Alors que l’île traverse une de ses pires crises économiques, le président de l’Institut cubain d’amitié avec les peuples, Fernando González, estime que la solidarité internationale est aujourd’hui « plus que jamais essentielle ».
Ouragans, séisme, crise économique et bientôt le retour du républicain d’extrême droite à la Maison blanche… La situation semble bien préoccupante pour Cuba et sa révolution. Pour le président de l’Institut cubain d’amitié avec les peuples (ICAP), Fernando González, qui prévoit quatre années de politiques encore plus dures à l’encontre de son pays, « la solidarité internationale est aujourd’hui plus que jamais essentielle ».
Toutefois, pas de place pour le désespoir pour l’île qui a toujours su se réinventer et braver tous les obstacles. Entretien avec l’ex-agent des renseignements cubains, un des « Cinq de Miami » récompensés du titre de « Héros de la République de Cuba » après avoir purgé seize années de prison aux États-Unis pour avoir infiltré des cercles paramilitaires qui fomentaient des attentats contre son pays.
Quelle est la situation à Cuba après les derniers ouragans qui ont frappé l’île ? Nous savons que le système électrique a été particulièrement touché ?
La situation à Cuba est très complexe. Nous avons subi deux ouragans et un tremblement de terre, qui ont causé des dégâts considérables. Mais le gouvernement, à tous les niveaux, s’efforce de mettre en œuvre toutes les mesures structurelles nécessaires pour redresser la situation. Certains problèmes, comme les coupures d’électricité, d’eau et de téléphone, ont déjà bien progressé dans leur rétablissement, tandis que d’autres, comme les dommages causés aux bâtiments ou aux logements, prendront plus de temps, non pas par manque de volonté, mais en raison des ressources limitées dont nous disposons.
Il convient de rappeler que ces calamités surviennent à un moment où l’économie cubaine se trouve dans une situation extrêmement complexe. Elle n’a pas eu la capacité de croître ces dernières années, ce qui s’explique en partie par la disponibilité très limitée des ressources. Malgré cela, la volonté du gouvernement est toujours d’apporter des solutions et de ne laisser personne dans l’embarras.
Quels sont les facteurs qui expliquent les défaillances du système électrique, en dehors de l’impact des catastrophes naturelles ?
La question du système électrique est très complexe. Même avant les cyclones, nous avions déjà vécu un épisode durant lequel l’ensemble du système électrique était en panne, en raison de problèmes techniques. Aujourd’hui, nous pouvons dire qu’il a été rétabli à un pourcentage très élevé, mais il reste un problème de fond : la capacité de production au niveau national ne couvre toujours pas la demande totale de la population.
À Cuba, la demande est d’environ 3 000 mégawatts par jour, donc si nous ne produisons que 1 700 mégawatts, nous aurons un déficit que nous ne pourrons pas couvrir. Pour l’instant, la seule façon de résoudre ce problème est de programmer des coupures d’électricité. En clair, la situation fait qu’à certaines heures de la journée, la population doit subir des coupures de courant. Et cela se traduit par une gêne pour les gens, une irritation.
Dans quelle mesure le blocus américain affecte-t-il le système électrique cubain ?
Nos centrales thermoélectriques ont plus de 30 ans de vétusté. Les réparations nécessaires ne peuvent pas toujours être effectuées, pour diverses raisons, parmi lesquelles précisément la forte et constante demande d’électricité. Et bien sûr, il y a toutes les questions liées au blocus lequel, par exemple, nous empêche d’accéder aux pièces ou aux matériaux de rechange nécessaires pour effectuer les réparations requises dans les centrales.
Il y a aussi la question de la dépendance au pétrole pour alimenter ces centrales électriques…
En effet, cela se rajoute aux problèmes que je viens de citer. Notre pays ne dispose pas toujours de tout le combustible nécessaire à la production de cette électricité. Une fois de plus, on trouve à la racine de ce problème fondamental la guerre économique impitoyable menée contre nous par les États-Unis.
Car il est très difficile pour Cuba d’acheter du pétrole à l’étranger, non seulement en raison de nos limitations financières, mais aussi à cause des barrières que le gouvernement des EU a érigées pour empêcher notre approvisionnement.
Souvent, même en possédant les fonds, il est très difficile de faire venir des navires pétroliers à Cuba, car les entreprises qui commercent avec nous (des compagnies maritimes aux compagnies d’assurance) sont persécutées et peuvent faire l’objet de sanctions (de la part des autorités EU). Peu de monde est donc disposé à envoyer du carburant à Cuba. C’est une conséquence directe du blocus.
Quel rôle la solidarité internationale avec Cuba peut-elle jouer, sinon pour remédier, du moins pour atténuer les effets du blocus étasunien ?
Elle est essentielle. Cuba est un petit pays, qui n’a pas beaucoup de ressources, mais qui propose un projet alternatif de société, organisée différemment, pas uniquement autour des profits de certains groupes d’intérêts.
C’est une société organisée autour de l’être humain, et je crois qu’elle offre une alternative à l’individualisme, alors que partout ailleurs les bénéfices sont réservés seulement à certains secteurs aux mains du privé, en laissant de côté la grande majorité de la population. Et je crois que c’est là l’origine de la guerre qui est menée contre Cuba : l’objectif est d’essayer d’effacer cet exemple d’autre modèle de société que nous offrons.
