Les trois stades de la vie de l’idée ou Mayotte, le désastre et Justin Bridou

Les trois stades de la vie de l’idée ou Mayotte, le désastre et Justin Bridou

Par Alexandre Gerbi

Mayotte, c’est tout un poème. Une fresque. Une vaste miniature des tréfonds de la Ve République. Tout y est. Le mépris, la mise à distance, le rabaissement, la misère, la mort, arrosés de tartufferie généralisée. Avec le Tout-Paris politique et journalistique qui pipeaute, qui prend la pose et verse des larmes de crocodile. Pendant que les veaux, comme d’habitude, n’y voient que du feu. Grandes lignes d’un gigantesque foutage de gueule, tellement coulé dans du béton que le chemin de Damas est prévu pour la Saint-Glinglin. Enième prêche dans le désert, armé d’un bâton de berger.

Il y a bientôt vingt ans, lorsque j’ai publié Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, Imposture, refoulements et névroses chez L’Harmattan, maison d’édition connaissant fort bien l’Afrique, je pensais naïvement que cet ouvrage était de nature à mettre tout le monde d’accord. J’y montrais qu’une quarantaine d’années plus tôt, au rebours de ce qui est systématiquement raconté, la sécession n’avait pas été voulue par les Africains.

La plupart des Africains, les chefs politiques ou coutumiers comme les populations qui les suivaient, voulaient rester avec la France et le peuple français. J’y montrais également que le général de Gaulle, au prix de beaucoup de mensonges, de manipulations et de violations en série de la Constitution, poussa les Africains vers l’indépendance. Parfois même, il la leur imposa. Comme dans le cas du Gabon. Cette mutation, l’ermite de Colombey l’opéra au gré de considérations civilisationnelles et racialistes, accompagnées de calculs financiers tout aussi discutables.

La décolonisation selon les veaux

A l’époque, en 2006, je pensais que la gauche comme la droite ne pouvaient qu’adhérer à mes conclusions. A savoir que l’ensemble franco-africain avait été démantelé en contradiction avec tous les principes républicains et au mépris complet de l’impératif démocratique, notamment le fameux droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce droit étant invoqué paradoxalement pour justifier le largage, alors que c’est ce même droit que les indépendances, dans les faits, bafouèrent.

Au passage, la France perdit son statut de grande puissance. Sans m’imaginer que la chose pût chagriner la gauche, il me semblait qu’au moins la droite serait sensible à l’argument. D’autant que si le Général était racialiste sinon raciste, ni Chirac, ni Villepin, ni Sarkozy, pour n’en citer que quelques-uns, ne semblaient l’être.

Or la gauche comme la droite ont ignoré mes réflexions. Politiques, journalistes ou intellectuels. Presque vingt ans plus tard, je peux le dire : à de très rares exceptions près, personne ne les a reprises à son compte, ni même ne s’en est fait l’écho.

Je compris peu à peu que la gauche comme la droite étaient enfermées dans leurs mensonges. Je ne parle pas ici du peuple. Le peuple, dans une large mesure, est dupe. Le Français lambda de gauche pense très sérieusement que les Africains voulaient de séparer de la France, puissance impérialiste qui n’avait rien à faire chez eux. Quant au Français lambda de droite, il estime que le désastre de l’immigration et l’échec manifeste de l’intégration, sans rien dire du phénomène islamiste, démontrent que le Général a eu raison, l’unité franco-africaine était une folie civilisationnelle autant qu’un gouffre financier, comme le prouve également le naufrage de l’outre-mer français, avec Mayotte pour point d’orgue, qu’on serait bien inspiré de larguer comme le reste…

Parmi les partis politiques, beaucoup mieux renseignés que les veaux sur la réalité de ces sujets, l’approche est plus subtile, même si elle expose dès lors à de sérieuses contradictions.

La tartufferie des partis du Système

Sur la question mahoraise, le Parti Communiste est isolé parmi les partis politiques français. De longue date, le PCF souhaite expulser Mayotte de la France pour la rattacher aux Comores. Ce dont ne veulent absolument pas entendre parler les Mahorais, tandis que deux des trois îles des Comores, Anjouan et Mohéli, ont longtemps exprimé leur volonté de redevenir françaises. Sur ce dernier point, le PCF fait naturellement silence, comme du reste tous les autres partis politiques français. Mais c’est leur seul point commun.

