Par Moon of Alabama – Le 17 décembre 2024
Tôt ce matin, des assassins du service de renseignement militaire ukrainien ont tué le lieutenant-général Igor Kirillov, commandant des forces russes de défense radiologique, chimique et biologique, à Moscou :
Le lieutenant-général Igor Kirillov, commandant des forces nucléaires, biologiques et chimiques de l’armée russe, est mort dans une explosion alors qu’il sortait d’un immeuble résidentiel à Moscou, a déclaré le Comité d’enquête russe dans un communiqué.
Un engin explosif était dissimulé dans un scooter électrique garé à proximité. L’assistant de M. Kirillov est également décédé dans l’attentat, a déclaré le comité d’enquête, qui a annoncé l’ouverture d’une enquête criminelle. Des images vidéo obtenues par POLITICO corroborent cette version des faits.
Kirillov vivait dans un immeuble normal. Son assistant venait le chercher pour aller travailler. Ils ont été observés et quelqu’un qui les regardait (et les filmait) a appuyé sur le détonateur.
Kirillov était bien connu. Il avait fait plusieurs présentations publiques sur les expériences secrètes de guerre biologique menées par les États-Unis en Ukraine :
À l’occasion du décès de M. Kirillov, la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères, Mme Zakharova, a déclaré que, tout au long de sa carrière, il n’avait cessé de dénoncer les crimes des « Anglo-Américains », tels que « les provocations de l’OTAN avec des armes chimiques en Syrie, les manipulations de la Grande-Bretagne avec des substances chimiques interdites et les provocations à Salisbury et Amesbury, les activités meurtrières des laboratoires biologiques américains en Ukraine, et bien d’autres choses encore ».
« Il a travaillé sans crainte. Il ne s’est pas caché derrière le dos des gens », a écrit Mme Zakharova.
Il s’agit bien sûr d’une provocation conçue par l’Ukraine pour rendre moins possibles les pourparlers de paix avec la Russie, que le président élu Donald Trump privilégie vraisemblablement.
Le problème pour la Russie est maintenant de savoir comment réagir.
Doit-elle riposter de toutes ses forces et détruire les « centres de décision » de Kiev qui sont responsables de cet incident (note : une définition précise des « centres de décision » inclurait les ambassades des États-Unis et de la Grande-Bretagne à Kiev) ?
Ou doit-elle se retenir et espérer que les négociations sur l’Ukraine avec Donald Trump aboutiront à des résultats positifs, même s’ils sont temporaires ?
C’est un problème difficile.
La configuration générale de la future administration Trump est plutôt va-t-en-guerre.
Il est donc très peu probable, écrit James George Jatras, qu’un accord qui pourrait être considéré comme positif pour la Russie vaille le papier sur lequel il est écrit :
Les Russes ont clairement fait savoir qu’ils n’accepteraient aucune trêve temporaire, aucun cessez-le-feu, plus de promesses faites pour être brisées comme des croûtes de pain, plus de pauses n’étant que des astuces cyniques pour amener les Russes à renoncer à leur avantage militaire actuel et croissant. (…) Non, insistent-ils, il doit y avoir soit un règlement authentique, définitif et contraignant qui garantisse une paix durable fondée sur la sécurité mutuelle, soit les forces russes poursuivront leurs efforts jusqu’à ce que leurs objectifs – notamment la « démilitarisation et la dénazification » de l’Ukraine – soient atteints militairement. Une telle issue signifierait au moins le remplacement du régime actuel à Kiev et, plus probablement, la fin du statut d’État de l’Ukraine.
Pour l’Occident, il s’agirait d’une débâcle totale d’une ampleur comparable à celle de l’Afghanistan, qui marquerait effectivement la fin de l’hégémonie américaine en Europe, le joyau de la couronne [du Grand Empire américain]. Que peut offrir Trump aux Russes pour éviter cela ?
…
[La vraie question pour l’administration Trump devient une question politique : quelle est la marge de manœuvre dans la détermination déclarée des Russes à ne pas compter sur d’autres promesses du type de celles qui ont été rompues à maintes reprises dans le passé ? En d’autres termes : si Trump-Lucy veut éviter une défaite totale sur le théâtre européen de la confrontation mondiale entre les GAE et les BRICS-Eurasie, afin de pouvoir s’occuper de l’Iran et de la Chine, peut-il duper Poutine-Charlie Brown pour qu’il tente à nouveau sa chance au football ?
Je pense qu’il a de bonnes chances d’y parvenir.
Jatras énumère plusieurs points que les États-Unis pourraient concéder temporairement à la Russie, pour ensuite revenir sur chacun de ces points.
La Russie s’y attendrait bien sûr. Mais la question initiale – tomber dans la provocation ou trouver une autre voie – peut également être posée dans un contexte plus large.
En 2019, la RAND, le groupe de réflexion du ministère de la défense, a publié le principal document d’orientation qui a conduit à la guerre en Ukraine.
Disperser la Russie – la compétition sur un terrain avantageux
Son résumé dit ceci :
Ce rapport examine une série de moyens possibles pour disperser la Russie. Comme l’a reconnu la stratégie de défense nationale de 2018, les États-Unis sont actuellement engagés dans une compétition de grandes puissances contre la Russie. Ce rapport cherche à définir les domaines dans lesquels les États-Unis peuvent rivaliser à leur avantage. S’appuyant sur des données quantitatives et qualitatives provenant de sources occidentales et russes, ce rapport examine les vulnérabilités et les inquiétudes économiques, politiques et militaires de la Russie. Il analyse ensuite les options politiques potentielles pour les exploiter – idéologiquement, économiquement, géopolitiquement et militairement (y compris les options aériennes et spatiales, maritimes, terrestres et multidomaines). Après avoir décrit chaque mesure, ce rapport évalue les avantages, les coûts et les risques qui y sont associés, ainsi que la probabilité que ces mesures soit misent en œuvre avec succès et qu’elles disperse réellement la Russie. La plupart des mesures décrites dans le présent rapport sont, d’une certaine manière, des mesures d’escalade, et la plupart d’entre elles entraîneraient probablement une contre-escalade de la part de la Russie.
Armer l’Ukraine et la pousser à provoquer une intervention russe était considéré comme le moyen le plus « rentable » d’affaiblir la Fédération de Russie.
En lançant l’opération militaire spéciale en Ukraine, la Russie s’est en fait laissée prendre à la provocation que la RAND avait prévue pour elle. Pour la Russie, il n’y avait, à ce moment-là, pas d’alternative.
Les va-t-en-guerres anti-russes américains feront de leur mieux pour maintenir la Russie enlisée en Ukraine.
Mais d’autres voient le danger croissant qu’un conflit prolongé crée pour l’Occident. Les dommages économiques qu’il a causés sont déjà considérables. Il détourne également les capacités américaines de la lutte contre la Chine.
Les appels à la paix de Trump pourraient ainsi devenir une véritable alternative pour la Russie afin de sortir du piège de la RAND.
Il faut soit tout faire, prendre Kiev et vaincre l’Ukraine en tant qu’État, soit opter pour la voie de la négociation, concéder certaines questions et accepter une solution imparfaite qui pourrait (mais plus probablement non) s’avérer permanente.
Le président russe Vladimir Poutine et les cercles qui l’entourent devront réfléchir à ces difficiles problèmes.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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