Auschwitz et la manipulation de l’histoire par Jean-Pierre PAGE

Auschwitz et la manipulation de l’histoire par Jean-Pierre PAGE

Le 27 janvier 1945, il y a exactement 80 ans, la 100e division de la 60e armée de Voronej de l’Armée Rouge, s’emparait du camp d’Auschwitz au prix de 66 tués et libérait les 7000 survivants qui s’y trouvaient. Un débat du Centre Valdai à Moscou. Intervention de Jean Pierre Page.

Aujourd’hui tout à leur russophobie, les négationnistes contestent le terme de « libération », avec l’argument que la prise d’Auschwitz n’était pas un objectif militaire, voir pire qu’il s’agissait d’un hasard et de la découverte imprévue de ce qui fût plus le grand camp de la mort conçu par les nazis. Ces arguments scandaleux ne résistent pas aux faits et cela d’autant qu’après la libération de l’Union soviétique, l’armée rouge accomplissait celle de toute la Pologne. Elle le fit avant de porter le coup mortel au nazisme libérant ainsi toute l’Europe. L’URSS mis ainsi un terme à des années de guerre qui auront entrainé des destructions innombrables et plus de 60 millions de morts.

En simplifiant des faits complexes pour renforcer leur vision idéologique, de nombreux leaders occidentaux, leurs experts, leurs historiens de circonstance, leurs journalistes réécrivent l’histoire pour servir des intérêts politiques à court terme.

Ce 80e anniversaire de la libération d’Auschwitz fait l’objet d’une instrumentalisation dans un contexte international caractérisé par les conflits, les guerres mais aussi le déclin inexorable de l’Occident. Comme nous le savons Auschwitz est étroitement associé à la Shoah et à la solution finale de ce que les hitlériens appelaient le problème juif. Cette histoire tragique donne lieu aujourd’hui et à l’occasion à un amalgame indécent associant shoah, antisémitisme, évènements du 7 octobre et donc Gaza. Comme si le problème palestinien serait à l’origine d’un regain d’antisémitisme qui établirait une relation avec Auschwitz et les nazis qui en furent les initiateurs.

Etablir une relation entre ces derniers et la nation palestinienne luttant pour son autodétermination et sa décolonisation est à mes yeux intolérable. Nous ne saurions oublier en effet que l’établissement de l’entité sioniste en Palestine est le résultat du rapport et du lien que firent les occidentaux entre la Palestine et le problème des réfugiés juifs en Europe à la fin de la seconde guerre mondiale. Ces derniers n’étaient pas les victimes des Arabes, mais de l’antisémitisme en Europe dont la manifestation extrême fut l’holocauste par notamment la mise des camps d’extermination mis en place par les nazis dont Auschwitz.

C’est pourquoi, il faut « cesser de se moquer de l’Histoire » !

A travers cette hystérie antirusse, il y a d’abord un insupportable manque de respect pour la mémoire de ces 27 millions de soviétiques qui ont donné leur vie pour la libération de l’Europe, et parmi eux les 65 000 prisonniers soviétiques qui furent assassinés à Auschwitz. Comment pourrions-nous accepter une telle manipulation de l’histoire mondiale ?

Récemment un média étasunien a annoncé que c’était les troupes étasuniennes qui avaient libéré Auschwitz avant de s’excuser de son erreur. L’une des toutes premières études de l’IFOP, plus vieil institut de sondage français, a posé cette question à la fin de la Seconde Guerre mondiale et 70 ans plus tard : « Quelle est, selon vous, la nation qui a le plus contribué à la défaite de l’Allemagne en 1945 ? » La Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou l’URSS ? A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Français répondirent à plus de 60% que les Russes sont ceux qui ont le plus contribuer à la défaite des nazis. Les Etats-Unis et l’Angleterre ne recueillaient respectivement que 20% et 12%. Soixante-dix ans plus tard, la réponse au même sondage donne des résultats totalement inversés. L’opinion publique française considère à 58% que ce sont les Etats-Unis qui ont eu le rôle principal dans la défaite de l’Allemagne. Il est vrai que le cinéma étasunien a revisité la Seconde Guerre mondiale avec contrevérités, inexactitudes et même un certain charlatanisme.

En 2020, lors de la commémoration du 8 mai marquant la victoire sur l’Allemagne Nazie, la Russie n’a pas été invitée, et l’URSS n’a simplement pas été citée, comme si elle n’avait pas participé au conflit ! Alors comment s’en étonner ?

Que dira-t-on dans les prochaines années ? On nous expliquera peut-être que c’est l’union Soviétique et Staline qui ont déclenché la guerre. C’est pourtant ce qu’affirme déjà le Parlement Européen.

Ainsi en septembre 2019, ce dernier a stigmatisé à travers le vote d’une résolution sur le nazisme et le communisme en tirant un signe égal entre les deux. Ce qui frappe d’emblée, c’est que cette résolution cumule les erreurs historiques grossières.