Les autres partis, de droite comme de gauche, ont rappelé ces jours-ci, des trémolos dans la voix, que Mayotte est française. Tous ont été indignés que le nouveau Premier ministre François Bayrou semble ignorer que l’île aux parfums fait partie du territoire national.

Outre que ce lapsus du Justin Bridou de la politique, selon l’amusant mot de Houellebecq dans Soumission, reflète parfaitement l’état d’esprit fondamental de la Ve République, il a le mérite d’agir en révélateur : comment tout le gratin politique français peut-il nous expliquer la main sur le cœur que Mayotte c’est la France, alors que les mêmes nous expliquent que, par exemple, le Gabon ou l’Algérie ne devaient surtout pas l’être ? On mesure l’ampleur des contradictions auxquelles en arrivent cette ribambelle de tartuffes. En dehors du PCF, qui a le mérite de la cohérence… mais à quel prix, serait-on tenté d’ajouter…

Cette ribambelle de tartuffes qui, rappelons-le, nous expliquent des larmes dans les yeux que nos compatriotes mahorais méritent toute la déférence due à leur qualité de Français, ces tartuffes se partagent le pouvoir depuis des décennies. Ils sont responsables du désastre de Mayotte et de nos compatriotes mahorais. Avec tous les mépris au long cours que pareil comportement implique.

Une mention spéciale pour les « vies racisées » selon Sandrine Rousseau, qui en dépit de sa grande gueule n’a jamais songé à s’indigner du largage des Africains par De Gaulle en 1960. Puisque très probablement, elle l’approuve…

Les affres du gâtisme

Schopenhauer avait décrit les trois stades de la vie de l’idée. William James en proposa une version encore plus ironique : dans un premier temps, toute idée nouvelle est déclarée absurde ; dans un second temps, elle est déclarée vraie mais sans intérêt ; dans un troisième temps, ceux qui la déclaraient initialement absurde en revendiquent la paternité.

N’en déplaise à certains, nous en sommes au deuxième stade. Et personne ne pourra empêcher que, tôt ou tard, le largage de l’outre-mer, le démantèlement de l’ensemble franco-africain par Charles de Gaulle, dans le cadre d’une haute trahison d’ampleur sans précédent historique, soit mis sur la table. Et surtout, que chacun en mesure les enjeux.

A la lumière de cette donnée essentielle car fondatrice du régime, on lira alors tout différemment l’histoire de l’incroyable Ve République. L’imposture initiale couplée au coup d’État ; la prospérité illusoire des années 1960 ; la dévastation néocolonialiste progressive de tout l’ancien Empire après son démembrement ; la descente aux enfers des Africains ; l’immigration de masse qui en résulta en direction de l’ancienne métropole confisquée ; l’anti-racisme tartuffe du Système, à partir des années 1970, pour noyer le poisson ; la disparition de tout patriotisme chez les élites politiques au pouvoir et leur assujettissement à Washington ; le déclin inexorable de la France et pour finir peut-être son effondrement… scandent les sept décennies du naufrage de la plus vieille nation d’Europe devenue folle.

Ce qui doit s’appeler le gâtisme…

Cherchez l’erreur

En attendant, en l’an de grâce 2024, l’Afrique continue de s’éloigner de la France à mesure que la France s’africanise de plus en plus. Cherchez l’erreur…

Pendant ce temps, l’Etat français, avec une constance qui forcerait l’admiration si son objet n’était abominable, s’emploie à faire de l’outre-mer, de Mayotte en particulier, un gigantesque repoussoir. Une preuve que lorsque l’on est africain, il ne faut surtout pas faire partie de la France, pays infâme, au risque de se transformer en bidonville et en coupe-gorge.

Au spectacle de ce qu’est devenue Mayotte, on peut dire que c’est réussi. Objectif atteint. Au choc des civilisations qu’on nous promet, s’ajoute le syndrome de la clochardisation.

Nous serions gouvernés par des agents états-uniens, des traîtres, des ennemis fanatiques, que le résultat ne serait sans doute pas très différent…

Heureusement que Justin Bridou est là pour nous sauver…

Alexandre Gerbi

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À propos de l'auteur Profession Gendarme

L'Association Professionnelle Gendarmerie (APG) a pour objet l’expression, l’information et la défense des droits et intérêts matériels et moraux des personnels militaires de la gendarmerie et de toutes les Forces de l'ordre.Éditeur : Ronald Guillaumont

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