RapSit-USA2025 : Isolationniste ou illusionniste ?

RapSit-USA2025 : Isolationniste ou illusionniste ?

RapSit-USA2025 : Isolationniste ou illusionniste ?

• Quelques considérations sur la véritable signification qu’il faut accorder aux idées “folles” de Trump émises ces derniers quinze jours, avant même sa prestation de serment. • S’agit-il d’un projet de reconquête de l’hégémonie américaniste en perdition ? • C’est la question qui se pose, et notre réponse tendrait certainement à être négative. • L’évolution serait plutôt la recherche d’un schéma de la situation géostratégique du monde semblable à celle du XIXème siècle, avec des puissances et leurs zones d’influence. • Mais cette vision théorique se heurte à un fantastique chaos qui nous laisse peu d’espoir.

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Nombre de commentateurs ont interprété les premières interventions un peu “folles” du président-élu et non encore président, – Canal de Panama, Canada, Groenland, – comme démentant le fait que Trump serait un “révolutionnaire” de l’intérieur mais qu’au contraire il poursuivrait la politique expansionniste classique des USA depuis, – au moins 1989-1991 pour la phase actuelle. C’est ce qu’exprime un ancien ambassadeur indien, Kanwal Sibal, dans un article du 14 janvier 2025 :

« On pensait que le projet Make America Great Again (MAGA) était tourné vers l’intérieur, protectionniste et non interventionniste. C’était une erreur car, logiquement, rendre sa grandeur à un pays qui reste la première puissance mondiale malgré l’essor de la Chine et les déplacements de puissance économique mondiale vers l’Est, suggérerait que Trump a l’intention de rattraper la perte relative de puissance des États-Unis par rapport aux autres pays et de faire de l’Amérique à nouveau la puissance incontestablement suprême. L’objectif derrière une telle ambition est de dominer. »

Cette appréciation semble sur l’instant répondre à la logique. Selon nous, elle reste complètement à prouver et présente plusieurs faiblesses. Cela reste à prouver ? C’est-à-dire

  1. qu’il reste à attendre quelques semaines à partir de ce point symbolique fondamental de l’entrée en fonction (20 janvier), suivi ou accompagné de ce point opérationnel fondamental de la confirmation de son équipe, – pour juger de l’orientation réelle de l’administration Trump-II.
  2. qu’il reste à identifier ces coups de “folie” comme effectivement  de la politique extérieure ou s’il ne s’agit pas d’une “notion postmoderne” de l’isolationnisme américaniste (protectionnisme sur le plan économique). L’historien Lucien Romier expliquait en 1925, à propos des USA, qu’il existe un « protectionnisme conservateur », – justement celui des USA, – qui trouve sa dimension stratégique dans un “isolationnisme conservateur”, et un « protectionnisme de défense », entraînant un “isolationnisme défensif”. (Dans ’Qui sera le maître, Europe ou USA ?’, 1925).

Nous passons en revue ces divers points pour tenter de déterminer des analyses des positions de Trump par rapport à ses engagements et les nécessités de la situation générale.

Une équipe de choc

Le premier point nous intéresse, comme facteur tactique essentiel pouvant expliquer en bonne partie ce démarrage à contre-courant et sur les chapeaux de roue des prévisions de l’administration Trump-II. La confirmation de l’équipe Trump est un point fondamental de son mandat et un obstacle immédiat tout autant fondamental. Des personnalités importantes de son équipe sont visées, pour leurs engagements populiste, anti-guerre ou anti-neocon, etc., comme Pete Hegseth (défense), Tulsi Gabbard (renseignement), Pam Bondi (Justice), Musk et Rawaswamy (DOGE), voire même un Marco Rubio qui s’affirme antiglobaliste, etc.. Les auditions de confirmation ont commencé avant-hier avec Hegseth.

La question essentielle est de type chronologique. L’opposition aux principales vedettes de l’équipe Trump est du type neocon et en général partisans de la politiqueSystème, gavés d’argent par le complexe militaro-industriel, et l’oreille constamment tournée vers Israël. On peut aisément admettre que les projets Panama-Canada-Groenland, qui sont en général perçus (faussement ou pas ?) comme des projets guerriers et expansionnistes, coupent fortement l’herbe sous le pied de la politiqueSystème, en semblant démontrer que Trump en est partisan. Sans même exprimer publiquement l’argument, les sénateurs antiTrump (républicains compris, ils sont majoritaires au Sénat) sont gênés pour brandir l’accusation de “munichois” et de “capitulards” et évidemment de “pro-russes” à l’encontre des ministre d’une administration qui fait tant de bruit pour des projets perçus comme expansionnistes, voire bellicistes, en plus d’être fort originaux, bien dans la manière de Trump.

