L’État anti-nation – Partie III : L’État contre la nation

L’État anti-nation – Partie III : L’État contre la nation

Dernièrement, les régents de la République française ont fait proclamer par la voie de leur héraut, Emmanuel Macron, toute la nécessité de « rebâtir la nation », comme s’il s’agissait d’une vieille cathédrale en ruine, consumée par les flammes d’un insidieux incendie, qu’il faudrait reconstruire non pas au nom de son utilité première, mais pour des objectifs secondaires. Lorsque pareils objectifs sont érigés en principes, c’est-à-dire qu’ils usurpent une place qui ne leur revient pas, alors une telle entreprise prend un caractère profanatoire. Dans cette analogie de la nation-cathédrale, que les nihilistes qui nous gouvernent cherchent à « rebâtir », on s’achemine davantage vers la déconstruction, terme qui colle à la peau de notre époque et qui ambitionne de définir la simultanéité de la destruction et de la création d’une forme nouvelle. En se substituant aux bâtisseurs du Moyen Âge, les « déconstructeurs » se débarrassent de l’esprit qui prévalait alors et dévoilent une nouvelle ambition, obscure et mortifère. À l’intérieur de ce projet, la vieille nation française est de trop.

La fin programmée de l’État-nation

L’idée que l’État-nation est dépassé est en réalité une vieille idée. Déjà dans sa conférence à la Sorbonne en 1882, Ernest Renan prédisait, en même temps qu’il tentait de définir la nation, qu’elle finirait par se dissoudre dans un vaste ensemble européen :

« Les volontés humaines changent ; mais qu’est-ce qui ne change pas ici-bas ? Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. » [1]

Les critiques les plus virulentes du modèle de l’État-nation apparaissent avec la montée en puissance du fascisme, et d’autant plus après sa chute. La papesse du totalitarisme, Hannah Arendt, porte ses estocades contre l’État-nation qui détient en lui-même le germe du nationalisme. Arendt construit toute sa critique de la question nationale sous l’angle de l’antisémitisme et rêve d’une fédération européenne dans laquelle les juifs pourraient exister et s’émanciper comme une portion de nation parmi les nations, au sein d’un vaste parlement ouvert aux minorités. Car la grande question est bien celle des minorités. Dans Les Origines du totalitarisme, Arendt regrette que l’État ait été conquis par la nation, celui-ci étant dès lors empêché par celle-là de conserver sa position au-dessus des classes et des partis. Elle établit un rapport téléologique indépassable entre la Révolution française et la Révolution nationale. Si elle reconnaît que l’État-nation produit l’égalité de droit, ce qui constitue sa « splendeur », la « misère » de l’État-nation résiderait dans l’exclusion des éléments hétérogènes par un « chauvinisme sauvage ». Hannah Arendt exècre la nation telle que la définit Carl Schmitt, à savoir un corps homogène qui doit pouvoir s’exprimer par le plébiscite [2]. On trouve chez Schmitt (1888 – 1985) cinq sens de l’égalité qui se sont manifestés à différentes périodes de l’histoire :

- celui de la démocratie athénienne, qui repose sur l’excellence (ἀρετή) du peuple Grecs par rapport aux barbares et aux esclaves ;

- la virtù de Machiavel ou la « volonté générale » que l’on retrouve chez Rousseau et qui s’appuie sur l’homogénéité du peuple ;

- la démocratie immédiate des niveleurs anglais du XVIIe siècle, réprimés par Oliver Cromwell mais dont les idées ont fécondé la rédaction de la constitution américaine ;

- la démocratie nationale dans laquelle la nation est le peuple, doté d’une conscience politique et partageant une communauté de destin passé et à venir – Schmitt emprunte ici la définition de Renan ;

- la politique bolchevique où l’homogénéité de classe se substitue à l’homogénéité nationale.

