Le million de trop

Le million de trop

Le million de trop

• Infinies variations des évaluations sur la situation en Ukraine avec l’entrée de Trump dans l’arène. • Il croit faire un cadeau aux Russes en leur proposant un cessez-le-feu, pour empêcher les pertes colossales de l’armée russe, selon le renseignement de toute confiance des services de Zelenski. • En tel engagement, reposant sur la houle furieuse de l’« océan de narcissisme », annonce beaucoup de difficultés. • Trump se fiche de Zelenski et de l’Ukraine mais il déteste perdre la face et reconnaitre à la Russie de “trop” grandes capacités militaires.

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Il est certain que l’on attend Trump, – pour le craindre ou l’applaudir, –  sur sa politique extérieure, et notamment sur sa politique ukrainienne. Ce n’est pourtant pas l’essentiel, pour notre compte sans aucun doute, comme on l’a vu avant-hier en tentant de décrire justement ce qu’il y a d’essentiel dans sa politique (l’attaque du ‘DeepState’, du Système, etc.). N’importe, une attente générale sur un domaine différent donne à ce domaine, même si on le juge secondaire et dans tous les cas du point de vue de la communication, une réelle importance.

Il est vrai également que Trump a entretenu, et continue d’entretenir le suspens sur la question ukrainienne. Il n’est pas du tout improbable que ce soit tout simplement involontaire, que ce flou ne soit pas recherché pour une affaire de tactique, mais subi pour une question d’incertitude.

On tente rapidement de situer l’état de cette crise, de cette guerre, au travers des intentions, des déclarations, des commentaires et, ici ou là, d’une ou l’autre vérité-de-situation. On peut prendre un condensé des déclarations d’un expert russe de haute volée à RT.com, concernant son analyse de la position de Trump. On peut conclure que cette position de Dimitri Souslov représente en général la position des experts russes et de la direction russe.

« Dimitri Souslov, directeur adjoint pour l’économie mondiale et la politique internationale à l’École supérieure d’économie de Moscou et membre du Conseil russe sur la politique étrangère et de défense. a déclaré à RT que “le soutien à l’Ukraine n’est plus une priorité pour les Etats-Unis”. “L’intérêt de Trump n’est pas de soutenir l’Ukraine comme un mandataire antirusse, mais de mettre fin au conflit le plus rapidement possible, afin de libérer des ressources pour la lutte contre la Chine”, a-t-il déclaré.

» En même temps, Souslov a noté qu’il était toujours “peu probable que les États-Unis acceptent une défaite dévastatrice de Kiev ou la capitulation de Kiev” car “tout le monde l’utiliserait immédiatement contre Trump, le décrivant comme faible”.

» Bien que les États-Unis et la Russie restent des adversaires dans un avenir prévisible, Trump tentera de rétablir la “diplomatie directe”, prédit Souslov. “Cependant, il n’est pas du tout certain que le dialogue produirait rapidement des résultats positifs, étant donné que les approches russes et américaines pour mettre fin au conflit en Ukraine restent irréconciliables”.

» “Il y a des lignes rouges, dont aucune partie ne veut s’écarter”, a-t-il souligné. Trump voit l’Ukraine comme ”un pays avec une armée forte et étroitement associée à l’Occident”, tandis que la Russie insiste sur le fait que l’Ukraine doit être transformée en un État neutre avec des forces armées considérablement réduites.

» “Trump n’abandonne pas les prétentions de l’Amérique à l’hégémonie mondiale. Mais il abandonne le vernis libéral qui accompagne la politique américaine depuis la fin de la guerre froide”, a soutenu le chercheur. “L’administration Trump et Trump personnellement considèrent l’ordre international libéral et les concepts libéraux comme quelque chose qui affaiblit l’Amérique, au lieu de la rendre plus forte”. »

Souslov expose une vision théorique de la situation des USA de Trump, – laquelle s’avère extrêmement floue, bien entendu, comme les déclarations de Trump lui-même. Les seules affirmations impératives sont :

• Que les USA n’accepteraient ni une déroute, ni une capitulation de Kiev, – n’envisageant en fait que des solutions intermédiaires. (cessez-le-feu, gel opérationnels type-Corée, etc.)

• Que la Russie qui n’a cessé de répéter sa position, n’acceptera rien d’autre qu’un traité de paix qui réponde à toutes ses exigences (intégration des territoires à dominante russe, Ukraine neutre et hors-OTAN, débarrassée de ses terroristes bandéristes).