Il y a bruit et bruit

Il y a ce que nous dit un bruit et la perception que nous avons de ce bruit ; or, les paroles “folles” de Trump représentent pour l’instant un “bruit” qu’il s’agit d’identifier, outre le fait qu’ils peuvent n’être que tactique pour favoriser l’audition des ministres.

Paradoxalement pour nous, le bruit des annexions envisagées ne contredit nullement, ni l’isolationnisme, ni le protectionnisme. Alexandre Mercouris, qui a consacré un programme complet à ces “folies“ de Trump, les plaçait dans le cadre d’une restructuration des relations internationales. Avec son goût très prononcé pour la diplomatie, il les voit comme un retour des zones d’influence de différentes puissances, un retour à l’organisation du XIXème siècle

« … [N]ous sommes revenus aux système des grandes puissances en fait…

» Je crois que c'était en 2018, un document du Pentagone discutant de la nécessité de reconstruire les forces nucléaires stratégiques des Etats-Unis, avait en fait un titre entier pour un chapitre qui se lisait comme “Retour de la compétition entre les grandes puissances”.

» Le retour de la compétition entre les grandes puissances signifie essentiellement que le projet globaliste que les États-Unis et les puissances occidentales ont lancé eux-mêmes dans les années 1990 a pris fin. L’idée que les États-Unis seraient en mesure d'établir une suprématie totale sur l'ensemble du globe et de façonner l'avenir de chaque pays et essentiellement conduire ces pays vers un système compatible avec le capitalisme libéral postmoderne si vous voulez, l'idée a fondamentalement échoué, ce projet a fondamentalement échoué avec la montée des défis des autres grandes puissances... »

Ainsi Mercouris interprète les “folles” idées de Trump comme l’établissement d’une “zone d’influence” des USA, quasiment un retour à la “doctrine Monroe”, donc à l’opposé de la restauration de l’hégémonie mondiale des USA qui se meurt. Dans cette perception-là, il apparaît, à l’inverse des autres interprétation qu’on a mentionnées :

  1. que l’émergence d’autres puissances avec leurs zones d’influence se fera, sinon se fait présentement, et qu’il n’y a rien à redire.
  2. que, par exemple, mais exemple extrêmement pressant et essentiel sur la scène mondiale comme on le sait, Trump devrait être amené à céder ce qu’il faudra, sinon, à tout céder dans l’affaire ukrainienne. La cause en est que l’Ukraine ne fait plus partie de sa “zone d’influence”. Trump n’est ni Polonais ni Brzezinski.

L’approche de Mercouris est de la plus classique des diplomaties, celle qui triompha au Congrès de Vienne de 1814-1815 où l’on redonna sa place à la France, – le vaincu du jour qui avait terrorisé l’Europe, –  parce que la France occupe une place géographique et d’influence qui la rend indispensable à son rang et à l’équilibre de l’Europe. De ce point de vue, les idées “folles” de Trump, qui apparaissent effectivement “folles” telles qu’elles sont dites et exploitées dans cette période d’interrègne où la communication comble le vide en régnant d’une façon excessive sinon parfois grotesque, finalement peuvent être perçues comme reflétant une certaine logique.

L’historien Romier, cité plus haut, montrait que la guerre de Sécession, du point de vue des puissances financières et économiques du Nord qui en étaient les joueurs de flute, fut conduite pour détruire l’autonomie du Sud et, surtout, sa pratique du libre-échange lui permettant notamment de commercer avec le Royaume-Uni (coton). La question de l’esclavage fournissait l’emballage en paquet-cadeau pour les dames des salons et les sénateurs des cocktails. Ainsi, le Sud entra dans un système complètement isolationniste et protectionniste du Nord industriel et financier, purement “conservateur” comme on dit “libéral” aujourd’hui (question d’époque). Les idées “folles” de Trump, cyniquement considérées et hors de toute appréciation morale, vont dans le même sens, même si les sujets considérés sont complètement différents, ainsi que le géopolitique et le reste : une mainmise sur des  domaines renforçant l’isolationnisme et le protectionnisme US, baptisés sécurité nationale.

De la théorie à la pratique

Pour l’instant, tout cela est communication et nullement action, et l’argument est théorique et nullement opérationnel. L’espace et les risques terribles afférents sont immenses entre les deux, car tout se joue sur un chaos sans précédent où les événements vont, à cause de la communication, à une vitesse sans précédent et sans qu’on puisse les contrôler, ni même vraiment les provoquer. C’est-à-dire que, face à ces théories séduisantes, nous évoluons dans un milieu horriblement volatile, où la plupart des acteurs sont d’une inculture et d’une médiocrité sans nom (trouvez-nous un Metternich, un Talleyrand, un Wellington aujourd’hui).

