Bacon et la Nouvelle Atlantide techno-gnostique

Bacon et la Nouvelle Atlantide techno-gnostique

Bacon et la Nouvelle Atlantide techno-gnostique

Notre utopie technognostique remonte à la Renaissance. Elle est d’origine anglaise et Engels lui a consacré, à cette origine, des lignes essentielles sur le socialisme utopique.  

Francis Bacon, ministre de la reine Élisabeth, est le père de I’Intelligence au sens  anglais du terme, c'est-à-dire de l'espionnage. Il était chargé de l'information auprès  de l'ambassadeur d'Angleterre à Paris dans les  années 1576-1577. Il est surtout l'inventeur du cryptage des messages diplomatiques au  moyen d'un code binaire – chaque lettre de l'alphabet est transformée en une simple  combinaison de deux symboles, et à chaque symbole correspond une typographie différente. 

Bacon voit dans les Anglais un grand peuple de marins. Il fait un usage habile d'une  prophétie de Daniel : « Multi pertransibunt et multiplex erit scientia », « nombreux seront ceux qui navigueront plus loin, et la science augmentera », phrase promise à un grand avenir  et que dans une de ses lettres Descartes présentera comme « la prophétie du chancelier d'Angleterre ». Cette orientation de l'esprit anglais vers la technoscience et la navigation  trouve un écho surprenant chez … la Fontaine : « les Anglais pensent profondément … Forts  de leurs expériences … ils étendent partout l'empire des sciences. »

Mais voyons l'utopie de Bensalem. Le propos de Bacon est à la fois archaïque et  futuriste : il veut renouer avec le savoir adamite perdu, savoir dont les échos ont été  conservés par les kabbalistes juifs ou les penseurs grecs. Mais en même temps, il  veut révolutionner le monde en l'activant matériellement. Cette activation peut se  produire du fait de l'Amérique qui est peut-être l'Atlantide connue des Anciens. 

Dans son texte, Bacon écrit d'ailleurs à propos de l'Amérique : « Vous devez  considérer les habitants de l'Amérique comme un peuple jeune, plus jeune de mille ans au moins que le reste du monde … les rares survivants de l'espèce humaine  repeuplèrent, après le Déluge, le pays. Ils ne purent léguer à leurs descendance ni  les arts ni les lettres ni un genre de vie civilisé. » La notion de peuple jeune  concernant l'Amérique était elle aussi promise à un grand avenir. Elle concerne  aujourd'hui les jeunes acteurs de la Nouvelle Économie. 

Les navigateurs … de Bacon échouent d'abord sur une île perdue dans le Pacifique,  au large du Pérou, île où l'on parle le latin, le grec et l'hébreu.

La référence hébraïque est importante dans ce texte fondateur de l'esprit scientifique. Langue  sacrée, l'hébreu devient langue savante. 

Sur l'île de Bensalem a régné Salomon. Ce législateur « redoutait les innovations et  le mélange des mœurs ». Sur l'île toujours, les navigateurs sympathisent avec « un  marchand de la ville, qui s'appelait Joabin, et qui était juif et circoncis ». 

Œcuménisme exemplaire, qui annonce celui des puritains et de Cromwell (qui rappela les juifs en Angleterre après trois siècles d'exil), et qui est dû à l'intuition que  les juifs sont les détenteurs d'un savoir suprême : « Moïse, disent-ils, par une  kabbale secrète, formula les lois qui sont en vigueur aujourd'hui à Bensalem. » De  même que Cromwell rêvera plus tard de faire de l'Angleterre un nouvel Israël,  Bacon pense faire de l'Angleterre une Babel de la technoscience en décryptant,  puisque telle était sa profession-confession, le message biblique. Il devance de  quatre siècles tous les originaux qui, comme Drobin, rêvent de comprendre  l'Écriture sainte mieux que quiconque.

La Nouvelle Atlantide consiste pour l'essentiel en une énumération. Comme les  babéliens, les Atlantéens ont « de hautes tours, la plus élevée mesurant environ un  demi-mile … on estime que la plus élevée d'entre elles fait au moins trois miles de  haut ». Bacon, qui semble avoir prévu Manhattan et les gratte-ciel, précise en outre  qu'ils ont « des bassins dont certains filtrent l'eau salée en eau douce, et d'autres  l'eau douce en eau salée». Bacon, qui aime faire violence à la nature, évoque « des  puits artificiels qui imitent les sources naturelles et les eaux thermales ». De même,  les Atlantéens cultivent des jardins et des vergers dans lesquels « on mène toutes  les expériences possibles en matière de greffes ». Ces greffes « permettent aux  plantes de croître et de porter des fruits plus vite qu'il ne leur est naturel ». Avec  quelques siècles d'avance, Bacon annonce toutes les manipulations génétiques sur  les plantes qui défraient aujourd'hui la chronique. Il y a certes une dimension  baroque dans ce texte, une dimension de guerre du  faux, pour reprendre la célèbre expression d'Umberto Eco. L'homme est artificiel par nature  et il ne se contente pas de ce qui est donné. Fourastié reprendra le même argumentaire que  Bacon dans ses Trente Glorieuses : rien n'est naturel chez l'homme, qui est un guerrier du  faux. D'ailleurs, pour Bacon, « nous disposerons d'instruments capables de falsifier les  distances », instruments qui seront plus tard microscopes et télescopes. 

La cité technoscientifique de Bacon est une copie de notre monde avant son heure.

L'homme atlantéen manipule les espèces animales et, comme dans Jurassic Park, « il crée à  partir de matières putréfiées de nombreuses espèces de serpents, de vers, d'insectes et de  poissons ». Certains breuvages sont même faits de chairs et de viandes blanches … c'est  peut-être pour cela que les Yahoos de Jonathan Swift régressent : ils se sont nourris de vaches folles … 

Bensalem est une cité thermocratique, comme les conurbations sidérurgiques de la  révolution industrielle : « Nous avons une grande variété de fourneaux, qui produisent de la  chaleur sous des formes très variées … des sortes de chaleur imitant celles du soleil et des  corps célestes qui passent par divers degrés très inégaux. » La chaleur permet de changer d'état physique et donc spirituel. Des machines fournissent enfin de faux sons, de fausses sources de lumières, de fausses odeurs. 

L'utopie comprend des cadres divers : les marchands de lumière, qui voyagent à l'étranger pour« en rapporter des exemples d'expériences de toutes les régions du monde ». La réciproque n'est pas vraie: les visiteurs sont isolés sur l'île dans la Maison des Étrangers et 

Bacon  confirme qu'il est bien l'inventeur de l'espionnage industriel et technoscientifique.

Les marchands de Lumière sont assistés par les pilleurs (lecteurs de livres savants),  les artisans (spécialistes des expériences touchant aux arts mécaniques), les mineurs (expérimentateurs) et les compilateurs qui effectuent la synthèse des  informations collectées et « nous éclairent sur la façon de tirer de tout cela des remarques et des axiomes ». 

Ces cercles dignes d'organigrammes de multinationales modernes ou de sociétés maçonniques comprennent encore les bienfaiteurs (chercheurs de voies nouvelles), les flambeaux (qui proposent des voies nouvelles), les greffiers enfin qui recensent  tout cela comme au tribunal. 

Bacon persiste dans ses Magnalia Naturae, ses merveilles de la Nature, qui closent sa description de l'atelier scientifique du monde à venir. Comme la science contemporaine, il veut « prolonger la vie, rendre, à quelque degré, la jeunesse,  amoindrir la douleur». Précurseur du fitness, qui transforme l'homme en animal-machine  comme toutes les activités modernes ou presque, il désire « augmenter la  force et l'activité, transformer l'embonpoint en maigreur ». Précurseur du positivisme  à l'américaine ou de la programmation neurolinguistique, il souhaite « rendre les esprits joyeux, et renforcer la puissance de l'imagination sur le corps » quatre siècles avant le cinéma et les inventions du conditionnement moderne.

Enfin, il reprend ses maîtres-mots : accélérer et transformer, produire et fabriquer du Nouveau. La technique, plus que l'imagination poétique d'un Baudelaire, allait le permettre au-delà de ses aspirations. Et il le pressentait. Mais pour accomplir cela,  il fallait arraisonner l'espace mondial par les réseaux (extrait de mon livre sur Internet nouvelle voie initiatique, Les Belles Lettres, 2001). 

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À propos de l'auteur Dedefensa.org

« La crisologie de notre temps » • Nous estimons que la situation de la politique générale et des relations internationales, autant que celle des psychologies et des esprits, est devenue entièrement crisique. • La “crise” est aujourd’hui substance et essence même du monde, et c’est elle qui doit constituer l’objet de notre attention constante, de notre analyse et de notre intuition. • Dans l’esprit de la chose, elle doit figurer avec le nom du site, comme devise pour donner tout son sens à ce nom.

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