• Par conséquent, cela est dit :

«  …Les approches russes et américaines pour mettre fin au conflit en Ukraine restent irréconciliables. »

Bagatelles pour un million de morts

Mardi, dans son conférence de presse improvisée, le président Trump a dit des choses étranges. (Voir  et entendre le début du segment d’Alexander Christoforou, du 21 janvier 2025.)

• D’une part, il a dit que les pertes russes étaient d’un million d’hommes contre 800 000 Ukrainiens.

• D’autre part, il dit qu’à ce rythme, la Russie allait être détruite, d’autant que son économie est absolument en lambeaux et son inflation galopante.

C’est donc reprendre la logique des Européens le 24 février 2022 : “Nous allons liquider la Russie en l’étranglant économiquement”, comme disait notre hyperministe-Lemai(t)re. Là-dessus, habileté des finesses après trois ans de martyre pour la Russie réduite à une économie de survie à l’âge de pierre, on y ajoute les pertes colossales du front qui vont bientôt réduire la population russe à un quart de l’ukrainienne, accélérée par la famine triomphante provoquée par l’absence de gaz et de pétrole occidentaux interdits d’achat par le Kremlin-sadique. (Le ‘moujik’ se nourrit depuis la fin du XXème siècle de gaz et de pétrole américaniste-occidentaliste en guise de vodka, – n’a pas vu la différence, – et quand il en est privé, n’est plus bourré.)

Ces choses sont dites sans vraiment ciller, ni provoquer une question de journalistes, toutes les élites étant passées d’un même élan, pour ce qui concerne l’Ukraine, du simulacre-Biden (par sénilité précoce) au simulacre-Trump (par « océan de narcissisme »).

Sur l’incroyable affirmation du million de morts russes, qui vient directement des services de stricte-information de Zelenski (même pas avec l’aide de la CIA, la CIA étant elle-même intoxiquée), on se mérite un petit détour chez Andrei Martyanov, avec un petit coup de main de son ami Larry Johnson. Les deux auteurs déchirent à belles dents ce paquets de “conneries” (‘bullshit’, n’est-ce pas ?)

« Ce type était un grand chef militaire. Très grand.

» “Un ancien haut responsable militaire américain a prévenu que la Russie était au bord de ‘l’effondrement’, ce qui pourrait conduire à de terribles répercussions nucléaires, selon ses récentes déclarations. Le général à la retraite Ben Hodges, qui a précédemment dirigé l’armée américaine en Europe, a activement partagé ses idées sur le conflit en cours en Ukraine, où les troupes russes ont subi de lourdes pertes en près de trois ans de combat. L’armée ukrainienne affirme que la guerre a fait plus de 800 000 victimes russes, bien que les chiffres soient contestés”.

» Pourquoi seulement 800 000 ? Non, pourquoi ne pas faire preuve de toute la sincérité nécessaire et affirmer que les Russes ont subi, je ne sais pas moi, 2 millions, non mieux encore, 20 millions de morts ? Les généraux américains ont complètement discrédité l’armée américaine et se sont présentés comme des amateurs de bas étage qui ne peuvent même pas saisir la dynamique de base de l’attrition dans la guerre moderne. Depuis l’époque de Ben Hodges, les choses ont empiré dans l’armée américaine. Bien pire. Ce sont des étrangers qui ne peuvent qu’observer avec incrédulité l’ampleur et la complexité d’opérations qu’ils n’ont jamais pu et ne peuvent pas mener. L’envie et l’ignorance professionnelles sont de puissants moteurs de haine qui éliminent les derniers vestiges de professionnalisme et d’intégrité.

» “‘Je pense que la Fédération de Russie est en train de s’effondrer. Ce n’est pas en ligne droite, mais c’est en train de se produire’, a-t-il déclaré. ‘Nous devrions réfléchir à ce qui va se passer. Il y aura des réfugiés. Il y aura des inquiétudes concernant les armes nucléaires’. ‘Il y aura des gens préoccupés par le contrôle du pétrole et du gaz et de toutes les autres ressources’. ‘Et certaines parties de la fédération voudront devenir indépendantes, d’autres choisiront de rester affiliées à Moscou’. ‘Nous devrions réfléchir à la façon dont nous voulons que cela se termine’.”

