A la recherche du “million de trop”

A la recherche du “million de trop”

A la recherche du “million de trop”

27 janvier 2025 (17H15) – Le constat qui s’impose est que cette affaire que nous avons nommé « Le million de trop » prend une réelle importance, en même temps qu’une complexité extrême. Elle se place en connexion avec deux ou tyrois polémiques qui marquent les débuts de l’administration Trump-II, essentiellement au  niveau des renseignements et des montages absolument rocambolesques qui ont été présentés comme du comptant et mangé avec grand appétit. Ici, je m’arrête à quelques aspects, notamment à partir d’entretien du duo Larry Johnson-Alastair Crooke et autour de la nomination de Tulsi Gabbard comme DCI.

Un tel foisonnement, une telle complexité, invitent à passer la patate chaude au ‘Journal-dde.crisis’. C’est fait.

Courriel pour Trump

Johnson reprend d’abord le titre du récent article d’Alastair Crooke sur Trump et la Russie (« Is Trump positioning for a ‘no-deal’ with Russia — or not? ») car c’est le point de départ de son entretien avec lui cette semaine. (Entretien sur ‘Counter Currents’ et intégré dans l’article de Johnson.)

Voici l’introduction de l’article d’Alastair, que reprend Larry Johnson :

« La rhétorique de Trump sur le fait que la Russie a perdu 1 million d’hommes dans le conflit ukrainien n’est pas seulement absurde – le nombre réel n’atteint même pas 100 000 – mais le fait qu’il y ait recours souligne que le jugement habituel selon lequel Trump est simplement terriblement mal informé semble de moins en moins plausible.

» Après avoir vanté le million de morts russes, Trump suggère ensuite que Poutine détruit la Russie en ne concluant pas d’accord. Ajoutant (apparemment en aparté) que Poutine a peut-être déjà décidé de “ne pas conclure d’accord”.

» Au lieu de cela, d’une manière curieusement illogique, Trump remarque que les négociations dépendraient entièrement de l’intérêt ou non de Poutine [pour ces négociations]. Il affirme en outre que l’économie russe est en ruine et déclare notamment qu’il envisagerait de sanctionner ou de taxer la Russie si Poutine ne conclut pas d’accord. Dans un article ultérieur sur Truth Social, Trump écrit : “Je vais rendre un grand service à la Russie, dont l’économie est en déclin, et au président Poutine”. »

C’est évidemment l’occasion pour Johnson sa conviction déjà exprimée dans un article, notamment, pour notre compte, cité par Martianov. Il y dit notamment :
1) la communauté du renseignement, essentiellement la CIA, est essentiellement la source des informations dites par Trump, notamment le million (ensuite devenus 700 000 morts) de tués russes en Ukraine ;
2) Les informations des agences de renseignement (ici la CIA, bien entendu) sont communiquées au président dans le ‘Presidential Daily Brief’ par le DNI (directeur du renseignement national), qui choisit et réunit les informations, les chapeaute et leur donne son aval ;
3) Johnson estime avoir été confirmé par un article de David Ignatius, la “plume de la CIA” au cœur du ‘Washington Post’, où l’ancien (depuis quelques jours) directeur de la CIA Burns cite le chiffre de 700 000 morts.

Dans son entretien avec Crooke, qui confirme complètement cette analyse, Johnson précise :

« … [C]e nombre spécifique de 700 000 apparaît dans un article de David Ignacius du Washington Post et Ignatius est connu ici comme sténographe de la CIA, vous savez, la CIA veut quelque chose, ils lui parlent et il fait cet article élogieux sur Bill Burns, vous savez, le courageux Bill Burns, vous savez, qui mène le combat et là-dedans, Burns lui dit que c'est le nombre de la CIA des 700 000, alors j'ai dit, ok, c'est vrai, avant, je spéculais, vous savez, c'était ma conviction que Trump avait été informé par la CIA, maintenant nous le savons avec certitude… »

Pour mon compte, deux voix comme celles de Johnson et de Crooke valent et bien au-delà les aboiements faussaires de la horde zombifiée du renseignement US actuel et des rédactions des meilleurs journaux de référence. Cela est d’autant plus évident que le bon sens même nous invite à choisir cette voie guidée par l’agent de service Ignatius. Quant à Johnson, il annonce qu’il va (ou qu’il a ?) envoyé un courriel au président, selon la logique d’un cas précédent où il avait envoyé un courrier à Trump selon ce même canal, et qu’il avait reçu cette réponse du président le 24 avril 2019 :

