Le Monde Diplomatique, février 2025 par Bernard GENSANE

Le Monde Diplomatique, février 2025 par Bernard GENSANE

Dans son éditorial, Benoît Bréville que le monde de la “ technologie ” s’est promptement rallié à Donald Trump : « Avec leur capitalisation boursière à faire pâlir un produit intérieur brut, leur mainmise sur la diffusion de l’information et leur omniprésence dans les interactions sociales, les géants américains du numérique avaient fini par paraître plus puissants que les États. Battre monnaie (virtuelle) ou conquérir l’espace, leur appétit régalien semblait sans limites.

La soumission spectaculaire des dirigeants de la tech à M. Donald Trump révèle cependant des rois nus, dépendants du pouvoir politique. M. Jeff Bezos, le patron d’Amazon, reçoit des dizaines de milliards de dollars grâce à ses multiples contrats avec l’État fédéral. M. Mark Zuckerberg, le fondateur de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp), compte sur la Maison Blanche pour échapper aux amendes colossales que pourraient lui valoir, en Europe et aux États-Unis, ses violations des règles antitrust. Tous deux redoutent la colère de M. Trump. En juin 2018, lors de son premier mandat, un simple tweet du milliardaire ciblant Harley-Davidson avait fait dévisser de 10 % l’action du fabricant de motos. MM. Zuckerberg, Bezos ou encore Sam Altman, fondateur d’Open AI, qui commercialise ChatGPT, multiplient donc les marques d’allégeance. Naguère apôtre de la diversité et de l’inclusion, le premier célèbre désormais l’“ énergie masculine ” et s’insurge contre la « censure des propos conservateurs » sur les réseaux sociaux. Au XIème siècle, les princes s’agenouillaient devant le pape pour qu’il lève leur excommunication. Mille an plus tard, les barons du numérique baisent l’anneau du président. »

Raúl Guillén et Vincent Peyret se demandent si nos batteries ne vont pas exploser : «  La faillite du suédois Northvolt douche les espoirs d’une filière européenne des batteries. Elle interroge aussi la priorité accordée aux véhicules particuliers, alors que l’électrification ne présente des bénéfices environnementaux que pour les transports en commun, alimentés en continu par le réseau. Car le recours croissant aux accumulateurs rechargeables présente des écueils trop souvent négligés. »

Maëlle Mariette montre un monde étudiant désarçonner, ne sachant plus s’il faut se résigner ou lutter : « Dans un pays où un étudiant sur cinq ne mange pas à sa faim, pourquoi la contestation estudiantine semble-t-elle aussi atone ? Pour celles et ceux qui s’engagent malgré tout, les réponses sont multiples. La précarité empêche la mobilisation, la défiance à l’égard de la politique pénalise les syndicats, et les grands thèmes fédérateurs sont rares. État des lieux d’une jeunesse ballottée d’une réforme à l’autre. »

Clara Serra demande de quoi le consentement est-il le non ? : « Après le procès des viols subis par Mme Gisèle Pélicot, des voix s’élèvent pour réclamer l’introduction dans la loi de la notion de consentement. Lorsqu’elle se résume à la formule « seul un oui est un oui », cette solution semblant aller de soi entraîne des conséquences politiques inquiétantes exposées par la philosophe Clara Serra dans un livre qui vient de paraître.

Peter Geoghegan estime que les travaillistes britannique sont « sous influence » : La presse britannique le laissait récemment entendre : en vue des prochaines élections locales, M. Elon Musk pourrait donner 100 millions de dollars à la droite radicale menée par M. Nigel Farage. Mais, pour revenir au pouvoir en juillet dernier, le Parti travailliste a lui aussi profité de la générosité du monde des affaires… qui désormais attend un retour sur investissement. »

En revanche, les Verts sont devenus, selon Fabian Scheidler, un moteur du militarisme allemand : « Récession économique, montée de l’extrême droite, politique étrangère erratique : l’Allemagne aborde les élections législatives anticipées du 23 février en situation de crise. Donnés favoris, les conservateurs devront composer avec les sociaux-démocrates, et peut-être aussi avec les Verts. Ce parti, naguère pacifiste, apparaît désormais comme le fer de lance du nouveau bellicisme allemand. »