Schmitt se réfère à Rousseau pour affirmer que c’est l’homogénéité nationale du peuple qui fait naître le sentiment de l’unité nationale. Arendt, qui a largement inspiré la réflexion d’après-guerre sur l’État, ne voit dans cette État-nation que deux potentialités qui finissent toujours par se manifester : le potentiel nationaliste, qui débouche sur l’exclusion des « corps étrangers » à la nation, et le potentiel dictatorial. C’est avec ce prisme qu’elle critique, embarrassée, l’État d’Israël créé en 1948, qui ne peut exister sans prendre en compte la présence des Arabes en Palestine, à moins de devenir un « État totalitaire » [3].

Cette conception de l’État-nation qui favorise, au nom de l’homogénéité nécessaire, l’exclusion et donc la violence des éléments hétérogènes, prend le contre-pied de la vision ancienne de l’État dont la violence centralisée devait permettre d’éliminer la violence privée ou communautaire. Ainsi, pour mettre cette idée en perspective, Ibn Khaldûn, historien et philosophe qui vécut la fin de sa vie dans l’Égypte des Mamelouks à la fin du XIVe siècle, considérait que l’individu naît au sein de l’État car le rôle de ce dernier est de casser les solidarités tribales dans lesquelles règne la violence privée. Ainsi, l’État assure la sécurité de tous en brisant le groupe. Brisé et privé de défenses communautaires, le « Bédouin » – puisque c’est la référence utilisée par Ibn Khaldûn – est contraint de devenir individu et de s’en remettre à la force de l’État. Il faut noter qu’Ibn Khaldûn, regrettant l’effondrement d’Al-Andalous d’où sa famille avait été chassée et analysant la fin du Califat abbasside au milieu du XIIIe siècle, éprouve une certaine amertume face à la médiocrité des dirigeants en Afrique du Nord et à la faible envergure des leurs ambitions étatiques [4]. On retrouve cette logique dans la prise en main par l’État monarchique de la justice afin d’éliminer le cycle des vengeances et des duels judiciaires.

L’État anti-nation promu par Arendt et développé à partir des années 1970 en France, c’est donc un État mis au service de la minorité, contre la volonté générale conçue comme nécessairement violente et discriminante.

« Cela ne me semble pas être une utopie que d’espérer en la possibilité d’une fédération de nations avec un Parlement européen. […]. Dans une telle fédération, nous [les juifs] pourrions être reconnus en tant que nation européenne avec représentation dans un parlement européen. Pour cette « solution » de la question juive, le jeu du miroir déformant d’un peuple sans terre qui cherche une terre sans peuple – c’est-à-dire la lune ou encore la délivrance de la politique par le folklore – perdrait enfin tout sens. » [5]

Ce que Hannah Arendt appelle de ses vœux, sans doute naïvement, c’est le règne du lobby (communautaire et/ou financier) dont le parlement européen est effectivement devenu le temple.

Dans la classification de Philip Bobbitt que nous avons déjà mobilisée, celui qui fut directeur du conseil de sécurité nationale sous l’administration Clinton propose un nouveau modèle d’État, mieux à même de relever les défis contemporains que le vieil État-nation obsolète : c’est l’État-marché. Cette transformation s’inscrit dans ce qu’il nomme la « longue guerre », commencée en 1914 et achevée dans les années 1990. En tant que spécialiste du droit, il envisage les « guerres d’époque », comme la guerre du Péloponnèse, la guerre de Trente Ans ou la longue guerre, comme des conflits mus par des enjeux constitutionnels. Ainsi, la longue guerre, qui englobe les deux guerres mondiales, la révolution bolchevique, la guerre civile espagnole, les guerres de Corée et du Viêt Nam et la guerre froide, résultait d’une concurrence entre différentes variantes de l’État-nation industriel du XXe siècle (fasciste, communiste ou parlementaire). L’enjeu était de savoir qui serait à même de supplanter les États-nations impériaux du XIXe siècle.

