Il y en a certains qui aiment poser la question « pourquoi de l’immigration? » Comme nous avons pourtant souligné dans la chronique précédente, la migration humaine existe depuis le début des temps; elle est normale et inévitable. L’important est de bien la gérer pour s’assurer qu’elle demeure une force positive.
La vraie question donc est « De l’immigration pour quoi? » « Quelles sont nos attentes relatives à notre gestion de l’immigration? »
C’est la question la plus importante et la plus complexe à résoudre lors des consultations à venir ce printemps au Québec sur la planification pluriannuelle d’immigration. Les objectifs de cette planification seront très spécifiques au Québec compte tenu de sa situation géopolitique, linguistique et culturelle.
Convenons d’abord que l’immigration n’est pas la seule réponse aux défis québécois, ni la seule cause de ceux-ci. Elle constitue un élément qui peut aider à régler certains problèmes actuels, mais qui peut aussi les exacerber. D’où l’importance de bien la gérer et de trouver l’équilibre nécessaire.
La planification de l’immigration au Québec comprend traditionnellement deux types d’objectifs, des objectifs sociétaux et ceux du nombre et du rythme des arrivées1.
Objectifs sociétaux complexes
Les objectifs sociétaux incluent les enjeux, tels que la démographie, la langue française, l’économie et le marché du travail, les considérations humanitaires et familiales. Ces objectifs font appel aux caractéristiques ou aux critères de sélection des personnes qui arrivent (âge, langue, expérience de travail, domaine de formation, région de destination) ainsi qu’à la proportion de l’immigration permanente qui sera accordée à chaque catégorie — économique, humanitaire et familiale.
La démographie, par exemple, comprend plusieurs volets – le vieillissement de la population, le taux de fécondité et même les déplacements internes et externes.
Quels sont nos objectifs sur le plan de la démographie? Voulons-nous augmenter la taille de la population du Québec, la maintenir à peu près telle quelle, ou sommes-nous à l’aise avec une baisse de la population? Quelle priorité faut-il donner à l’enjeu du poids démographique du Québec au sein du Canada? Quelle structure des âges visons-nous? Quelle est l’importance de la rétention des personnes immigrantes et de la répartition de la population sur le territoire?
Les réponses à ces questions détermineront notamment l’importance de l’âge et de jeunes familles parmi les critères de sélection, ainsi que la connaissance du français. La connaissance du français et la présence de jeunes enfants sont deux facteurs qui jouent sur le taux de rétention des personnes qui arrivent.
De plus, les enfants d’âge scolaire contribuent à la pérennité de la langue française grâce à l’obligation de fréquenter des écoles françaises. Il est également à noter qu’il y a plus d’enfants de moins de 15 ans parmi les admissions de la catégorie familiale.
En ce qui concerne les objectifs économiques, comme notés dans l’Énoncé en matière d’immigration et d’intégration adopté en 1991 à la suite de la signature de l’Accord Canada-Québec, ils « permettent de concilier à la fois les motivations de l’immigrant et les intérêts de la collectivité québécoise. En effet, l’immigrant veut pour sa part améliorer son sort et celui de ses descendants; la société d’accueil, quant à elle, veut faire appel au potentiel de l’immigrant en fonction de ses besoins. »
Pour y arriver, d’une part, les économistes prônent la sélection des personnes hautement qualifiées qui travailleront dans les industries de pointe et qui pourront s’adapter à l’évolution des exigences du marché du travail. Les critères de sélection importants sont donc l’expérience de travail et la formation recherchées.
Ces personnes apportent de l’innovation et contribuent au développement et, avec des salaires plus élevés, elles paient plus d’impôts, contribuant ainsi au filet social qui sert à l’ensemble de la population.
D’autre part, le patronat signale que ces personnes sont souvent surqualifiées pour plusieurs des secteurs qui sont en pénurie de main-d’œuvre actuellement, particulièrement en région. Il ne faut pas oublier cependant que les personnes peu éduquées à bas salaire, immigrantes ou nées au Québec, ont besoin de soutien pour améliorer leur sort. L’intégration socioéconomique réussie est plus longue.
Quelles sont les priorités économiques au Québec qui détermineront le rôle que jouera l’immigration et les critères de sélection à favoriser? Quelle est la proportion à donner à la catégorie économique de l’immigration en équilibre avec les catégories familiales et humanitaires?
Enfin, en matière de langue, les bassins de recrutement à l’étranger des personnes qui utilisent déjà le français sont assez limités. Quels arbitrages sommes-nous prêts à faire entre les objectifs démographiques, économiques et linguistiques?
La capacité d’accueil
Avant d’établir les objectifs en ce qui concerne le nombre et le rythme des arrivées, il est crucial non seulement de clarifier les objectifs démographiques, mais également d’identifier et de mesurer les facteurs constituant la capacité d’accueil, et ce, idéalement par région administrative.
La plupart des composantes de la capacité d’accueil touchent la vie quotidienne de l’ensemble de la population et déterminent la qualité de vie tant des personnes arrivant de l’étranger que celle des personnes déjà établies.
Donnons quelques exemples : la disponibilité de logements abordables, les places dans les écoles et les garderies, l’accès à un médecin de famille, le temps d’attente dans les cliniques de première ligne et les hôpitaux ou pour une consultation avec un psychologue, la disponibilité des transports en commun, les services d’insertion en emploi, le taux de chômage, l’utilisation du français au travail et en public.
La capacité d’accueil inclut également l’accès aux services spécifiques au milieu d’immigration, tels les services de francisation, d’accueil et d’intégration socioculturelle.
La plupart de ces facteurs n’ont jamais fait partie du calcul des seuils de l’immigration permanente, encore moins de l’immigration temporaire dont la planification a été inexistante jusqu’à cette année.
Dans chaque cas, il faudrait déterminer quels indicateurs sont les plus pertinents à mesurer et quel seuil permet de dire qu’on est capable d’accueillir un certain nombre de nouvelles personnes.
Par exemple, en ce qui concerne la disponibilité du logement, il y aurait des indicateurs comme le taux d’inoccupation des logements en location, le prix moyen des loyers en fonction du salaire moyen des personnes immigrantes nouvellement arrivées, les mises en chantier. Chaque secteur de service public a déjà ses indicateurs pour mesurer le niveau de fonctionnement optimal.
Pour y arriver, une idée serait de créer une unité d’expertise à l’Institut de la statistique du Québec chargée d’élaborer une mesure de la capacité d’accueil, alimentée par les données administratives des divers ministères et organismes, ainsi que les données socioéconomiques, qui serait suivie en continu. Idéalement, les coûts associés à ces diverses composantes seraient également estimés et suivis.
La planification des niveaux et du rythme des admissions au Québec, et même par région, serait basée sur ces données. Les mesures à prendre, par exemple en matière de construction de logements ou de places en garderie, pour pouvoir accueillir convenablement les personnes nouvellement arrivées, seraient claires, ainsi que les coûts afférents.
Un tel chantier de recherche prendrait plusieurs mois à opérationnaliser et d’autres formules sont sûrement envisageables. L’important est de fixer les seuils d’immigration sur la base des données probantes et de retirer cet aspect de la planification de l’arène partisane.
Une planification de l’immigration basée sur les objectifs sociaux qui font consensus et sur des données probantes relatives à la capacité d’accueil serait un modèle inédit dans le monde. Elle aurait aussi le grand avantage de rassurer notre société que nous sommes bien capables d’accueillir des gens de partout pour bâtir le Québec de demain ensemble.
1. Il y a aussi des objectifs liés à l’application ou l’administration de la planification, mais ceux-ci seront abordés dans une chronique future.
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal