Ce texte est le dernier d’une série : Quand les microbes contaminent l’histoire ; Les armes biochimiques, en passant par les nazis, l’ex-URSS et les États-Unis ; Les armes biochimiques aux États-Unis et au Canada.
Prôner le « bio » n’est pas toujours salutaire. Ce joli diminutif est très insidieux, lorsque sa nature devient militaire. Et des armes biologiques, les peuples belliqueux en utilisent depuis plus de 1000 ans.
Le Moyen-Âge est une période trop longue pour s’avérer réductible à ses moments qualifiés d’obscurantistes. Un bon exemple provient du développement de l’Inquisition. Ses prémices sont moyenâgeux, mais son application couvre davantage la Renaissance. Les épidémies y firent des ravages, mais si on ignorait la cause des infections, on les savait contagieuses. Les malins trouvent toujours le moyen de profiter d’un malheur : lors d’un conflit, on catapultait des cadavres dans l’enceinte des villes assiégées. Si les habitants ne manquaient pas de nourriture, la peste ou la vérole affaiblissait leur résistance.
Des armes biodégradables
Il est dit qu’on n’arrête pas le progrès. Les vendeurs d’équipements militaires finiront par convaincre des citoyens qu’une guerre est justifiable, en étiquetant leurs produits « armes écoresponsables ». Les leurres qui attrapent les poissons fonctionnent aussi avec les humains : en Angleterre, le ministère de la Défense subventionne l’entreprise BAE Systems pour la conception de mines antipersonnel biodégradables. Elles avaient été interdites, mais sous cette forme, on les jugera acceptables. Eh oui, je vous l’ai dit, on n’arrête pas le progrès. On développera aussi des ogives moins bruyantes et on éliminera le plomb des balles d’armée. D’autres pays suivront cette éthique de poudre aux yeux. Il me semble déjà entendre les ministres de la Défense susurrer que les guerres deviennent respectueuses pour l’environnement. Certains considèrent l’énergie nucléaire « verte ». Va-t-on aussi déclarer les armes nucléaires « vertes » ? ¹
Les militaires sont stratèges jusque dans les mots. Une bombe qui anéantit un village est « une erreur de cible ». On nomme le massacre d’une population « guerre humanitaire » et la destruction d’un hôpital « dommage collatéral ». Maintenant, on ajoute « mines biodégradables » et « munitions saines pour l’environnement ». Encore une fois, on n’arrête pas le progrès… de la stupidité humaine. Mais ceci n’est qu’une introduction, entrons dans le vif du sujet, comme le font les soldats.
Le gaz moutarde : toujours dans l’air
Dans les années 1930 et 1940, des centaines d’Indiens, engagés par l’armée anglaise, servirent de cobayes. On désirait connaître la quantité de gaz approchant de la dose létale. Les soldats ne revêtaient pas de protection adéquate. On ne les informait pas des conséquences sur leur santé. Beaucoup d’entre eux souffrirent de brûlures ou de maladies, car une fois l’ADN endommagé, des cancers pouvaient se développer. Les vêtements militaires et les bottes en caoutchouc n’empêchaient pas le gaz moutarde de causer des brûlures aux yeux et sur la peau, en plus d’endommager les poumons.
Son acronyme « LOST » est issu des noms des chimistes Lommel et Steinkopf qui trouvèrent le moyen d’en produire massivement, pour l’armée, alors qu’ils étaient employés par Bayer AG. On nomme parfois ce gaz « ypérite », en souvenir de la ville d’Ypres, en Belgique, où les Allemands l’utilisèrent contre les troupes britanniques en 1917. En réquisitionnant des obus bondés de ce gaz, les soldats saufs permirent aux Alliés, britanniques et français, d’en connaître la nature et d’en remplir, eux aussi, des dizaines de milliers d’obus dès 1918.
S’il y a des gens qui croient que le gaz moutarde est une vieillerie déclassée, eh bien, à vue de nez, cette arme à l’odeur de Dijon est demeurée très populaire. Malgré le protocole de Genève de 1925. Malgré la Convention sur l’interdiction des armes chimiques de 1993.
En 1922, par l’URSS, à la révolte basmatchi, des populations turques et musulmanes d’Asie Centrale. Le régime tsariste les avaient déjà réprimées en 1916, sans ce type d’arme.
En 1920, par le Royaume Uni contre les Irakiens.