Pour le XXIe siècle, Bobbitt identifie des enjeux qui cochent toutes les cases du projet mondialiste : pandémies, catastrophes écologiques, migrations internationales hors de contrôle, mondialisation de l’économie. Pour Bobbitt, le « deal » territorial de l’État-nation ne peut faire face à de tels enjeux, qui dépassent tous les frontières nationales. D’où la mise en place d’un État-marché qui sous-traite au secteur privé les fonctions régaliennes, pousse la population à « s’autonomiser » en matière de protection sociale, renonce à tous les projets de redistribution des richesses [6].

La crainte du plébiscite

La grande peur des cadres des régimes démocratiques, c’est la volonté générale, surtout lorsqu’elle s’exprime par des masses visibles et revendicatrices. Pour Carl Schmitt, le plébiscite était le moyen de faire s’exprimer la souveraineté populaire car elle permettait de fonder la légitimité du pouvoir en même temps qu’elle participait à homogénéiser la nation en discriminant les « amis » des « ennemis ». Les dirigeants de la IIIe République avaient bien compris les dangers d’une telle expression populaire puisqu’elle avait mené au pouvoir, par la voix du suffrage universel adopté en 1848, Louis-Napoléon Bonaparte. Ce dernier fonda son régime sur le plébiscite régulier de la nation. Le Second Empire, comme le Premier, trouvaient leur légitimité dans le prestige militaire de la nation en arme et les deux s’effondrèrent à cause d’une défaite.

Pour se maintenir, ce qu’elle fit très bien jusqu’en 1940, la IIIe République devait donc éviter le danger du plébiscite en confisquant la voix de la volonté générale et en la domestiquant par le biais d’une représentation nationale.

Le plébiscite, étymologiquement « la décision de la plèbe », est sans doute et paradoxalement le pire ennemi des sociétés démocratiques modernes. Il dépasse le simple vote ou référendum ; il renvoie aussi à l’image d’une assemblée, d’une masse homogène et déterminée. Hier comme aujourd’hui, il n’est pas nécessaire, d’autant que cela est impossible, que la nation soit réunie dans sa totalité pour exprimer sa volonté. Un nombre limité de personnes suffit à donner le sentiment de masse. Les révolutionnaires de 1830 ou 1848 évoluent à l’intérieur d’un microcosme parisien et représentent au maximum 50 000 à 60 000 personnes [7].

Les Gilets jaunes ont fait tremblé « l’État-marché », et pas seulement en France, en réunissant une portion infime mais très démonstrative de la population française, emportant de fait le soutien général de la nation. On peut parler d’un plébiscite de fait, un plébiscite manifeste.

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Nombre de participants lors des manifestations des Gilets jaunes en France entre novembre 2018 et juin 2019 (source : statista.com)

Pour les démocraties libérales, le plébiscite, c’est la nation sauvage, incontrôlable. C’est le fascisme. Les régimes fascistes se sont appuyés sur la masse, réunie dans de grands stades ou sur de grandes places.

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Discours d’Adolf Hitler au Palais des sports de Berlin, 26 septembre 1938
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Benito Mussolini au Palais de Venise, Rome, 9 mai 1936

Après-guerre, le moment du gaullisme correspond en France à l’institutionnalisation du plébiscite Alors que la IIIe République avait soigneusement écarté le référendum, de Gaulle inscrit la légitimité de la Ve République dans le recours régulier à l’avis de la nation. Il démissionnera d’ailleurs après le référendum perdu de 1969 sur la réforme du Sénat et la régionalisation.

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Les référendums de la Ve République

On comprend la fébrilité des élites occidentales, baignées dans la douceur suave et feutrée de la démocratie représentative, face à des régimes politiques contemporains renouant avec des modes de gouvernance favorisant la manifestation de la volonté générale. Les discours de Vladimir Poutine ou de Donald Trump dans des stades combles ne peuvent être associés, au sein des États anti-nation d’Occident, qu’à un retour du fascisme soutenu par une plèbe manipulable et embrigadée.

En France, le divorce entre la nation et ses représentants n’est pas une vue de l’esprit et il se manifeste lors de séances de démocratie directe, dans la rue ou dans les stades. À ce niveau, c’est la nation qui rejette le représentant de l’État comme un corps étranger.