» Que puis-je dire – c’est un cas terminal d’illusion impuissante. Comme le souligne à juste titre Larry [Johnson] :

» “Pendant la conférence de presse improvisée, les remarques de Trump sur les négociations avec la Russie ont montré qu’il est toujours dans l’ignorance quant à la réalité de la guerre en Ukraine. Il croit à tort que la Russie a subi plus d’un million de victimes. C’est une connerie totale. Soit la CIA lui ment, soit elle ment à son personnel. Peut-être les deux. Cela signifie que Trump va avoir un réveil brutal lors de sa première conversation avec Vladimir Poutine. L’hypothèse de Trump selon laquelle la Russie subit des pertes militaires et économiques importantes à cause de la guerre est fausse. Il devra se remettre en question s’il espère faire des progrès dans les négociations pour mettre fin à la guerre”.

» Aucun commentaire n’est nécessaire. »

« Make Donald Trump Great Again »

Il est temps de revenir à cet « océan de narcissisme » dont Johnson fait l’éloge lorsqu’il s’agit d’apprécier la volonté de Trump de combattre le ‘DeepState’. Mais lorsqu’il s’agit de l’Ukraine, c’est le contraire.

Le président est totalement intoxiqué par des chiffres rocambolesques venus des génies de la propagande zélenskiste, et en général pris pour du comptant par les génies des grandes agences de renseignement US et du Pentagone. Le degré d’auto-intoxication est gigantesque car tout l’appareil de sécurité nationale US (le ‘DeepState’) craint de perdre ses privilèges et ses avantages divers, ainsi que sa position dominante à Washington D.C., si une armée aussi complètement “américanisée” et équipée de même, avec un appui OTAN colossal, essuie une défaite terrible sur le champ de bataille. En un sens, l’« océan de narcissisme » du président, qui englobe désormais tous les signes de l’exceptionnalisme US comme si c’était le sien propre, l’encourage à prendre tout cela pour son propre compte et pour du comptant, – car ‘Make America Great Again’, c’est-à-dire ‘Make Donald Trump Great Again’ !

Ces diverses balades psychologiques et légèrement pathologiques expliquent notre approche du problème. Certes, ce genre d’appréciation de la situation ukrainienne, qui est le fondement de la perception que son offre de cessez-le-feu sera vue comme une bénédiction par la Russie, va se heurter avec une rude violence :
1)à avec la lise au point de la réalité par Poutine, éventuellement document en main ; et
2) par conséquent, son refus absolu et catégorique de toute offre “intermédiaire” (cessez-le-feu, ligne de démarcation, etc.).

La question devient alors : Trump va-t-il accepter cela qui est un démenti humiliant à ses affirmations, sans compter la difficulté de redresser complètement son appréciation publique de la situation puisqu’en fait ces “pertes” terribles constituent l’argument principal pour convaincre les Russes d’accepter un cessez-le-feu ? L’« océan de narcissisme » ne va-t-il pas se déchaîner en une terrible tempête de déni ? Nous devons avouer que nous aurions tendance à ne pas être trop optimiste, sinon à découvrir chez Trump des capacités de lucidité et d’esprit critique jusqu’alors soigneusement dissimulées. Tout cela nous conduit à notre formule favorite dans ces temps incertains : on verra…

…Noun sans noter que, dans certaines circonstances et selon l’attitude qu’adopterait Trump, cette affaire pourrait opposer le nouveau président à ses services de renseignements. C’est à ce point que la présence de la nouvelle DNI (Director, National Intelligence) Tulsi Gabbard serait nécessaire. Mais les obstacles mis sur la voie de ses auditions sont nombreux et font penser à un affrontement sévère à propos de cette nomination pour exiger des évaluations acceptables et dégagées de toute polémique. Il y a l’action retardatrice des démocrates, aussi bien que des rumeurs critiques venues de son propre camp, déclenchant des affrontements polémiques.

Décidément, la présidence Trump-II est commencée, sur les chapeaux de roue.

 

Mis en ligne le 23 janvier 2025 à 11H15

Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org

À propos de l'auteur Dedefensa.org

« La crisologie de notre temps » • Nous estimons que la situation de la politique générale et des relations internationales, autant que celle des psychologies et des esprits, est devenue entièrement crisique. • La “crise” est aujourd’hui substance et essence même du monde, et c’est elle qui doit constituer l’objet de notre attention constante, de notre analyse et de notre intuition. • Dans l’esprit de la chose, elle doit figurer avec le nom du site, comme devise pour donner tout son sens à ce nom.

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