 « L’ancien analyste de la CIA Larry Johnson accuse les services secrets britanniques d’avoir “aidé l’administration Obama à espionner la campagne présidentielle de Trump en 2016”. @OANN WAHOU ! Ce n’est plus qu’une question de temps avant que la vérité éclate et quand elle éclatera, elle sera magnifique! »

Souvenir de la NIE-2007

Il faut savoir, à ce point qu’il existe un précédent fameux et très significatif, qui fut malheureusement contré par les neocon, alors très puissants, puis complètement oublié dans les remous de la grande crise financière de l’automne 2008. Cela se passait en décembre 2007, alors que les pays du bloc-BAO , avec prise en marche la France chargée d’un Sarkozy tout neuf et très américanophile, ne cessait depuis le début 2005 de tracer des plans sur la comète pour attaquer l’Iran, – plans d’une façon générale contrés par la seule US Navy qui ne voulait pas de cette guerre et s’arrangeait pour dévier la comète.

De quoi s’agissait-il ? De l’imminence de la fabrication d’une arme nucléaire pour l’Iran, considérée comme très rapidement opérationnelle (“La semaine prochaine”, disait le Mossad, toujours excellemment renseigné). Début décembre 2007 éclata une bombe, non-nucléaire et non-ianienne : le NIE-2007 (NIE pour ‘National Intelligence Estimate’, analyse plus ou moins régulière du DNI lui-même de toutes les grandes affaires de renseignement  à partir des renseignements venus des 16 agences US de cette sorte et d’autres sources jugées tout à fait adéquates). Le document aussitôt rendu public affirmait que l’Iran avait abandonné la fabrication d’une arme nucléaire depuis la visite en octobre 2003 des délégués de trois grands pays européens, – “grands” alors, disons, – l’Allemagne, la France et UK… Nuland aurait déjà pu dire : « Fuck the EU ! » 

En bon élève de la dissidence, nous écrivions, le 4 décembre 2007 :

« Dans tous les cas, la NIE 2007 doit mettre en évidence la crise fondamentale de la direction occidentale dans son ensemble. C’est en effet au son d’une évaluation absolument contraire dans son esprit et dans sa méthodologie à celle de la NIE que, depuis deux ans, la plupart des gouvernements occidentaux raisonnent. Leur seul point de référence n’est plus de savoir ce qui se passe en Iran mais cette simple question, relevant d’une déraison barbare: attaque-t-on ou n’attaque-t-on pas l’Iran ?

» La NIE 2007 met en évidence, volontairement ou pas qu’importe, la complète perversion de l’état d’esprit de ces gouvernements occidentaux, — tous, en effet, y compris ceux qui sont en désaccord avec les USA et qui n’osent pas dénoncer comme une folie irrationnelle cette référence à l’option de l’attaque de l’Iran.

» La NIE 2007 met en cause, volontairement ou pas qu’importe, la crise fondamentale de toutes les directions occidentales dans la pratique de la diplomatie, ou de ce qui en tient lieu. Si l’on parle de ceux qui jugeaient secrètement que les intentions US d’attaquer l’Iran étaient une folie, on avait largement dépassé le stade où la logique politique était d’abandonner toute espèce de diplomatie pour rendre public ce jugement. L’absence d’une telle prise de position de ces pays de la dénonciation de la référence à l’option de l’attaque est une autre illustration de la crise occidentale. Cela dépasse très largement la question de savoir si tel ou tel pays dispose ou disposera d’armes nucléaires.

» La NIE 2007 met en lumière, volontairement ou pas qu’importe mais d’une façon irréfutable, que la véritable crise du monde se trouve, aujourd’hui, chez ceux qui prétendent en être les victimes et qui se jugent fondés d’avoir le droit moral et le pouvoir politique, en plus de la puissance, de les résoudre. Ce rapport est pire qu’une débâcle militaire dont, pourtant, nos pays sont désormais coutumiers, sur tous les fronts qu’ils prétendent ouvrir.

» La NIE 2007 nous avertit, volontairement ou pas qu’importe, que nous sommes nous-mêmes la cause centrale de la crise de la civilisation occidentale. La phrase de Paul Craig Roberts sur l’Amérique que nous citions récemment vaut pour l’Occident : “La Superpuissance [occidentale] est une nef de fous qui nient leur destin catastrophique”. »

Surprenant, n’est-ce pas, comme l’on peut penser et démontrer exactement la même chose en 2025 qu’en 2007, pour ce qui est des vertus et de la haute tenue des gouvernements de notre bloc-BAO ? Simplement, le simulacrée avait été sauvé en 2007 par le gang (ou par les comploteurs, c’est la même chose) de l’effondrement de Wall Street. Cela nous permettait de penser à autre chose qu’à l’attaque de l’Iran. Pour le reste, une quasi-génération n’a rien changé à l’esprit des choses, il en a poli l’aggravation, le pourrissement, la laideur et l’arrogance impuissante. Paul Ctaig Roberts écrit la même chose en  2025 qu'en 2007.