En 1925, par l’Espagne durant la guerre du Rif, au Maroc. La France était aussi impliquée dans cette entreprise coloniale.
En 1934-1935, par l’Italie en Libye et pendant l’invasion de l’Abyssinie (Éthiopie).
En 1937-1945, par le Japon contre la Chine.
En 1939-1945, par les médecins nazis sur des détenus-cobayes des camps de concentration.
En 1963-1967, par la République Arabe Unie contre le royaume mutawakkilite du Yémen.
En 1983-1988, par l’armée de Saddam Hussein contre les Kurdes du nord de l’Irak.
Entre 1980 et 1988, lors de la guerre entre l’Iran et l’Irak.
En 1978-1987, par la Libye dans le nord du Tchad.
Et au XXIᵉ siècle, en 2015-2016, par l’État islamique, pendant les guerres civiles de Syrie et d’Irak.²
En 2024, les forces armées israéliennes utilisent du phosphore blanc dans leur répression à Gaza. Le 22 octobre 2024, le Financial Times suspecte même le recours à ce type d’arme chimique, contre des soldats de l’ONU qui refusaient de quitter leur poste frontière du Sud Liban. Quinze d’entre eux ont été blessés.
Les manuels Merck, recueils sacrés de la pharmacopée chimique depuis 1899
Les informations qui suivent présentent un résumé d’un excellent site, lié à l’entreprise Merck and co., dont l’usine du New-Jersey servit de façade au développement d’armes biochimiques, pendant la Seconde Guerre mondiale. Les « manuels Merck », dit-on, sont les sources d’informations médicales les plus consultées au monde. Les textes de ce site ont été rédigés par James M. Madsen, diplômé en santé publique de l’Université de Floride. Il y est mentionné que l’armée ne reconnaît pas nécessairement l’ensemble de ses écrits, tout comme cet homme est indépendant de la teneur de mon article.
Il est important d’évaluer la perversité humaine, à laquelle des scientifiques remarquables sont parvenus. Il est essentiel de réitérer le fait qu’être membre d’une élite ou d’un groupe d’experts ne garantit pas que l’on soit intègre, honnête, exempt de collusion. Des milliers d’experts nazis nous en ont donné la preuve. Et après la Seconde Guerre, les pays qui se prétendent libres et démocratiques en ont bien profité.
Agents chimiques anti-émeute
Ceux-ci sont devenus familiers pour beaucoup d’entre nous. Quoi qu’on l’appelle « gaz lacrymogène », il s’agit de substances solides qu’on peut dissoudre et diffuser comme un liquide ou un aérosol. On y recourt pour disperser des manifestants. Quoique ce soit rare, des décès surviennent parfois si l’on souffre de problèmes respiratoires. Les bombes lacrymogènes sont composées d’oléorésine de capsicum. Lorsqu’ils sont utilisés par l’armée, ces agents sont à base de chloracétophénone (Mace®), l’Adamsite, dit agent vomitif. Tous provoquent une irritation de la peau, aux yeux et muqueuses, des éternuements et la toux. Les personnes très sensibles peuvent souffrir de cloques sur la peau. Dans les cas graves, elles développent le syndrome d’irritation des bronches qui occasionne de l’essoufflement et des crises semblables à l’asthme.
Les agents suffocants de type 1 affectent les poumons (l’ammoniac, la plupart des fumées, le dioxyde de soufre et le gaz moutarde au soufre).
Les agents de type 2 envahissent les petites voies respiratoires et les alvéoles pulmonaires (la chloropicrine, le phosgène et le tétrachlorure de carbone).
Les agents à effets mixtes nuisent aux grandes voies respiratoires et aux alvéoles (le chlore, la fumée d’hexachloroéthane, d’oxyde de zinc et la lewisite).
Les agents vésicants affectent la peau et génèrent des cloques. Les gaz moutarde peuvent amoindrir la capacité de la moelle osseuse à produire les globules blancs du système immunitaire (le gaz moutarde au soufre ou à l’azote, la lewisite et l’oxime de phosgène).
Les agents incendiaires servent à éclairer un champ de bataille, à déclencher des incendies ou au contraire, à obscurcir le terrain et dissimuler les combattants. On les insère dans des projectiles explosifs ou des bombes. Tant qu’il est exposé à l’air, le phosphore blanc persiste à brûler les vêtements et la peau. Comme le magnésium brûle même dans l’eau, il continue à se consumer à l’intérieur des tissus (le phosphore blanc, le magnésium et l’essence gélifiée appelé napalm).
L’acide fluorhydrique (HF) existe à température ambiante sous forme de liquide ou de vapeur. Il affecte surtout la peau, les yeux et les poumons. Il cause des brûlures et peut même perturber le rythme cardiaque et mener au décès.
Les armes chimiques neurotoxiques affectent la manière dont les nerfs transmettent des signaux aux muscles et aux nerfs. Il existe plusieurs types d’agents neurotoxiques :
Les agents de la série G : le tabun, le sarin, le soman et le cyclosarin, élaboré par des scientifiques nazis, avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les agents de la série V sont des organophosphorés, comme les insecticides ! Ils bloquent une enzyme qui dégrade les neurotransmetteurs, ce qui empêche les cellules nerveuses d’envoyer des signaux entre elles et aux muscles. Dans le cas où l’acétylcholine ne se dégrade pas normalement, elle s’accumule et sur-stimule les nerfs, les muscles et les glandes de tout l’organisme. Les muscles tremblent, se contractent de manière incontrôlable, et finissent par s’affaiblir. Ces agents peuvent induire des troubles neurologiques à long terme, comme l’anxiété, la dépression, l’irritabilité et des problèmes de mémoire. Le VX, « V » pour vénéneux, en est un.
Les asphyxiants systémiques, sont dits « hémotoxiques » : poisons pour les cellules sanguines. Bien qu’ils se répandent dans le sang, ils nuisent à tous les types de cellules.
Le cyanure d’hydrogène et le chlorure de cyanogène sont des liquides qui s’évaporent facilement ou des gaz à température ambiante. Lors d’un incendie, les produits domestiques à base de cyanures peuvent se répandre et causer une intoxication.
Le sulfure d’hydrogène est un gaz à température ambiante. La décomposition du fumier dans les fosses d’élevage industriel en émet souvent des quantités mortelles.
Les armes à toxines. Ici, on se réfère à des substances chimiques sécrétées par un organisme naturel. Sous formes d’armes, elles proviennent d’une synthèse en laboratoire. Elles dérivent d’organismes infectieux, comme les virus et les bactéries mais, en principe, ne sont pas transmissibles car elles s’apparentent à des produits chimiques : elles provoquent une intoxication plutôt qu’une infection. Parmi elles, les plus dangereuses sont les toxines botuliques, l’epsilon de la bactérie Clostridium perfringens, la toxine ricine et l’Entérotoxine B staphylococcique.³
Grâce aux armes écoresponsables, on évoquera le nombre potentiel de gens qui n’auront pas perdu une jambe, en marchant sur une mine. Les soldats ne perdront plus l’ouïe par faute de détonations intenses. Le sol et l’eau ne contiendront plus de plomb nocif. Des milliards d’euros, de roubles et de dollars s’évaporeront en saccage « vert », couleur de cadavre. Alors qu’il suffirait que nous cessions de confier l’existence de l’humanité à des crétins incapable de se contenter de leur salaire. Des pédants qui déclenchent des conflits au lieu de les régler, qui envahissent des contrées, détruisent les infrastructures, et se lamentent d’accueillir des réfugiés qui fuient les camps insalubres. Des élus pires que des résidus encombrants, puisqu’on les endure pendant des années. Et leur recyclage ne crée rien de nouveau sous le Soleil.
Références :
1.1 https://www.mediaterre.org/actu,20200808125143,1.html (munitions écoresponsables)
1.2 https://www.baesystems.com/en/capability/weapon-systems—munitions
1.3https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/defense/chez-bae-systems-la-fabrique-a-munitions-demultipliee-par-la-guerre-en-ukraine_AD-202311130087.html
1.4 Le grand mensonge vert, de Jean-Sébastien Trudel et Kathy Noël, Les 7 pièges de la consommation responsable, 6. Le moindre des deux maux, Éditions Transcontinental, 2010.
2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Gaz_moutarde
3.https://www.merckmanuals.com/fr-ca/accueil/lésions-et-intoxications/armes-de-destruction-massive/armes-chimiques-vésicante (Textes révisé en janvier 2023) Il existe une version « grand public » et une version pour les professionnels.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir