Par Frank Furedi – Le 26 décembre 2024 – Source Compact Mag
En regardant les agriculteurs manifester en Belgique, en France, aux Pays-Bas et en Allemagne au cours des premiers mois de 2024, je me suis souvenu des paroles de Wordsworth : “Le bonheur était, à cette aube, d’être en vie !« . Tom, un agriculteur flamand qui a conduit son tracteur vers Bruxelles en février pour protester contre les lois environnementales proposées, m’a dit que les médias avaient essayé d’effrayer le public pour l’empêcher de soutenir sa cause en qualifiant son mouvement d’extrême droite et de populiste. Il a souri et a dit » Ils me traitent de populiste, et bien pourquoi pas !”
Tom ne s’est jamais intéressé à la politique, mais comme des centaines de milliers de personnes, il a décidé qu’il voulait que sa voix soit entendue. Au cours de l’année 2024, le populisme a démontré qu’il avait une formidable endurance. Dans l’Union européenne, les partis populistes mettent l’establishment politique sur la défensive. Aux États-Unis, c’est le tentaculaire mouvement MAGA, et pas l’ancien establishment républicain, qui a assuré la victoire de Donald Trump.
Pourtant, le moment populiste de 2024 fut long à venir. Même si son influence ne cesse de croître en Europe depuis le début du siècle. Selon une étude réalisée en 2022 par plus de 100 politologues pour la société de sécurité Solace Global, environ 32% des Européens ont voté pour des partis anti-establishment. Il s’agit d’une augmentation significative comparés aux 20% du début des années 2000 et aux 12% du début des années 1990. Depuis la publication de cette étude, l’influence du populisme n’a cessé de s’étendre, entraînant une impressionnante poussée cette année.
L’élection du Parlement européen de juin 2024 a montré que le populisme avait établi une formidable présence sur le Continent. À l’issue de cette élection, 60 partis populistes venant de 26 États membres de l’Union européenne ont obtenu une représentation au Parlement européen. Ces partis ont remporté 263 siège − environ 36% − sur 720. Les partis populistes de droite en France, en Italie, en Autriche, en Allemagne et aux Pays-Bas se sont particulièrement bien comportés, tandis que ceux de gauche ont reçu moins de soutien.
À ce jour, les commentateurs des médias grand public expriment fréquemment l’espoir que le populisme est une mode passagère. « L’Europe a-t-elle atteint un pic de populisme? » demandait un commentateur dans un Politico de 2019, avant de déclarer que “le vent a peut-être tourné contre la droite nationaliste. » Cinq ans plus tard, en particulier au lendemain de la réélection de Donald Trump, il est évident que le populisme possède un élan considérable.
De nombreux analystes ont sous-estimé la résilience du populisme parce qu’ils ne saisissent pas son principal moteur. Ils associent constamment la croissance du populisme au sectarisme et au racisme. Cependant, ce qu’ils caractérisent ainsi n’est qu’un sentiment d’insécurité culturelle provoqué par l’inquiétude des gens face à la dévalorisation de leurs communautés nationales.
Les commentateurs de gauche soutiennent invariablement que les politiques néolibérales sont responsables de la montée du populisme. Les inégalités économiques et la pauvreté sont souvent perçues comme le terrain sur lequel le populisme prospère. C’est pourquoi l’Institut de Kiel pour l’économie mondiale en Allemagne soutient que l’investissement public est l’antidote au populisme. Il concluait dans son rapport de 2024 que, puisque les régions bénéficiant d’un soutien financier voient la part des votes populistes de droite chuter de 15 à 20%, l’investissement est la voie à suivre. Pourtant, il existe de nombreuses preuves que la croissance des partis populistes s’est produite indépendamment de la crise économique et de la stagnation. Ce point est soulevé dans un récent rapport de Timbro, un groupe de réflexion sur le marché libre, qui conclut que “le soutien aux partis populistes a augmenté relativement indépendamment des crises économiques ou de la croissance.”
La montée du populisme en Europe est intimement liée à l’implosion des partis de centre-gauche et de centre-droit qui dominent le continent depuis la fin des années 1940. Les partis qui dominaient le paysage politique, les sociaux-démocrates, les Chrétiens-démocrates, les socialistes et les communistes, existent à peine. En Autriche, en France, aux Pays-Bas, en Italie et en Allemagne, les partis populistes bénéficient d’un soutien électoral plus important que les socialistes et dépassent souvent le centre-droit.
Ce qui s’est produit n’est pas simplement une perte de confiance dans l’establishment politique dominant, mais aussi un nouveau niveau de polarisation culturelle dans lequel les valeurs imposées d’en haut sont remises en question. La coïncidence d’une crise d’autorité avec l’éclatement d’un conflit culturel a créé les conditions de l’épanouissement du populisme. Dans les médias traditionnels, il y a une tendance à confondre la cause de la polarisation avec son symptôme. Il ignore la responsabilité de l’establishment politique européen d’avoir provoqué un conflit culturel omniprésent contre les valeurs traditionnelles. Invariablement, la vague populiste est blâmée pour la polarisation de la société. Mais le moment populiste est apparu en réponse à la tentative d’une élite de plus en plus méfiante d’imposer un mode de vie étranger aux traditions et aux perspectives de millions de personnes en Europe.
La plupart des analystes ne parviennent pas à saisir la profondeur de cette tension culturelle qui a créé une demande de voix. Certes, des événements comme la crise financière de 2008, la pandémie et la crise des réfugiés ont créé d’importantes opportunités de mobilisation populiste. Mais tout à fait indépendamment de ces événements, ce qui a été à l’œuvre est une demande croissante de réponses populistes aux problèmes créés par la migration de masse, le multiculturalisme et des politiques telles que la célébration des idéaux LGBTQ+ qui menacent les normes culturelles traditionnelles.
Comme l’a souligné la théoricienne politique Margaret Canovan, contrairement aux mouvements dits sociaux, le populisme ne remet pas simplement en question le détenteur du pouvoir, mais aussi “les valeurs de l’élite. » Par conséquent, son hostilité est également dirigée contre “les faiseurs d’opinion et les médias. » En conséquence, les médias ont un réel problème pour saisir la dynamique de la politique populiste. Ce problème n’est pas simplement la faute de ses analyses superficielles. En tant qu’institution, les médias se sont de plus en plus éloignés de la vie des travailleurs et se méfient intensément de ceux qui ne partagent pas sa vision culturelle.
L’establishment politique européen considère le populisme comme une menace existentielle et investit massivement dans la promotion de la propagande anti-populiste. En juin 2024, le groupe d’éthique de la Commission européenne publiait une déclaration intitulée » Résister au populisme autoritaire ». Parmi ses nombreuses recommandations, il soutient que les identités liées au » territoire, à la nation, à l’ethnie ou à la religion ” devraient être remises en question par des identités fédéralistes “pluralistes”.
Les partis politiques traditionnels au Parlement européen se font l’écho de cette vision et ont cherché à imposer un cordon sanitaire afin de mettre en quarantaine les partis populistes. Mais les mouvements populistes continuent de se renforcer et ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne gagnent en influence institutionnelle.
À l’heure actuelle, le populisme constitue une réaction à un monde qui n’est pas de sa propre fabrication. Comme l’a découvert le gouvernement de Giorgia Meloni, la marge de manœuvre du populisme est limitée par des pressions financières et économiques qui limitent sa capacité à défendre l’intérêt national. Le défi auquel sont confrontés les mouvements populistes est de développer une clarté programmatique sur la manière d’exploiter l’idéalisme de ses partisans vers la réalisation de politiques qui répondent à la demande de souveraineté nationale et populaire dans un monde dans lequel les institutions mondialistes dominent.
Afin de faire avancer leurs objectifs, les populistes doivent élaborer un programme économique qui exploite le marché dans l’intérêt de la nation. Ils doivent également construire des plateformes médiatiques qui peuvent plaider en faveur de politiques populistes sur les questions culturelles, économiques et sociales. Parallèlement à ces efforts, les populistes devront renforcer leur influence sur les institutions éducatives et culturelles. Rien de moins qu’un mouvement contre-culturel consciemment cultivé peut garantir que les gains impressionnants de 2024 ne soient pas gaspillés.
La semaine dernière, Tom m’a informé que le combat était loin d’être terminé et que les agriculteurs seraient de retour dans les rues de Bruxelles début 2025. Surveillons cela de près.
Frank Furedi
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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