La balle à Tulsi ?

Ainsi constate-t-on que cette affaire d’affrontement interne de pouvoir à propos du million de morts russes (soyons généreux puisque c’est pour la bonne cause) n’est nullement impossible y compris en plein jour et d’une façon aussi spectaculaire, puisqu’il y a eu au moins un  précédent selon les mêmes données et les mêmes protocoles mais dans le sens contraire (les “gentils” étant cette fois les gens des agences de renseignement, fatigués de porter un chapeau qu’il n’avaient jamais supporté depuis les armes de destruction massive de l’Irak). Plus encore, beaucoup plus, cette affaire d’aujourd’hui n’est pas une simple querelle de plus entre les fantasmagories du simulacre américanistes-occidentalistes et la vérité-de-situation.

Elle tombe au milieu d’innombrables querelles d’autres domaines, d’une tension interne formidable, dans le cadre d’une Amérique décrépite, en pleine crise intérieure, etc. On peut d’ailleurs y ajouter les affirmations délirantes-délicieuses de Trump sur les missiles hypersoniques, dont les Russes auraient volé la technologie à l’administration Obama il y a une décade, alors qu’ils ont commencé le développement de cette technologie dans les années 1970. D’ailleurs, dit Trump après lecture du ‘Comic’ du jour de la CIA, “dans deux-trois ans, nous aurons des super-hypersoniques beaucoup plus performants”.

Beaucoup de questions de tension stratégique vont dépendre de cette perception faussaire ou non des capacités russes, et par conséquent des décisions stratégiques que l’on prendra, – que prendront les USA éventuellement emportés dans leur simulacre-‘Fantasy’ (voyez déjà les emportements extraordinaires de la question des défenses antimissiles et de la stratégie de la “première frappe” ).

Mais dans l’immédiat, et hors de toute ‘Fantasy’ et de rêveries de simulacre, dans le monde bien réel des questions stratégiques (celui où se déplacent les Russes), il y a pour l’administration Trump un problème extrêmement délicat. Il s’agit de la nomination de Tulsi Gabbard au poste de DCI dont on mesure l’importance ; la procédure de nomination a été retardée de deux semaines pour les auditions au Sénat, montrant la volonté des démocrates de lancer toutes leurs forces contre cette nomination.

Le nouveau DCI, – ou la nouvelle DCI si l’on veut, serait chargée dans l’immédiat, sinon dans l’urgence, de deux dossiers d’une extraordinaire importance :

• On le sait depuis quelques jours, c’est le/la DCI qui est chargé par une directive officielle de former une commission pour examiner et compiler dans la quinzaine la déclassification des 3 000 à 4 000 documents encore gardés au secret, concernant les assassinats de John et Robert Kennedy, et de Martin Luther King , dans les années 1960. Il s’agit d’une mission urgente et extraordinairement symbolique, aussi bien pour les USA que pour la présidence Trump.

• A cela devrait s’ajouter, me semble-t-il, une mission d’évaluation, – une NIE, chargée de déterminer le chiffre exact des pertes russes en Ukraine tel qu’il ressort d’une enquête dont le seul DNI aurait la charge, notamment pour les sources sélectionnées et le choix des membres de la commission chargée de cette question. Ce n’est pas une certitude ni une nouvelle que j’affirme là mais une hypothèse qui me semble de plus en plus valable à mesure que grandit la tension autour de cette affaire du chiffre des pertes russes.

Le personnage de Gabbard laisse supposer qu’effectivement il y aura de très sévères affrontements. On imagine d’ici la vigueur de la bataille pour la confirmation de sa nomination.

Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org

À propos de l'auteur Dedefensa.org

« La crisologie de notre temps » • Nous estimons que la situation de la politique générale et des relations internationales, autant que celle des psychologies et des esprits, est devenue entièrement crisique. • La “crise” est aujourd’hui substance et essence même du monde, et c’est elle qui doit constituer l’objet de notre attention constante, de notre analyse et de notre intuition. • Dans l’esprit de la chose, elle doit figurer avec le nom du site, comme devise pour donner tout son sens à ce nom.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You