Trump infléchit l’arc de l’histoire au Moyen-Orient – Partie I

Trump infléchit l’arc de l’histoire au Moyen-Orient – Partie I

Par M.K. Bhadrakumar – Le 17 janvier 2025 – Source Indian Punchline

Ma visite d’une semaine à Téhéran pour observer l’élection présidentielle de juin dernier m’a ouvert les yeux. Je pouvais sentir que l’Iran était sans aucun doute à l’aube de profonds changements. Le pays, que je connais professionnellement depuis des décennies, depuis la Révolution islamique de 1979, suscitait de grandes attentes d’un changement radical de cap.

Le signe le plus sûr en fut l’encouragement tacite du Guide suprême, l’Ayatollah Khamenei, à la candidature réformiste de Massoud Pezeshkian. L’un des échecs colossaux de la politique occidentale envers l’Iran vient de ses stéréotypes sur l’Iran, qui est le plus visible dans sa réticence à apprécier le rôle de Khamenei. Khamenei se rend bien compte que le pays réclame un changement. Le fait est que l’Iran est d’une part dans la ligue des grandes puissances avec sa technologie militaire développée localement, témoignant de sa maîtrise de la technologie, de la recherche et de l’innovation et de sa capacité de production à l’échelle industrielle mais, d’autre part, avec une économie dans une situation désastreuse et les gens ordinaires confrontés à une baisse constante de leur pouvoir d’achat et de leur qualité de vie.

Khamenei en a déduit que le temps était venu pour une transition pacifique et ordonnée au sein du système islamique, qui nécessite l’unité nationale. En Pezeshkian, Khamenei a vu un politicien avec un bilan sans tache de probité dans la vie publique et de fortes convictions. Issu d’une famille azéri-kurde, la compréhension de Pezeshkian de l’alchimie nécessaire à la gouvernance pour créer l’unité dans la diversité dans une société plurielle comme l’Iran est inégalée.

Par-dessus tout, c’est un homme profondément religieux, un enseignant du Coran et un réciteur du Nahj al-balagha, un texte clé pour les musulmans chiites, qui est attaché au système islamique du Velayat-e faqih, basé sur le principe de la tutelle des juristes islamiques. Khamenei a vu en lui un homme politique rare qui peut combler le fossé politique entre les factions réformistes et conservatrices et donc comme le meilleur espoir de dynamiser le système islamique et de renouveler sa base de soutien. (Voir ma chronique intitulée Lire les feuilles de thé dans les élections iraniennes, Deccan Herald, 26 juin 2024)

Les débats télévisés de fin de soirée sont extrêmement populaires en Iran et en particulier pendant la campagne électorale animée, car ils mettent en évidence la pluralité des opinions politiques qui font surface — à laquelle j’ai été invité à participer tous les jours. Les principaux courants de pensée de la plate-forme électorale du leader Pezeshkian pourraient être résumés comme suit :

  • La priorité absolue est d’améliorer l’économie, ce qui serait mieux réalisé grâce à la levée des sanctions occidentales.
  • Une condition préalable dans une telle direction nécessite la résolution de la question nucléaire par des négociations avec les États-Unis, ce qui est faisable maintenant que l’Iran est une “puissance nucléaire seuil” dotée d’une formidable capacité de missile qui agit déjà comme une force dissuasive contre l’agression étrangère.
  • À la suite de ce qui précède, l’Iran doit s’engager avec l’Occident en recalibrant ses orientations de politique étrangère et sa stratégie nationale pour renforcer la confiance mutuelle.
  • La présidence de Donald Trump est un facteur  » X  » mais, néanmoins, ses priorités pourraient être différentes cette fois-ci, et de toute façon l’Iran doit être ouvert aux négociations avec les États-Unis.
  • La nation souhaite que les réformes sociales et les controverses telles que le hijab obligatoire soient mieux gérées, car elles créent des tensions et des divisions dans la société qui ouvrent la porte à l’ingérence étrangère, par la tolérance et la patience dans la plénitude du temps tandis que le contrôle intrusif de l’État pour imposer des normes sociales est imprudent.
  • La relance économique nécessite un passage à l’économie de marché et pour favoriser le commerce et encourager les investissements étrangers, une ouverture globale est nécessaire dans des domaines tels que l’Internet, le système des visas, etc.
  • L’accent mis par le défunt président Ebrahim Raisi sur le fait que les pays du Golfe Persique étaient le premier cercle de l’Iran en matière de politique étrangère était fondamentalement tourné vers l’avenir et doit être poursuivi — en particulier, consolider l’impulsion du rapprochement avec l’Arabie saoudite qui se trouve également être en phase avec le changement historique des stratégies régionales saoudiennes encapsulées dans la soi-disant Vision 2030 ancrée sur une économie florissante, tournant le dos à l’utilisation des groupes djihadistes extrémistes comme outil géopolitique au Proche-Orient et entreprenant des réformes sociales de nature historique pour moderniser le Royaume.