Pour Alexeï Sakhnine et Lisa Smirnova, la chasse aux migrants en Russie est commencée : « Il y a dix ans, la Russie comptait de très nombreux migrants. Désormais, les ressortissants des pays limitrophes cherchent de nouvelles destinations. L’emballement nationaliste, provoqué par la guerre et par l’attentat islamiste du Crocus City Hall en mars 2024, s’est traduit par une traque aux travailleurs illégaux. Au point de pénaliser l’économie de guerre en la privant de main-d’œuvre. »

Renaud Lambert dénonce, en Corée du Sud, un coup d’État révélateur : « On crut d’abord à l’un des fiascos les plus retentissants dans l’histoire mondiale des coups d’État. Il fallut en effet moins de six heures pour qu’échoue celui tenté par le président sud-coréen Yoon Suk-yeol, le 3 décembre 2024. Mais, au fil des jours, le scénario d’une opération digne des Pieds nickelés céda la place à une autre interprétation des faits, autrement préoccupante. »

Dominique Connan décrit la nouvelle passion des élites kényanes : le golf : « Arpenter le green, club à la main, en évitant que son swing n’envoie la balle dans le bunker tout en ayant des considérations d’élévation sociale en tête. Comme c’est le cas partout dans le monde, pratiquer le golf au Kenya est une question de standing et de réseautage. Les classes moyennes et supérieures, le plus souvent masculines, y copient l’entre-soi des colons anglais. Et la politique n’est jamais loin. »

Un fort dossier sur l’exception comme règle : « À peine installé à la Maison Blanche, le président Donald Trump a décrété l’état d’urgence à la frontière mexicaine afin de bloquer les flux migratoires. Dans les démocraties libérales, le recours à des dispositifs dérogatoires au nom de circonstances extraordinaires se banalise. Attentats, émeutes urbaines, pandémies ou grands événements sportifs justifieraient la restriction des libertés publiques : l’extension des contrôles de police, la généralisation de la surveillance, l’érosion des contrôles judiciaires ainsi que des droits de la défense. Présentées comme temporaires, ces mesures se pérennisent et l’exception devient la règle. Des principes tels que l’égalité devant la loi sont désormais rognés au nom de l’innovation technologique. Le débat sur la désobéissance civile s’en trouve renouvelé, alors que les démocraties traversent une nouvelle phase autoritaire de leur histoire. »

Anne-Cécile Robert observe le recul des libertés : « Nous en avons assez des lettres de cachet. Nous en avons assez d’être mis en prison pour des raisons secrètes. Nous en avons assez du scandale quotidien qui nous est révélé chaque jour au réveil, et qui, le soir venu, tombera dans l’oubli. Nous en avons assez des ministres falots qui prétendent nous diriger, alors qu’ils ne savent pas se conduire bien eux-mêmes ! » L’apostrophe de Beaumarchais – dans le film d’Édouard Molinaro (1996) – à un tribunal aux ordres de la monarchie rappelle que 1789 est aussi une révolution juridique. Contre l’arbitraire et pour la justice. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 affirme l’égalité devant la loi et confie aux élus de la nation la mission de définir, en public et après débat, les crimes et délits. Elle énonce les garanties accordées aux citoyens, telles la séparation des pouvoirs ou la présomption d’innocence, la soumission du pouvoir exécutif et de la police à l’intérêt général, ou encore celle des peines de prison à leur stricte nécessité. »

Tandis que Vincent Brengarth et Antoine Ory observent l’érosion à bas bruit des droits de la défense : « Le 6 janvier, le garde des sceaux Gérald Darmanin reprochait à certains avocats de « travailler non pas à l’innocence de leurs clients mais [à] emboliser la procédure judiciaire ». En réalité, depuis quelques années, ce sont plutôt les réformes de cette procédure qui tendent à compliquer la défense des personnes mises en cause par la police ou la justice. »

Et que Félix Tréguier ne s’étonne plus des privilèges des start-ups : « Conçus pour assouplir le cadre légal en vue de favoriser l’innovation, les « bacs à sable réglementaires » offrent aux entreprises de technologie des conditions dérogatoires au droit commun, notamment en termes de protection de la vie privée. Ils relèvent d’une logique de dérégulation qui reconfigure l’État au bénéfice des acteurs de marché et au détriment des libertés publiques. »

Vincent Sizaire explique que, pour beaucoup, il vaut mieux résister que désobéir : « Comment faire face à l’autoritarisme ambiant ? Aux menaces sur les libertés individuelles ? Faut-il, telle Antigone face à Créon, désobéir – au nom de sa seule conscience – aux lois de la cité jugées injustes voire scélérates ? Une autre voie mérite d’être explorée, qui consiste non pas à enfreindre la légalité mais à se battre pour sa pleine application. »

Pour Victor de la Fuente et Libio Pérez, les fruits de l’“ estallido social ” sont amers : « Depuis la révolte populaire de 2019, qui a fait trembler le pouvoir de droite de l’époque, le pays a connu plusieurs consultations en vue de remplacer sa Constitution héritée de la dictature — sans aboutir —, et la gauche a gouverné. Cinq ans après l’événement historique, qu’en reste-t-il ? Tentative de bilan alors que les élections générales se profilent. »

Peter Harling (“ Dans le miroir des guerres d’Israël ”) revient sur une trève qui ne résout pas tous les problèmes : « Tel-Aviv et le Hamas ont conclu un accord de trêve jusqu’à fin février. L’arrêt définitif des hostilités, le retrait de l’armée israélienne de Gaza ainsi que la libération des otages et des prisonniers feront l’objet de nouvelles négociations. Si les perspectives de paix demeurent fragiles, des enseignements doivent d’ores et déjà être tirés du conflit qui a ravagé l’enclave palestinienne. »

Bernard Pudal voit en Jean-Marie Le Pen un mémorialiste de lui-même : « Jean-Marie Le Pen est décédé le 7 janvier 2025. Son destin s’inscrit dans l’histoire de l’extrême droite depuis la fin de la seconde guerre mondiale, de sa disqualification à sa progressive relégitimation. Au point que le parti qu’il a contribué à fonder en 1972, le Front national (FN), devenu Rassemblement national (RN), frappe aux portes du pouvoir. En analysant ses « Mémoires », on peut restituer le rôle qu’il a joué. »

Pour Rémi Cayrol, la France n’en a pas fini avec Mayotte (“Mayotte ou les embarras de Paris ») : « Acquise par la France en 1841, Mayotte en est aujourd’hui le territoire le plus pauvre. Son sous-­développement et l’état calamiteux de ses infrastructures découlent des atermoiements politiques d’un pays dont les dirigeants successifs n’ont jamais considéré l’île comme une priorité. Le gouvernement de M. François Bayrou fera-t-il exception ? »

Un article original de Christophe Apprill (“ Un pas de deux avec le politique ”) : « Ce qui va s’appeler l’art chorégraphique naît au xviie siècle. Le pouvoir entend l’opposer à la tradition populaire ; il va instaurer de ce fait une partition et une hiérarchisation durables. Dans les années 1980, c’est la danse contemporaine qui est instituée comme norme de distinction, tandis que l’art est censé pallier les maux du capitalisme. »

Enfin, Serge Halimi et Pierre Rimbert dénoncent “ Un journalisme de guerre froide ” : « Dans l’ombre, ils influencent les esprits, infiltrent les services secrets, inspirent les décideurs européens. Ils manipulent les réseaux sociaux, propagent le mensonge, propulsent des inconnus à la magistrature suprême. Ils sèment la discorde, empoisonnent des innocents, sabotent des installations. Et ils sont partout : à la tête des médias, dans les corridors de Buckingham Palace, dans le bureau Ovale de la Maison Blanche. Qui sait, dans ces colonnes aussi ? Les Illuminati ? Non, plus fort encore : les espions russes ! Depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, des centaines d’articles, des documentaires, des émissions de radio et de télévision, et déjà près d’une dizaine d’ouvrages, alertent en France sur la puissance des agents de renseignement du Kremlin, si infaillibles qu’ils furent incapables de prévoir la déroute de l’Armée rouge en Afghanistan, la fin de l’Union soviétique, la résistance ukrainienne à l’invasion russe. »

En illustration : “ The Dream ” (Le rêve) de Peter Martensen (2008).

Ceci était ma 300ème recension de l’illustre mensuel !

Adblock test (Why?)

Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You