Notes sur Poutine et la magie d’ ‘Orechnik’
• Le président de la Fédération de Russie a annoncé une nouvelle sensationnelle qui laisse en général le monde des “experts” (de l’Ouest) indifférents sur les plateaux TV. • Il a déclaré que le missile ‘Orechnik’ changeait toute la stratégique nucléaire du fait du rôle qu’il pouvait jouer dans la dissuasion, aussi bien que dans l’action opérationnelle effective. • Cette phrase, prononcée hier, est effectivement fondamentale : « …Un nombre suffisant de ces systèmes modernes… nous mettent tout simplement extrêmement proche du fait qu'il n'est pratiquement plus nécessaire d'utiliser des armes nucléaires. » • Nous dirons modestement que c’est un changement fondamental qui touche à peu près tout le monde, des Houthis aux porte-avions géants, jusqu’aux sous-marins lanceurs d’engins nucléaires.
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Poutine a fait hier une déclaration sensationnelle qui culmine un cheminement complexe mais très rapide sur la place, l’efficacité et l’effet doctrinal révolutionnaire qu’apporte le missile balistique hypersonique (IRBM, ou missile balistique de portée moyenne [5 000 km]) ‘Orechnik’. Il a effectivement confirmé et introduit dans la doctrine stratégique nucléaire russe l’effet révolutionnaire de cet engin, opérationnellement évident depuis le tir du 21 novembre.
Quelques extraits de sa déclaration :
« L’introduction en service du système de missile ‘Orechnik’ dans les forces russes réduit au minimum la nécessité de recourir à l'arme nucléaire, a déclaré le président russe Vladimir Poutine mardi, lors d'une réunion du Conseil pour le développement de la société civile et des droits de l'homme.
» Poutine a expliqué : “Ce dont nous avons besoin maintenant, ce n'est pas d'améliorer la doctrine nucléaire mais le système ‘Orechnik’, car, si l'on y regarde bien, un nombre suffisant de ces systèmes modernes… nous mettent tout simplement extrêmement proche du fait qu'il n'est pratiquement plus nécessaire d'utiliser des armes nucléaires”. »
Il s’agit, comme nous l’avons déjà souvent dit depuis le 22 avril 2022, de l’introduction d’un nouvel échelon dans la dissuasion, mais un échelon capital. Il combine deux avantages :
• Grâce à sa vitesse et à sa précision, il provoque des dégâts d’une efficacité proche de ceux provoqués par une arme nucléaire de capacité explosive directe et indirecte équivalente, mais sur un espace très limité qui réduit drastiquement les dégâts collatéraux (notamment contre les civils).
• Grâce à son équipement conventionnel, il écarte la principale nuisance quasi-métaphysique de l’arme nucléaire, l’émission et la contamination de radiation catastrophiques pour les espèces vivantes, notamment humaines bien entendu.
La rapidité et l’espèce de fascination du comportement et de la perception de Poutine vis-à-vis de ‘Orechnik’ démontrent d’une façon convaincante que l’“essai opérationnel” du missile (en même temps qu’attaque en temps réel d’un objectif ukrainien) a démontré d’une façon irréfutable, et peut-être supérieure à ce qu’on en attendait, ses caractéristiques de combat.
La lenteur et l’absence de compréhension du plus grand nombre d’“experts” occidentaux face à la révolution-‘Orechnik’ constituent une autre confirmation : celle de la poursuite de leur long voyage dans la narrative du simulacre qui occupe leurs diverses proclamations et leurs certitudes affirmées sur un univers de ‘Fantasy’, antirusse, fantasmé, alimenté par un hubris aussi solide que du granit. Il faut dire qu’ils ont, par ailleurs, fort à faire à saluer avec enthousiasme le retour de la démocratie et des valeurs occidentales en Syrie.
Coup de fil entre chefs
Il y a eu une récente circonstance, après le tir du premier ‘Orechnik’, qui a montré les effets psychologiques (force de la communication) de ce que l’on a compris des capacités et des effets du missile. La nouvelle, fondée sur une hypothèse évidente, est venue de Larry S. Johnson, relayant ‘TheMoonofAlabama’ [MoA] (ici en traduction française). Elle nous est dite alors que les tirs de missiles dits “à longue portée”, sur le territoire russe depuis l’Ukraine, ont cessé depuis le 27 novembre.
