Vision de Toynbee -I
• L’évolution de l’URSS en “nouvelle” Russie (celle de Poutine) était déjà appréhendée par le philosophe de l’histoire anglais Arnold Toynbee. • La logique du parcours de Poutine correspond à une fonction métahistorique.
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Arnold Toynbee fait partie de cette “école”, – ou disons plutôt, cette “catégorie” d’historiens qui abordent l’histoire en philosophe et refusent absolument le moindre chantage de la part des idéologies en vogue ou de tout autre sentiment d’affectivisme. Toynbee, comme un Spengler par exemple même si selon une approche qui diffère, est alors naturellement un antimoderne et un traditionnaliste dont les jugements philosophiques concernent la métaphysique de l’histoire (métahistoire) plus que l’histoire des faits apparents.
Cette position de nature philosophique, mais devenue une position de polémique politique à cause de la montée du terrorisme idéologique de la modernité exercée contre toute critique adverse, s’est affirmée décisivement sur la fin de la vie de Toynbee, dans son livre de 1948 ‘Civilisation on trial’ (nous traduirions beaucoup plus par ‘La civilisation en procès’ que par ‘La civilisation à l’épreuve’, comme le firent les éditions Gallimard en 1949). Toynbee ne parlait plus de l’histoire des civilisations mais bien de notre civilisation, après avoir constaté que des caractéristiques d’une puissance énorme empêchaient son renouvellement y compris par effondrement, alors que son niveau spirituel (civilisationnel) était d’une bassesse sans précédent.
Pour autant, le propos de Toynbee n’était pas que pessimiste, et donc nihiliste. Véritable traditionnaliste, il ne pouvait perdre espoir dans la puissance de résilience et de résistance des principes fondamentaux de l’espèce. Ainsi envisage-t-il, en 1948, l’avenir de l’URSS qu’il voit revenir à la Russie originelle, un peu à la manière de De Gaulle qui ne nomma jamais l’URSS mais employa toujours le mot “Russie” .
« Le Grand-Duché de Moscou a été la forge de cette expérience politique. La tâche accomplie par Moscou, ainsi que sa récompense, était la consolidation, sous son autorité, d'un groupe de faibles principautés en une grande puissance. Cet édifice politique moscovite a été doté à deux reprises d'une nouvelle façade, d'abord par Pierre le Grand, puis par Lénine, mais la structure essentielle est restée inchangée et l'Union soviétique d'aujourd'hui reproduit, comme le Grand-Duché de Moscou au 14ème siècle, les traits saillants de l'Empire romain d'Orient médiéval. » (Toynbee)
Le philosophe Paolo Becchi reprend ce passage du livre de Toynbee et l’applique à l’histoire de l’URSS redevenue Russie jusqu’à la guerre d’Ukraine. Il fait de Poutine la troisième “façade” de la Russie après Pierre le Grand et Staline. (Traduction ‘euro-synergies.hautefor.com’)
dde.org
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Moscou héritière de l'Empire romain d'Orient
La Russie retrouve la dignité qu'elle semblait avoir perdue avec la dissolution de l'URSS. Cette Union a pris fin et, avec elle, le récit du communisme (seulement celui-là: en URSS, le « communisme », au sens de Marx et de Bordiga, n'a jamais existé). Mais la civilisation russe, son héritage byzantin, gréco-chrétien, ne pouvait pas disparaître. Cette civilisation, sœur de la nôtre, n'a pas non plus disparu avec l'URSS. Comme l'a souligné Arnold J. Toynbee en 1948 dans Civilisation on Trial (traduit en italien par Bompiani), la Russie a toujours cherché son salut dans cette institution politique qu'était l'Empire romain d'Orient.
Sauver la façade
« Le Grand-Duché de Moscou a été la forge de cette expérience politique. La tâche accomplie par Moscou, ainsi que sa récompense, était la consolidation, sous son autorité, d'un groupe de faibles principautés en une grande puissance. Cet édifice politique moscovite a été doté à deux reprises d'une nouvelle façade, d'abord par Pierre le Grand, puis par Lénine, mais la structure essentielle est restée inchangée et l'Union soviétique d'aujourd'hui reproduit, comme le Grand-Duché de Moscou au 14ème siècle, les traits saillants de l'Empire romain d'Orient médiéval » (p. 259).
Selon Carl Schmitt
La façade, pour la troisième fois, c'est Poutine. Cet héritage byzantin, avec ses valeurs et traditions chrétiennes-orthodoxes, ne pouvait pas échouer et a été réaffirmé en contraste avec un Occident (ou plutôt avec l'« hémisphère occidental », comme Carl Schmitt l'a défini) de plus en plus corrompu dans ses coutumes, décadent et profane.
La capitulation à l'Ouest
En 1989, le mur de Berlin s'effondre. L'année suivante, avec la réunification de l'Allemagne, un État du Pacte de Varsovie, la République démocratique allemande, est annexé à la République fédérale d'Allemagne. Cet État disparaît et devient membre de l'OTAN.
En 1991, l'Union soviétique a implosé, d'une manière qui attend peut-être encore d'être reconstituée historiquement dans tous ses détails. Le jour de Noël de cette année-là, Gorbatchev a démissionné parce que l'URSS n'existait plus et que le « processus de démocratisation » avait commencé, ce qui signifiait alors la capitulation devant l'Occident. Mais le peuple soviétique souhaitait-il cette dissolution ?
Les négociations occidentales avec Gorbatchev ont au moins laissé entendre, pour autant que nous le sachions, que l'OTAN n'irait pas plus loin. L'annexion de l'Allemagne de l'Est aurait pu suffire. Mais nous savons ce qu'il en est advenu.
L'esprit de Vladimir
Boris Eltsine achevait le travail commencé par Gorbatchev en vendant le pays. D'aucuns, aux États-Unis, parlaient même de la fin de l'histoire, c'est-à-dire de la fin de la Russie, alors même que Poutine mettait fin au processus de dissolution. Le destin a voulu qu'un homme incarne de manière hégélienne l'esprit de son monde, le sens d'une civilisation millénaire et s'oppose à sa disparition.
Multiethnique, multiculturel
Poutine se devait de réagir lorsque, dans la perspective de l'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN, alors que l'Alliance atlantique avait déjà intégré les républiques baltes, la sécurité non seulement de la Russie, mais aussi de la Fédération tout entière, aurait été mise en péril. Une Fédération multiethnique et multiculturelle, composée de populations dont la cohabitation est garantie par la Russie. En effet, le phare de la Fédération est toujours le même : Moscou.
Le siège et la sortie
Après la chute de l'URSS, l'Occident a tenté de frapper la Russie, de l'asservir, de lui faire perdre son âme : la Russie ne pouvait que se défendre. Poutine a attendu, accepté des négociations qui, avec le recul, ne visaient qu'à affaiblir le pays. Finalement, il a dû réagir et peut-être a-t-il réagi trop tard.
Pour comprendre le sens de la guerre et pourquoi elle ne peut se terminer qu'avec la capitulation de l'Ukraine, il faut renverser la perspective dominante. La Russie se sent assiégée, elle n'a pas d'autre choix que de se défendre et de défendre sa civilisation. Et elle le fera. Moscou est la troisième Rome, pas la quatrième Washington.
Paolo Becchi
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