Loin de moi la prétention de penser que tout à Cuba soit parfait, il y a beaucoup de choses que nous aurions pu mieux faire, et aussi des choses que nous avons faites et dont nous nous sommes rendu compte à la longue qu’il s’agissait d’erreurs.
Parfois, les choses ne fonctionnent pas comme nous l’avions prévu, cependant, tout ce qui est entrepris chez nous vise à servir la majorité de la population. Aucune mesure n’est adoptée en cherchant l’intérêt particulier, ou parce qu’un secteur de l’économie a pu acheter le vote de députés ou de membres du gouvernement. Tout ce qui se fait à Cuba se fait en pensant à l’être humain et à l’amélioration des conditions de vie de la majorité des Cubains.
Nous pensons avant tout au collectif, nous essayons de bâtir une société qui recherche le bien commun et, à travers ce bien commun, le bien individuel des citoyens.
Être solidaire avec Cuba n’est pas qu’une question humanitaire, il y a un enjeu politique et idéologique…
Il est important de défendre le droit à la vie des Cubains et à travers cela le droit à l’existence de cette alternative de société que nous proposons, surtout dans les circonstances actuelles, alors que les États-Unis mènent une guerre contre Cuba pour tenter d’asphyxier son économie, dans l’espoir que le peuple retire son soutien au gouvernement révolutionnaire.
La solidarité avec notre pays, avec notre révolution, a toujours existé, mais elle est très importante aujourd’hui, et même essentielle en ces temps difficiles que nous traversons.
Le large soutien au niveau diplomatique n’est pas suffisant…
La victoire morale remportée il y a quelques jours aux Nations Unies prouve, une fois de plus, que Cuba est loin d’être seule au niveau international, au contraire. Mais nous savons très bien que ce soutien ne signifie en aucun cas la fin du blocus. Le mot d’ordre aujourd’hui est d’exiger de toutes nos forces que Cuba soit retirée de la liste infâme créée par notre voisin du nord (de pays soutenant les activités terroristes, N.D.L.R.). Ensemble, Cuba et ses soutiens doivent trouver la formule qui permettra d’atteindre le gouvernement des EU et de faire annuler cette mesure absurde.
Nous nous trouvons dans un scénario extrêmement complexe, et nous le disons clairement : aujourd’hui plus que jamais nous avons besoin de la solidarité internationale. Nous avons besoin de nouvelles voix pour dénoncer l’injustice commise à l’égard de Cuba et pour trouver de nouvelles façons de faire respecter le droit international.
Que peut-on attendre des États-Unis maintenant que le républicain Donald Trump est sur le point de revenir au pouvoir ?
Certains de leurs gouvernements ont été plus agressifs, d’autres moins, mais en fin de compte, nous savons qu’il existe un consensus au sein de la classe politique de ce pays, qu’il s’agisse de démocrates ou de républicains, sur la manière de traiter Cuba. Ils ont toujours cherché, par un moyen ou un autre, à asphyxier notre économie pour tenter d’amener notre peuple à retirer son soutien à leur gouvernement.
Nous n’attendons pas grand-chose de la nouvelle présidence étasunienne. Notre bannière est et sera de défendre notre indépendance et notre souveraineté, bec et ongles, à n’importe quel prix.
Si l’on regarde le bilan des quatre années de Donald Trump lorsqu’il a occupé la Maison blanche, on peut imaginer ce qui nous attend : quatre années de politiques encore plus dures à l’encontre de Cuba. Il tentera sûrement par tous les moyens de continuer à limiter au maximum le peu de marge de manœuvre dont nous disposons pour rester à flot économiquement.
La nomination de Marco Rubio aux Affaires étrangères n’augure en effet rien de bon.
En effet, l’arrivée de Donald Trump sera aggravée par le fait que son probable secrétaire d’État est une personne qui a une revanche personnelle à prendre contre Cuba. Pour tout autre secrétaire d’État, Cuba pourrait être, disons, une note de bas de page. Mais pas pour cette personne.
Nous pouvons donc nous attendre à ce que l’agressivité et les efforts du gouvernement des EU, qui se poursuivent depuis 60 ans pour tenter d’étouffer l’économie cubaine, s’intensifient au cours des quatre prochaines années. Ils vont poursuivre leur rêve irréalisable : que le peuple cubain blâme son gouvernement pour les calamités et les besoins qu’il endure. Nous ferons face à ce nouveau scénario avec le soutien et l’aide de la solidarité internationale.
Nous savons que nous avons de nombreux amis de par le monde, des millions de personnes connaissent la réalité de notre pays et nous soutiennent, ce qui nous donne de la force pour continuer à lutter. Il n’y a pas de place pour le désespoir. Cuba se réinvente chaque jour, avec ses propres efforts et avec la précieuse compagnie de militants à travers le monde. L’administration Trump est sur le point d’arriver, puis elle passera son chemin. La révolution cubaine sera toujours là.
Entretien réalisé par Luis Reygada, publié le 28/11/2024 sur www.humanite.fr
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir