Les accords de cessez-le-feu devant mettre fin à la guerre en Syrie étaient fragiles. Et après des années de lutte sanglante, il n’a fallu que deux semaines pour qu’une offensive surprise des rebelles renverse Bachar al-Assad. À quoi faut-il s’attendre avec le nouveau gouvernement ? Pourquoi la Turquie a trahi ses promesses ? Pourquoi Israël est passé à l’offensive alors que les rebelles entraient à Damas ? Quel impact sur les rapports de force dans la région ?
Majed Nehmé, journaliste franco-syrien et rédacteur en chef du magazine Afrique-Asie, décrypte pour nous les derniers événements en Syrie et leurs possibles répercussions.
Investig’Action : Comment expliquez-vous la chute si rapide du gouvernement syrien ?
Majed Nehmé : C’est le résultat de la conjonction de plusieurs circonstances. Tout d’abord, la Syrie subissait des sanctions économiques très dures. Le terme est même quelque peu édulcoré. Nous devrions plutôt parler d’un blocus barbare qui a littéralement étouffé l’économie syrienne. L’accès au système bancaire international était bloqué, les échanges commerciaux officiels étaient pratiquement interdits. Alors qu’elle avait besoin de se reconstruire, la Syrie ne pouvait plus acheter ce dont elle avait besoin. Les conséquences humanitaires étaient désastreuses. D’ailleurs, en 2022, Alena Douhan rapporteuse spéciale des Nations unies sur les mesures coercitives unilatérales et les droits de l’homme, appelait à lever ces sanctions. Elle avait constaté que 90 % de la population syrienne vivait sous le seuil de pauvreté, avec un accès limité à la nourriture, à l’eau, à l’électricité, aux abris, aux combustibles de cuisson et de chauffage, aux transports et aux soins de santé.
Le gouvernement syrien ne devait pas seulement composer avec ces sanctions illégales. Il était également privé de ressources importantes. Les États-Unis et leurs alliés kurdes contrôlaient des régions pétrolifères et agricoles stratégiques. Or, les ventes d’énergie constituaient environ un quart des recettes d’exportation de la Syrie et couvraient 90 % des besoins de son marché intérieur. De plus, avant la guerre, la Syrie produisait annuellement 4 millions de tonnes de blé. De quoi assurer l’autosuffisance alimentaire et même des rentrées grâce aux exportations.
Le blocus économique et la privation de ces ressources stratégiques ont donc eu un impact terrible. Le gouvernement syrien a par ailleurs commis des erreurs, il n’a pas réussi à s’attaquer aux fléaux de la bureaucratie et de la corruption. La population était fatiguée. Tout comme l’armée syrienne qui avait perdu près de 100.000 soldats depuis 2011 dans sa lutte contre les combattants islamistes. À un moment donné, on comptait jusqu’à 300.000 jihadistes sur le territoire syrien. Certains étaient originaires de Syrie. Mais beaucoup venaient de pays voisins, d’Europe, d’Asie centrale et même de la province chinoise du Xinjiang. Ces combattants takfiris n’avaient pas disparu. En effet, la région d’Idlib au nord-ouest de la Syrie était devenue un réduit intégriste protégé par la Turquie avec l’aide des Occidentaux et d’Israël.
Lors de la première phase du conflit, la Russie, l’Iran et le Hezbollah avaient permis à l’armée syrienne de repousser l’offensive de ces rebelles. Pourquoi ces alliés ne sont-ils pas intervenus de nouveau ?
La Russie n’était intervenue en Syrie qu’en 2015. D’abord parce que c’est son allié historique dans la région. Leur relation remontait à très loin, bien avant que le parti Baas soit au pouvoir. À l’époque, la bourgeoisie syrienne avait posé les bases de cette alliance avec l’Union soviétique pour se développer économiquement et se défendre contre Israël. La Russie était également intervenue en 2015 pour se prémunir d’une contagion terroriste qui pourrait s’étendre à la Tchétchénie ou à l’Asie centrale. On trouve d’ailleurs parmi la rébellion syrienne des combattants venus de ces régions.