L’homme nouveau d’une nation au second degré

On peut voir plusieurs grandes caractéristiques dans la nation française. Ce fut d’abord un peuple de guerriers. Cela vaut pour les Francs, comme nous l’avons montré, mais aussi pour les Gaulois, dont les cavaliers constituaient de redoutables mercenaires très recherchés. Une nation paysanne également, attachée à une terre à la fertilité exceptionnelle. Ce fut ensuite, avec Clovis, une nation chrétienne catholique, fille aînée de l’Église. Une nation politique enfin, qui exerça son influence sur l’Europe et sur une large partie du monde.

Que reste-t-il de ces caractéristiques aujourd’hui ? Il n’y a plus de nation en arme en France. L’appel sous les drapeaux est définitivement supprimé en 1997. La nation politique éclairée se meurt sous les coups d’une éducation prétendument nationale qui produit des générations de jeunes à qui l’on n’enseigne plus le goût de l’effort, la tolérance à la frustration et à la privation, le respect des plus âgés. Enveloppés dans une « bienveillance » de façade, ils sont eux aussi, eux surtout, déconstruits. Il est sans doute préférable à un État antinational de limiter toute possibilité d’une conscience nationale qui contribuerait à mettre en évidence les écarts qui s’accroissent entre l’État et la nation. L’aventure coloniale a servi d’expérience. Ce sont les élites indigènes, ceux que l’on nommait les « éduqués », qui produisirent les leaders des mouvements indépendantistes, puisqu’ils s’étaient hissés à la hauteur de la promesse d’une République égalitaire et émancipatrice pour mieux constater l’inégalité permanente du système colonial. Le deux poids, deux mesures n’est pas plus supportable en Orient qu’en Occident. Aussi, le système éducatif français ne cherche aucunement à émanciper, mais plutôt à plafonner et à enfermer la jeunesse à l’intérieur de luttes horizontales ou intestines. L’égotisme qui se développe n’a pas pour but de créer un individu robuste et fier de lui-même, mais un être fragile et instable inapte à la remise en cause de ses défauts individuels. Ne pouvant s’identifier à une nation, trop vaste, trop froidement homogène et trop insensible à ses particularismes, il se tourne vers la communauté, la minorité qui servira de refuge à l’expression de ses revendications. C’est le processus inverse de la construction nationale au cours de l’histoire.

Dans un pays encore composé pour moitié de ruraux en 1940, le projet de Révolution nationale prenait son appui sur la terre, car elle « ne ment pas ». La population rurale française est aujourd’hui inférieure à 20 % et, d’après les recensements généraux de l’agriculture (RGA), la part des agriculteurs exploitants dans l’emploi total est passée, entre 1988 et 2020, de 6 % à 1,5 %, cela alors même que la surface agricole utile (SAU) représente environ 26,7 millions d’hectares, soit près de la moitié du territoire métropolitain. La France n’est plus une nation paysanne, mais reste, encore, un grand pays agricole. Mais l’éloignement de la terre, la tertiarisation et la numérisation de l’économie ne sont pas sans conséquences sur le rapport au pays ; l’éloignement de la nature participe aussi à l’éloignement du réel. Tout est prétexte à la distanciation. Quelques exemples concrets sont plus frappants que des statistiques : la paysanne des années 1950 se baladait le long des routes, une baguette de noisetier à la main, un couteau dans l’autre, pour ramasser des pissenlits ou des herbes pour ses lapins, qu’elle savait tuer, dépecer et cuisiner. Sa fille aujourd’hui ne se balade plus. Elle randonne, les mains solidement agrippées à deux bâtons de marche achetés chez Décathlon, tout en ignorant le nom des plantes qu’elle croisera malgré l’appauvrissement de la flore dû aux « produits phytosanitaires » et à la destruction du bocage. L’ouvrier se rendait à pied jusqu’à son usine où il était soumis à la cadence de la chaîne de montage pour un salaire de misère ; ses descendants paient le droit de monter sur un tapis roulant pour y courir derrière une vitrine, devenant de fait une marchandise exposée, mais fière de l’être. Tout cela produit une mise en abyme nostalgique du réel, largement permise par l’économie numérique. C’est moins la volonté d’être que le désir d’être une image de soi-même. Une image travaillée, retouchée, aussi connectée par le virtuel que déconnectée du réel.

Quant à la religion, en France, elle fut incontestablement le socle de l’éducation des masses. Le rôle du roi était de mener son peuple au salut. Qu’il en ait les moyens ou non, cet objectif faisait consensus. Mais ce projet s’est délité bien avant la Révolution française, dès la fin du Moyen Âge. Le projet laïc devait prendre le relais. Un projet pour le peuple, le mot grec laikόs (λαϊκός) désignant justement le peuple. Tout comme la nation constituante devait trouver la légitimité de sa souveraineté par elle-même, le peuple devait abandonner toute autre transcendance que lui-même pour son salut.

La déchristianisation en France est un projet politique qui est devenu une réalité sociale. L’historien Guillaume Cruchet situe le point de bascule dans les années 1960 [8]. Aujourd’hui, d’après l’INSEE, 29 % de la population française se déclare catholique, 10 % musulmane. Cependant, parmi ces 29 % de catholiques, seuls 8 % affirment se rendre régulièrement à l’église, alors que 20 % des musulmans et 34 % des juifs disent fréquenter un lieu de culte. En outre, la transmission religieuse entre générations est moins forte dans le catholicisme : 67 % des catholiques disent suivre la religion de leurs parents, contre 84 % chez les juifs et 91 % pour les musulmans [9].

Au-delà des statistiques, il est vrai que les Français, pour une large partie d’entre eux, sont touchés, sincèrement, par le spectacle désolant des églises qui s’embrasent. Mais la réaction ne s’élève pas au-delà de la lamentation et des pleurs. Dans les campagnes de France, les églises sont fermées, sauf à de très rares exceptions près, pour accueillir un concert de jazz ou une chorale de fin d’année, dans le meilleur des cas. Pour les hommes, une église pluriséculaire qui part en fumée, c’est un drame pour l’histoire et pour le patrimoine. Mais devant Dieu, est-ce pire qu’une église vide ?

Plus généralement, un chrétien devrait aussi se demander comment réagirait le Christ dans cette situation. Une bonne partie de la réponse réside dans l’image que l’on se fait de l’homme. Et en Occident, plus particulièrement en France, l’image modèle de l’homme, c’est d’abord l’image que l’on se fait du Christ. Elle a évolué au cours de l’histoire. L’image que les croisés ont dans leur tête lorsqu’ils se rendent en Orient n’est pas celle que s’est forgée Henri III durant les guerres de religion. Les soubresauts de l’histoire sont innombrables, mais si l’on résume l’évolution de l’image du Christ dans l’Occident catholique en trois phases, on pourrait entrevoir l’évolution suivante :

À l’époque mérovingienne et jusqu’au Moyen Âge classique, le Christ est une manifestation de la puissance de Dieu : ce n’est pas la croix qui le porte, c’est lui qui porte la croix.

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Sacramentaire de Charles le Chauve, v. 869-870. Bnf

La fin du Moyen Âge, la Renaissance et les guerres de religion transforment cette perception du divin. Désormais, la pesanteur se fait sentir : c’est la croix qui porte le Christ.

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Matthias Grünewald, Retable d’Issenheim, vers 1510-1516

Avec l’ouverture au monde moderne de Vatican II, la croix elle-même peine à porter le Christ qui continue de s’effondrer.

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Crucifix de Jean-Paul II, pape de 1978 à 2005

Cet effondrement est visuel. Métaphysiquement, cela ne change strictement rien au message du Christ. Mais l’image par laquelle les hommes perçoivent le divin renvoie directement à la façon dont ils se perçoivent eux-mêmes.

Bien loin de vouloir contrer cette évolution, les élites occidentales l’accompagnent avec zèle. L’État anti-nation vise à la production d’un homme nouveau, officiellement à rebours du modèle honni mis en avant par les régimes fascistes de la première moitié du XXe siècle mais, plus généralement, à rebours de la société traditionnelle. Cet homme nouveau n’a pas vocation à être solide, travailleur, issu d’une lignée clairement identifiable, attaché à sa famille, à son sang et à sa terre. Il s’agit d’abord d’un urbain, déraciné, universel donc sans identité propre, tolérant quant à la relativité de la vérité mais intolérant face à la réalité du mal. En somme, l’homme nouveau que l’on nous présente comme un parangon indépassable est un « bâtard cosmopolite » [10].

Ainsi aliénée, que ce soit dans ses caractéristiques guerrières, d’attachement à la terre, de foi et de conscience politique, la nation française ne se vit plus que par l’écho nostalgique de sa réalité.

* * *

Finalement, l’État-marché est un État anti-nation. Il conserve l’armature étatique, ce qui lui permet de puiser ses ressources dans l’économie réelle, tout en se délestant du poids de la nation dont la nature immatérielle ne peut se fondre dans une somme d’intérêts matérialistes, et désormais nihilistes, d’une élite mondialiste. Le référendum de 2005 est, en France, la dernière fois où la nation française put se manifester dans le cadre des institutions de la Ve République, tout comme 2003 et le non à la guerre américano-sioniste en Irak fut le chant du cygne de la souveraineté française. La prise en main du pays par une élite corrompue et soumise à des intérêts anti-nationaux a fait table rase du potentiel national récalcitrant. Le « gaulois réfractaire » devait être mis au pas pour accepter la destruction de son homogénéité. Appuyées sur le « transcolonialisme » et sur une propagande d’État, les attaques contre la nation et, plus généralement, contre l’homme qui la constitue, doivent accompagner le changement de modèle de l’État. La liberté, l’égalité et la fraternité sont des idées dépassées, encombrantes, qui ne correspondent plus aux nécessités du temps. Tout comme la cathédrale qui perdure dans son emplacement mais est transformée dans l’essence de son projet, la nation doit manifestement être déconstruite pour devenir une nouvelle création. Une nation sans âme car vendue à vil prix. Dans un État-marché, tout s’achète et tout se vend. Sa raison d’être n’est pas le salut, le bien commun ou même le bonheur. Sa raison d’être est le mouvement (de capitaux, de personnes, de marchandises, d’informations …) qui permet de dissimuler à des yeux hagards la réalité de son ambition fatale.

Même face à ce constat désastreux, tout n’est pas perdu. Pas simplement parce qu’il faudrait être optimiste par principe, mais plutôt parce que l’homme garde malgré tout l’immense privilège de ne pas connaître l’avenir. Même d’un point de vue traditionnel, celui de la descente progressive à travers les différents âges de l’humanité, l’histoire montre que cette descente n’est pas rectiligne et qu’il existe des phases de redressements inattendus, le plus souvent après des périodes de crises intenses. La France, comme beaucoup d’autres nations, traverse une crise existentielle. Plus on s’enfonce dans les problèmes, plus on se rapproche d’un dénouement violent. Toute la question est de savoir pour qui ce sera violent.

Pour finir sur une note lyrique, et en même temps boucler la boucle, on pourrait faire parler saint Rémi, « apôtre des Francs », s’il avait à s’adresser à nous, postérité finissante de Clovis : « Redresse-toi, triste Sicambre, tu t’es bien assez courbé ! »

Hyacinthe Maringot

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À propos de l'auteur Égalité et Réconciliation

« Association trans-courants gauche du travail et droite des valeurs, contre la gauche bobo-libertaire et la droite libérale. »Égalité et Réconciliation (E&R) est une association politique « trans-courants » créée en juin 2007 par Alain Soral. Son objectif est de rassembler les citoyens qui font de la Nation le cadre déterminant de l’action politique et de la politique sociale un fondement de la Fraternité, composante essentielle de l’unité nationale.Nous nous réclamons de « la gauche du travail et de la droite des valeurs » contre le système composé de la gauche bobo-libertaire et de la droite libérale.

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