Le dernier point est extrêmement important dans le contexte actuel, car Téhéran est attaché au rapprochement avec l’Arabie saoudite qui a été négocié par la Chine. Cela a non seulement réduit les tensions bilatérales et effacé le conflit d’intérêts, les derniers exemples en date étant l’acquiescement de Téhéran aux changements dans la structure du pouvoir en Syrie et au Liban où une ascendance sunnite palpable est en cours – mais encourage également les Saoudiens à diversifier leur politique étrangère et à sortir de l’orbite américaine.

En termes stratégiques, l’Iran gagne dans la mesure où le centre des politiques régionales saoudiennes a changé et que la stratégie américano-israélienne vieille de plusieurs décennies visant à isoler Téhéran ne fonctionne plus. Les États du Golfe Persique ont cherché à rassurer l’Iran sur leur neutralité dans tout conflit avec Israël. Encore une fois, la normalisation de l’Iran avec l’Égypte témoigne de son acceptabilité croissante en tant que partenaire régional par les principaux États sunnites. (ici et ici)

L’amitié régionale dans le golfe Persique et la difficulté croissante de rallier les États arabes sunnites contre l’Iran ont sans aucun doute énervé l’administration Biden et Netanyahu. Le 2 janvier, Axios révélait l’histoire sensationnelle selon laquelle le conseiller sortant à la sécurité nationale de la Maison Blanche, Jake Sullivan, a récemment présenté au président Joe Biden, lors d’une réunion secrète, des options pour d’éventuelles frappes américaines sur des sites nucléaires iraniens avant l’investiture de Donald Trump plus tard ce mois-ci.

Axios a cité des sources admettant que “la réunion n’a pas été déclenchée par de nouveaux renseignements” et Biden n’avait pas encore pris de “décision finale”. La source d’Axios a indiqué que la réunion se tenait dans le cadre d’une “planification prudente des scénarios. » C’est-à-dire qu’il n’y avait aucun nouveau renseignement ou situation émergente pour justifier une attaque contre l’Iran et Biden testait les eaux – comme il l’a souvent fait sur des questions aussi cruciales après avoir donné le feu vert au changement de politique, comme, par exemple, donner à l’Ukraine des avions de combat F-16 ou des missiles ATACMS ou l’approbation de frapper le territoire russe.

Dans ce cas, il n’y a pas de lumière du jour entre Biden et son équipe qui regorge de néocons, en particulier Sullivan et le Secrétaire d’État Antony Blinken, les deux super faucons chargés d’apporter un soutien américain à plein régime au Premier ministre Benjamin Netanyahu dans la poursuite de son horrible guerre au Moyen-Orient qui s’étend de Gaza, du Liban, de la Syrie au Yémen.

Netanyahu rêve depuis très longtemps d’une attaque contre l’Iran pour détruire l’ascension de ce pays en tant que puissance régionale, mais cela reste une chimère sans l’implication directe des États-Unis. Il est tout à fait concevable que Sullivan, qui mange dans les mains de Netanyahu, ait agi à la demande de ce dernier et Biden en était probablement conscient.

Quoi qu’il en soit, dans un autre rapport de suivi du 6 janvier, Axios est revenu sur le sujet pour faire croire qu’une option militaire contre l’Iran était devenue “une possibilité réelle”. Curieusement, le rapport affirmait qu’après une rencontre avec Trump en novembre, le ministre israélien des Affaires stratégiques Ron Dermer, un proche confident de Netanyahu, ce dernier “est reparti en pensant qu’il y avait une forte probabilité que Trump soutienne une frappe militaire israélienne contre les installations nucléaires iraniennes — quelque chose que les Israéliens envisagent sérieusement — ou même ordonne une frappe américaine.”

Les Israéliens sont de grands menteurs et une telle attribution à Trump était injustifiée en fait, étant donné son aversion connue pour les guerres. En clair, c’était un mensonge et une “guerre psychologique” grossière visant à créer des idées fausses. En fait, Axios a noté comme correctif dans son rapport qu’il y a un “revers de la médaille”, car “d’autres proches de Trump s’attendent à ce qu’il cherche un accord avant d’envisager une frappe” (contre l’Iran).

M.K. Bhadrakumar

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.

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