Mais aujourd’hui, la Russie est accaparée par le front ukrainien. Certes, elle est en train de gagner cette guerre par procuration voulue par Washington. Mais cela lui coûte énormément. Et d’une certaine manière, les deux conflits sont liés. Des combattants syriens ont d’ailleurs combattu en Ukraine. Et des spécialistes ukrainiens ont apporté leur aide à la rébellion syrienne, notamment dans l’usage de drones. La Russie a perdu la partie en Syrie car elle avait accepté des arrangements avec la Turquie que cette dernière a trahis. Je pense qu’elle va devoir y fermer ses bases militaires.
Quant à l’Iran, il est officiellement désigné par Israël et les États-Unis comme la prochaine cible après la Syrie. Il doit en outre composer avec des problèmes en interne. Et le Hezbollah, s’il n’a pas été éliminé par Israël, est sorti affaibli de la récente confrontation au Liban. Les derniers événements en Syrie devraient en outre lui faire du tort, car c’est par là que passaient les armes fournies à la résistance.
La chute de Bachar al-Assad, c’est un coup dur pour cet Axe de la Résistance composé de l’Iran, du Hezbollah, de la Syrie, de milices irakiennes, des Houthis yéménites et du Hamas palestinien ?
Oui, et c’était bien évidemment l’objectif poursuivi. Alors que le conflit était relativement gelé, la décision d’en finir avec la Syrie est venue après l’attaque du 7 octobre 2023 menée par le Hamas et d’autres factions palestiniennes. N’oublions pas que malgré tous ses malheurs, la Syrie continuait à aider les Palestiniens. Il fallait donc arrêter définitivement ce soutien, quitte à détruire l’État syrien.
Bien avant la guerre contre l’Irak de 2003, l’aveugle et cynique volonté des Occidentaux était d’en finir avec la Syrie et, finalement, avec les Palestiniens. Ils veulent éliminer les Palestiniens physiquement, et éliminer la question palestinienne politiquement. L’objectif est de remodeler ce grand Moyen-Orient cher aux États-Unis. Ils avaient ainsi envahi l’Afghanistan puis l’Irak. Mais cela s’est soldé par un échec. L’invasion israélienne du Liban en 2006 faisait également partie de ce plan, mais elle a été repoussée victorieusement par le Hezbollah. Les mal nommés printemps arabes se sont retournés contre leurs promoteurs occidentaux. Mais à présent, avec les suites du 7 Octobre, Israël et ses soutiens veulent en finir une fois pour toute avec toute velléité de résistance dans le monde arabe.
Devraient-ils parvenir à leurs fins cette fois-ci ?
Ce qui peut apparaître comme des victoires d’Israël et de ses soutiens n’en sont pas vraiment. L’attaque du 7 Octobre a révélé que malgré le blocus et les massacres à répétition contre Gaza, les mouvements palestiniens étaient capables de porter un coup terrible à la supériorité technologique et militaire israélienne. Et Netanyahou n’a atteint aucun des objectifs qu’il s’était fixés en retour. À part commettre un génocide à Gaza, Israël n’a pas réussi à éradiquer le Hamas ni à libérer tous les otages et encore moins à pousser les Palestiniens à l’exode. Il a par contre planté le décor de la future confrontation.
De même, au Liban, l’armée israélienne a commis des massacres et des destructions. Mais le Hezbollah est toujours là. Et Netanyahou en est finalement revenu à la résolution 1701 du Conseil de Sécurité des Nations unies qui avait établi un cessez-le-feu permanent après la guerre de 2006. Les Israéliens avaient eux-mêmes violé cette résolution et le cessez-le-feu conclu dernièrement est régulièrement enfreint. Il ne faut pas compter sur leur parole donnée. Les Israéliens n’ont jamais respecté les résolutions de l’ONU ni même le droit international. Pour rappel, la Cour internationale de Justice a ordonné à Israël de quitter les territoires illégalement occupés depuis 1967.
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