Voici ce qu’en dit Johnson :
« Maudit soit Bernard de Moon of Alabama (je plaisante) ! Il m’a pris le clavier des mains avec son dernier article, Les États-Unis ont stoppé les frappes ATACMS ukrainiennes contre la Russie. C’est ce que j’avais l’intention d’écrire ce soir. Au lieu de régurgiter son article, allez le lire. Nous avons appris hier [5décembre] que le général en chef de la Russie, Gerasimov, a appelé le chef d’état-major interarmées américain, Charlie Brown, le 27 novembre. Nous ne savons pas ce qui a été dit lors de cette conversation, mais nous savons qu’aucun autre ATACM, Storm Shadows ou SCALPS n’a été lancé sur le territoire russe depuis cette conversation. Vous n’avez pas besoin d’un diplôme avancé en logique pour supposer que la Russie a averti les États-Unis (et leur a demandé de le transmettre à leurs partenaires de l’OTAN) que le missile russe ‘Orechnik’ était un avertissement et que la Russie frapperait les bases de l’OTAN si de nouvelles attaques se produisaient.
» Devinez quoi ? Depuis cet appel téléphonique, plus aucun missile n’a été lancé sur la Russie. Au lieu de cela, l’Ukraine continue d’envoyer des drones qui sont régulièrement abattus. Cela signifie que les États-Unis et l’OTAN ne fournissent plus de coordonnées d’attaque aux Ukrainiens. Dans ce jeu de défi, l’Occident a cligné des yeux le premier. »
Fascination de Poutine
Nous en arrivons ici au fait central pour nous, et autour d’une hypothèse qui concerne Poutine. Il nous semble que le fait principal concernant le président russe par rapport à ‘Orechnik’ est une véritable fascination. Nous avons rarement, sinon jamais, entendu un chef d’un État aussi important, habitué à traiter de tous les problèmes, s’attacher à parler dans les détails les plus techniques d’un missile, et cela à trois ou quatre reprises depuis le 21 novembre, date du premier (et seul) tir d’‘Orechnik’.
Certainement, l’intervention la plus importante est celle d’hier parce que Poutine acte d’une façon concrète, opérationnelle jusqu’à une révision importante de l’outil nucléaire et de sa doctrine d’emploi, l’aspect révolutionnaire d’‘Orechnik’. Pour illustrer notre propos en forme d’hypothèse bienveillante sur ses interventions dans le détail, nous prendrons plutôt la référence de l’intervention de Poutine à l’OSCE, le 28 novembre, telle qu’elle est rapportée dans le même texte de MoA mentionné plus haut
« Le système déploie des dizaines d’ogives à tête chercheuse qui frappent la cible à une vitesse de Mach 10, ce qui équivaut à environ trois kilomètres par seconde. La température des éléments d’impact atteint 4 000 degrés Celsius, ce qui se rapproche de la température de surface du soleil, qui est d’environ 5 500 à 6 000 degrés.
» Par conséquent, tout ce qui se trouve dans l’épicentre de l’explosion est réduit en morceaux, en particules élémentaires, et se transforme essentiellement en poussière. Le missile est capable de détruire même des structures fortement fortifiées et situées à des profondeurs importantes. »
Capacités diverses d’‘Orechnik’
La particularité exceptionnelle d’‘Orechnik’ est qu’il peut tout faire dans le domaine d’en-dessous de la destruction totale du nucléaire stratégique de verrou, que nous pourrions nommer “nucléaire suicidaire” (réciproque, soit aussi “stratégie du suicide réciproque”), sans avoir aucun des défauts, – les interdits absolus du nucléaire. C’est ce qui conduit Poutine à dire, comme s’il sonnait le glas du “nucléaire non-suicidaire” :
« …Un nombre suffisant de ces systèmes modernes… nous mettent tout simplement extrêmement proche du fait qu'il n'est pratiquement plus nécessaire d'utiliser des armes nucléaires. »
C’est (suite) ce qui semble comme un objet de fascination pour Poutine qui, plus qu’aucun autre chef d’État parce qu’il est le seul rescapé raisonnable de l’ère de la Guerre Froide où tout était soumis à la référence du nucléaire, semblerait comme libéré d’une contrainte écrasante, d’un poids terrible entravant ses moindres gestes importants et ses décisions les plus délicates parmi les plus courantes.