Pour celle-ci par exemple la Seconde Guerre mondiale a eu pour élément déclencheur le pacte germano-soviétique. Nous sommes donc là face à une réécriture de l’histoire qui privilégie une vision idéologique et exclusive qui relève de la pure propagande. La résolution du parlement européen fait ainsi silence sur les politiques d’apaisement, les complicités puis les ralliements à l’Allemagne hitlérienne des classes dirigeantes de la plupart des pays occidentaux. Ainsi les accords de Munich, ou encore l’Anschluss ne sont pas évoqués.

En réduisant l’origine de la Seconde Guerre mondiale au seul « pacte de non-agression germano-soviétique », la résolution considère tant l’Allemagne nazie que l’URSS comme co-responsables de ce conflit mondial et les met sur le même pied. Or, à quelques rarissimes exceptions près, aucun historien sérieux n’a jamais douté du fait que lors de la Seconde Guerre mondiale, les agresseurs étaient l’Allemagne nazie, l’Italie et le Japon fascistes. Les eurodéputés en soutenant ce texte contredisent ainsi les conclusions du Tribunal de Nuremberg. Cette falsification grossière de l’histoire aboutit à mettre sur un pied d’égalité ceux qui ont construit le camp d’extermination d’Auschwitz et l’Armée rouge qui en a libéré les survivants.

Cette résolution à effacer toutes traces de l’histoire légitime depuis, la destruction de monuments historiques célébrant par exemple la contribution de l’Armée rouge à la victoire contre le fascisme comme c’est le cas dans les pays baltes et bien sûr en Ukraine, à réécrire les cours d’histoire pour en retirer les aspects qui seraient jugés trop positifs pour les anciens régimes communistes, en ignorant le rôle de la résistance patriotique ou encore pour rebaptiser les rues. En fait, on atteint là une extrémité dont le but non avoué est de rendre impossible le devoir de mémoire.

N’est-ce pas le prix Nobel de littérature Thomas Mann qui écrivait en 1942 : « Placer sur le même plan moral le communisme russe et le fascisme, en considérant que tous les deux seraient totalitaires, est dans le meilleur des cas de la superficialité, dans le pire, c’est du fascisme. Ceux qui insistent sur cette équivalence peuvent bien se targuer d’être démocrates, en vérité, et au fond de leur cœur, ils sont des fascistes ; et à coup sûr ils ne combattront le fascisme qu’en apparence et de façon non sincère, mais réserveront toute leur haine au communisme ».

Dans le même temps, il existe toute une rhétorique qui disqualifie les tenants de l’ordre libéral. Ainsi « Make America Great Again », l’idée d’une « Troisième Rome », la « renaissance de l’esprit germanique », ou encore « la mission de civilisation de la colonisation » non seulement évacuent les spoliations, les pillages, les prédations, les massacres et d’autres holocaustes, mais elles continuent à témoigner également d’une résurgence des ambitions hégémoniques qui menacent l’humanité toute entière.

Ainsi dans le prolongement de cette résolution de 2019, le Parlement européen s’est livré le 17 janvier 2024 à nouvel exercice sur le passé en écrivant pour le présent. Avec une nouvelle résolution qui ne se contente plus de réécrire l’histoire, mais qui en fait appelle à effacer toute trace de l’histoire réelle en créant « une nouvelle culture mémorielle partagée ». Cette résolution invite par exemple les états membres à actualiser leurs programmes d’études et méthode d’enseignements existants afin de faire passer l’histoire européenne avant l’histoire nationale de chaque état afin nous dit-on de remettre en cause les stéréotypes et « les vaches sacrées » des histoires nationales.

Comment s’étonner, alors que l’on remplace la pensée critique par des slogans et des récits émotionnels, simplifiant les faits et appauvrissant le débat public ? La société se voit ainsi limitée dans sa capacité à analyser de manière nuancée son propre passé, sa complexité et ses contradictions. La montée de récits révisionnistes et de « vérités alternatives » témoigne de cette dévaluation de l’analyse historique rigoureuse. Enfin, la légitimité des institutions académiques et éducatives est érodée. Cette tendance, fragilise les institutions scientifiques et éducatives, compromettant leur rôle essentiel de gardiens de l’histoire.

Cette simplification et instrumentalisation de l’histoire ont des effets dévastateurs pour les sociétés d’autant que les symboles autrefois unificateurs deviennent des sujets de discorde. C’est dire les dangers et la responsabilité qui est la notre tout particulièrement à l’égard de la jeunesse et des nouvelles générations de mener ce combat en faveur de l’histoire. Nous le devons au plus de 1 million de victimes des camps d’Auschwitz-Birkenau dont 90% étaient juives, mais aussi tziganes, prisonniers de guerre soviétiques et polonais et résistants dont plusieurs membres de ma famille.

Comme le disait Berthold Brecht « Le ventre est encore fécond d’ou a surgit la bête immonde ».

Pour toutes ces raisons et ces sacrifices notre mémoire collective ne peut oublier. C’est pourquoi, l’exclusion de la Russie des commémorations du 80e anniversaire est profondément inacceptable.

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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