièce, et les tirs d’obus n’ont jamais cessé. Les rafales soutenues étaient terrifiantes. Les avions et les chars continuaient à faire feu sans répit. Le bourdonnement des drones s’est intensifié. C’était une scène d’enfer. Cela a duré jusqu’à maintenant, et ça ne s’est pas arrêté.
Deux hélicoptères sont apparus dans le ciel, planant au-dessus de nos têtes. Ils ont tiré plusieurs fois avant de tourner en rond, terrorisant la population. Puis ils ont quitté le ciel, et un bombardement d’une violence inouïe s’est abattu tout près. Le hurlement des sirènes d’ambulance résonne encore dans mes oreilles. Les secouristes se précipitent vers les zones touchées.
On avait l’impression que les tirs d’obus ne s’arrêteraient jamais. C’est l’heure la plus terrible que j’aie vécue, pire encore que cette guerre génocidaire qui dure depuis près d’un an et demi. »
La nuit dernière, alors que les attaques étaient en cours, l’armée israélienne a publié sur les réseaux sociaux des messages en arabe ordonnant aux Palestiniens de toute la bande de Gaza d’« évacuer » vers des zones qu’Israël affirme être des « zones de sécurité ». Tout au long de la guerre, Israël a bombardé à plusieurs reprises des zones où il avait ordonné aux Palestiniens de fuir. Ces ordres, qui déclarent également que de vastes zones le long de la frontière entre Gaza et Israël sont interdites aux Palestiniens, indiquent qu’Israël pourrait envisager de redéployer ses forces terrestres plus profondément dans l’est de Gaza.
Israël a affiché un avertissement en arabe sur X ordonnant aux Palestiniens de plusieurs secteurs d’« évacuer immédiatement ». Source : armée israélienne sur X.
« Israël affame et tue ensuite les enfants. »
Depuis la signature de l’accord de cessez-le-feu avec le Hamas le 17 janvier, Netanyahou mène une campagne de sabotage et de provocation, violant ouvertement les termes de l’accord en entravant ou en bloquant purement et simplement l’acheminement de l’aide vers Gaza. Pendant la première phase de 42 jours de l’accord, Israël a autorisé l’entrée de nourriture et d’autres fournitures, mais a refusé d’y laisser passer la quasi-totalité des 60 000 maisons mobiles et des 200 000 tentes prévues. Israël a également poursuivi ses frappes de drones et d’autres attaques militaires à Gaza pendant toute la durée du cessez-le-feu, tuant au moins 130 Palestiniens.
Le 2 mars, à l’issue de cette première phase, Israël a annoncé un blocus total de toute aide, y compris alimentaire et médicale, et a repris sa politique consistant à utiliser la famine comme arme de guerre. Le 9 mars, Israël a également coupé l’approvisionnement en électricité de Gaza, forçant une importante usine de dessalement à réduire drastiquement sa production, limitant ainsi gravement l’accès à l’eau potable pour 600 000 personnes à Deir al-Balah et Khan Younis.
Abubaker rapporte que depuis l’imposition du blocus total sur Gaza, les stocks alimentaires et autres ont rapidement diminué, tandis que les prix ont flambé. Selon lui, une pomme de terre coûte désormais 4 dollars et un oignon 2 dollars, à condition d’en trouver.
« Nous ne savions pas quoi manger pour le Suhoor (repas avant l’aube durant le Ramadan). Nous avons gardé du pain plusieurs jours pour le manger avec un peu de fromage blanc », a-t-il raconté. « Nous manquons de nourriture, comme toute la bande de Gaza. »
Les familles tuées lors des attaques israéliennes de mardi « n’avaient rien à manger, puis elles ont été bombardées et tuées », a ajouté Abubaker. « Israël affame et tue ensuite les enfants. »
Israël, manifestement enhardi par ce qu’il affirme être un accord parallèle avec l’administration Trump lui permettant de reprendre la guerre s’il jugeait que le cessez-le-feu n’était pas dans son intérêt, a refusé d’envoyer des négociateurs pour finaliser les modalités de mise en œuvre de la deuxième phase de l’accord sur Gaza. Selon l’accord signé par Israël, ces négociations devaient débuter le 3 février. Durant cette seconde période de 42 jours, le Hamas avait accepté de libérer tous les captifs israéliens encore détenus dans la bande de Gaza, tandis qu’Israël devait retirer l’ensemble de ses forces d’occupation restantes de Gaza.
Dès le départ, Netanyahou a clairement indiqué qu’il n’avait pas l’intention de respecter un accord au-delà de la première phase et a assuré à son cabinet de sécurité nationale qu’il chercherait à obtenir la libération du plus grand nombre possible de captifs israéliens sans se conformer aux termes initiaux des deuxième et troisième phases de l’accord, pourtant acceptés par Israël. Au lieu de cela, Israël a refusé d’envoyer des négociateurs de haut niveau aux pourparlers techniques et a imposé au Hamas des conditions et exigences entièrement nouvelles.
« La décision de Netanyahou de reprendre la guerre revient à sacrifier les prisonniers de l’occupation et à leur infliger une condamnation à mort », a déclaré Izzat al-Risheq, membre fondateur du Bureau politique du Hamas. « L’ennemi n’obtiendra pas par la guerre et la destruction ce qu’il n’a pas réussi à obtenir par la négociation. »
Depuis une semaine, des médiateurs internationaux des États-Unis, du Qatar et de l’Égypte rencontrent Israël et le Hamas afin d’examiner les moyens de relancer le processus de négociation. L’envoyé spécial de Trump au Moyen-Orient, le milliardaire Steve Witkoff, a présenté ce qu’il a qualifié de « proposition de transition » visant à prolonger le cessez-le-feu jusqu’à la fin du mois sacré du Ramadan. Alors que les négociations se poursuivaient, lui et le gouvernement israélien ont accusé le Hamas d’avoir rejeté cette proposition.
« Le président Trump a clairement indiqué que le Hamas devait soit libérer les otages immédiatement, soit en payer le prix fort », a déclaré Witkoff vendredi dernier. « Le Hamas fait une grave erreur en pariant que le temps joue en sa faveur. Ce n’est pas le cas. Le Hamas connaît parfaitement l’échéance et doit comprendre que nous réagirons en conséquence si elle est dépassée. »
Les représentants du Hamas ont affirmé être entrés dans ce nouveau cycle de négociations de bonne foi et se sont dits disposés à libérer Edan Alexander, un citoyen américano-israélien qui servait dans l’armée israélienne lorsqu’il a été capturé par des combattants du Hamas lors des attaques du 7 octobre. Le groupe a également déclaré qu’il remettrait les corps de quatre captifs décédés détenteurs de passeports américains.
Alors que les États-Unis et Israël ont accusé le Hamas d’avoir rejeté l’accord, celui-ci a maintenu avoir respecté les termes initiaux et exigé des médiateurs internationaux qu’ils contraignent Israël à en faire de même.
« Le Hamas a respecté l’accord jusqu’au dernier moment et souhaitait le poursuivre, mais Netanyahou, cherchant une issue à ses crises internes, a préféré relancer la guerre au prix du sang de notre peuple », a déclaré le Hamas dans un communiqué.
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Source: Lire l'article complet de Le Cri des Peuples