On a évoqué dernièrement ce qui, dans des circonstances où rien n’est possible sans les risques terribles d’aventures néocoloniales ou de simples actes de défense courants. Cela se trouve dans le même ensemble comprenant le texte de Craig Murray et notre commentaire
Dans le texte de Craig Murray :
« La conclusion est que la création de cet État syrien en faillite – tout comme en Afghanistan, en Irak et en Libye – renforce l’idéologie de Washington selon laquelle la Russie peut aussi être balkanisée, ce qui pourrait avoir pour conséquence involontaire (?) de mener des attaques Oreshnik contre les intérêts occidentaux. »
Dans notre commentaire, comme le texte de Murray à propos de l’aventure syrienne :
« Cette explication est plus acceptable qu’une Russie impuissante à agir à cause de ses pertes en Ukraine (Trump a repris le chiffre absolument hallucinant de 600 000 morts russes !). Même les bases russes en Syrie ne sont pas vitales, d’autant qu’un pays comme l’Algérie est prêt à un arrangement avec les Russes. Plus encore, le missile ‘Orechnik’, qui fascine Poutine au-delà de tout par ses capacités, représente le moyen du futur de la projection de puissance sans risque de nucléaire.»
L’arme absolue et son double
Retenons cette formule : « le moyen du futur de la projection de puissance sans risque de nucléaire » (et sans porte-avions ni bombardiers stratégiques, – il suffit que l’on sache qu’‘Orechnik’ existe et quelles sont ses capacités qui ont été bel et bien expérimentées en situation opérationnelle). Sachons bien ce qu’est devenu cette époque en quelques petites années. Désormais, les Iraniens, les Houthis et d’autres certes, n’ont plus besoin d’user du terrorisme ou d’autres méthodes du genre pour mener avec grand fracas les guerres hybrides qui caractérisent notre époque.
Son étrangeté (celle de notre époque) est que l’hybridité a conduit les méthodes les plus “primaires” à grimper à une vitesse foudroyante dans l’usage des technologies avancées sans pervertir leurs conceptions et jugements dans la boue mielleuse et arrogante des bureaucraties. Cela permet aux Houthis de tenir à distance les porte-avions de l’US Navy et de faire dire à l’amiral qui commande la flotte dans la zone que l’US Navy est confrontée à bataille la plus dure depuis Okinawa en avril 1945. ‘Orechnik’ est le haut du panier dans ce changement.
‘Orechnik’ intervient dans les guerres hybrides les plus « primaires” en même temps qu’il fait la nique à la “stratégie du suicide réciproque”. Il représente une sorte d’“arme absolue” mais qui n’est pas une arme maximale (comme l’étaient les ICBM à têtes nucléaires quand ils apparurent) ; c’est-à-dire une “arme absolue” très maniable, très adaptable. Certes, comme toutes les “armées absolues” on trouvera une riposte. Les Russes estiment avoir dix ans d’avance sur les Américains en fait de missiles hypersoniques et, bien entendu, ils sont les premiers, et de loin, à développer la riposte avec des systèmes de défense anti-hypersoniques ; alors, qui trouvera une rtiposte qui serait un verrou pour sa supériorité ?
Il est bien possible que l’épouvantable “bourreau du KGB” ait été le premier à comprendre la chose. Dans tous les cas, lui qu’on dit si lent, ce qui agace considérablement la cavalerie légères des antisystèmes-critiques-des-antiSystèmes, a dans ce cas agit avec une vélocité incroyable pour modifier la doctrine. Au Kremlin se trouve un vrai ‘Orechnik’.
Mis en ligne le 11 décembre 2024 à 13H45
Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org