Ainsi avons-nous beaucoup de sympathie pour cette sorte de raisonnement (sans nécessairement les épouser dans leurs buts métahistoriques, la question n’est pas là), mais malheureusement notre pessimisme est dans la mesure inverse de cette sympathie quant aux chances de réalisation des choses sensées, et par conséquent de ces choses sensées. Donc, avenir totalement incertain, chaotique, enfoui dans le “brouillard de la communication”, bien plus dense que le “brouillard de la guerre”. 

Terminons par une citation assez longue. Elle est d’un historien brillant et très original, le Canadien Matthew Ehret, le 15 janvier 2025 dans ‘TheDuran’ qui termine un article historique très long et très fouillé qui examine le tournant capital des Etats-Unis de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, passant d’une évolution vers une de ces puissances s’inscrivant dans un “concert de puissances” à celle d’une puissance folle d’hubris et décidée à soumettre le monde. Cela se fait au moment de l’assassinat du président McKinley (1901), partisan de la première voie, avec la montée au pouvoir de son vice-président Theodore Roosevelt, qui remplaça McKinley et fut ensuite élu pour deux mandats successifs. McKinley fut assassiné par un anarchiste peu après que le tsar Alexandre ait été assassiné également par un anarchiste, dans les deux cas détournant les deux puissances vers leurs positions d’affrontement du XXème siècle, jusqu’à aujourd’hui.

« L’assassinat de McKinley le 18 septembre 1901 propulsa le vice-président Teddy Roosevelt, qui était un admirateur de l’amiral Mahan, à la plus haute fonction.

» Teddy n’a pas perdu de temps pour entraîner l’Amérique dans une nouvelle ère d’impérialisme anglo-américain à l’étranger, une perversion de la doctrine Monroe sous la forme de la diplomatie du “Big Stick” de Teddy en Amérique latine, une croissance de l’eugénisme et de la ségrégation aux États-Unis et la création d’une agence policière indépendante appelée le FBI.

» Comme l’écrit le journaliste Martin Sieff dans “L’assassinat anarchiste du président américain William McKinley et ses liens avec le meurtre du tsar Alexandre II” :

» “Teddy Roosevelt a consacré les huit années suivantes de sa présidence et le reste de sa vie à intégrer les États-Unis et l’Empire britannique dans un réseau homogène d’oppression impérialiste raciale qui a dominé l’Amérique latine, l’Afrique subsaharienne et l’Asie et qui a détruit l’histoire culturelle et l’héritage des nations autochtones d’Amérique du Nord”. En détruisant les progrès de la construction nationale en Russie, le traité anglo-japonais de 1902 a conduit à la désastreuse guerre russo-japonaise de 1905, qui a dévasté la marine russe, mis fin à la carrière politique de Sergei Witte et plongé la Russie dans le chaos, entraînant la chute des Romanov. Ce n’est qu’en 1942, lorsque le vice-président de Roosevelt, Henry Wallace, a rencontré le ministre des Affaires étrangères Molotov, que l’idée a refait surface.

» Alors que les Anglo-Américains tentaient de violer la Chine par la politique de l’‘Open Door’, une manœuvre d’arrière-garde heureuse orchestrée par un autre disciple d’Abraham Lincoln, Sun Yat-sen, a abouti au renversement surprise de la dynastie mandchoue en 1911 et à l’institution de la République de Chine, avec Sun Yat-sen comme président par intérim. Alors que Sun Yat-sen s’est rangé du côté de Gilpin et de Lincoln en opposition aux mahanistes [partisans de Mahan] sur la question du développement ferroviaire et industriel illustrée dans son extraordinaire programme de développement international de la Chine de 1920, les intrigues qui ont plongé le monde dans la Première Guerre mondiale ont anéanti tout espoir de ce développement précoce de la Chine impossible du vivant de Sun Yat-sen”.

L’initiative Belt and Road d’aujourd’hui et l’amitié stratégique établie entre la Russie et la Chine ont réveillé la vision oubliée de William Gilpin d’un monde d’États-nations souverains coopérants.

Je terminerai par la question suivante : le président Trump a-t-il la force morale et intellectuelle nécessaire pour empêcher sa nation de se désintégrer suffisamment longtemps pour accepter une alliance Russie-États-Unis-Chine nécessaire pour relancer le système américain de McKinley, ou allons-nous sombrer dans une nouvelle guerre mondiale ? »

 

Mis en ligne le &§ janvier 2025 à 12H25

Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org

À propos de l'auteur Dedefensa.org

« La crisologie de notre temps » • Nous estimons que la situation de la politique générale et des relations internationales, autant que celle des psychologies et des esprits, est devenue entièrement crisique. • La “crise” est aujourd’hui substance et essence même du monde, et c’est elle qui doit constituer l’objet de notre attention constante, de notre analyse et de notre intuition. • Dans l’esprit de la chose, elle doit figurer avec le nom du site, comme devise pour donner tout son sens à ce nom.

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