Par Jocelyne Chassard
Ce qui se passe ces derniers jours en Syrie et plus spécialement autour d’Alep est essentiellement une opération de propagande armée des groupes islamo-djihadistes opposés à l’état syrien. Cet état protège et garantit la multiconfessionnalité d’une société où musulmans et chrétiens de diverses obédiences vivent ensemble depuis des siècles.
De telles opérations sont propres aux organisations qui n’ont pas la force politique pour atteindre leurs objectifs stratégiques et militaires. Leur objectif tactique est d’utiliser leur capacité militaire limitée pour projeter une image médiatique amplifiée de leur force et ainsi obtenir le soutien direct d’un acteur extérieur qui partagerait leurs objectifs politiques.
Pour que ces opérations de propagande armée soient efficaces, la couverture médiatique – en l’espèce internationale – doit avoir joué au préalable. BBC, CNN, Al Jazeera, El País, The New York Times, Le Monde, etc. sont des médias de grande audience caractérisés par leur connivence avec les intérêts des états qu’ils servent et par leur soutien appuyé aux groupes terroristes en Syrie, comme Hayat Tahrir al-Sham (ou HTS), nouveau nom de Jabhat al-Nusra et branche de Al Aqaïda en Syrie. Ces groupes sont présentés comme des “insurgés”, des “rebelles modérés”, des “combattants de la liberté”, des “opposants” et même des “Syriens”, alors qu’une partie notable de ces “combattants” sont étrangers.
L’implication d’Israël dans l’attaque d’Alep
Les opérations de propagande armée surviennent généralement à des moments où les médias peuvent les relayer et elles peuvent servir les intérêts d’acteurs extérieurs : en l’espèce, le cessez-le-feu qu’Israël a demandé au Liban sans avoir atteint l’objectif qu’il s’était fixé (éliminer complètement le Hezbollah) et qui est considéré en Israël comme une capitulation – comme en témoignent les analyses pas du tout triomphalistes dans des médias comme The Jerusalam Post, The Times of Israel, Jediot Ahronot et bien sûr Haaretz. Les implications de cette trêve sont passées au second plan.
L’attaque d’Alep fut précédée, le mercredi 27 novembre 2024, par des frappes israéliennes qui ont détruit les postes-frontière syrio-libanais de Arida et Jisr Qmar et par des manoeuvres israéliennes sur le plateau du Golan occupé. L’armée syrienne s’est focalisée sur le centre et le sud du pays, ce qui a pu faciliter l’opération djihadiste au nord.
En outre, l’attaque sur Alep a eu lieu un vendredi [jour non ouvré et fin de semaine] ce qui a permis aux groupes armés djihadistes d’avancer dans des rues désertes, donnant l’impression de la vacuité du pouvoir et de l’impuissance de l’état. De plus, l’absence de nombreux fonctionnaires des services publics et le relatif silence des médias syriens dans les premières heures ont contribué à magnifier, au moins le premier jour, cette image victorieuse des rebelles.
Cette désinformation, encouragée par les réseaux sociaux et les médias internationaux qui soutiennent les groupes armés, a créé une sensation de panique même dans des endroits éloignés d’Alep ; l’opération de propagande armée parfaitement planifiée a atteint son objectif immédiat puisque même ceux qui s’y opposent ont d’abord relayé son narratif. Les images diffusées par les djihadistes et leurs alliés ont eu un coût certain, mais temporaire, pour le régime syrien en termes de propagande : impuissance des services de renseignement à anticiper, incapacité de l’armée à réagir immédiatement, faiblesse de la communication étatique. Même si les images n’indiquaient pas de contrôle réel des djihadistes ni de consolidation à long terme à Alep, le grand public, en Syrie et à l’international, ne distingue pas les opérations militaires défensives et offensives, ne connaît ni le délai pour passer de l’une à l’autre ni la nécessité de limiter les pertes militaires et civiles, et ignore les mécanismes de la propagande médiatique.
Le jeu trouble de la Turquie
Les choses ont commencé à changer le dimanche 1er décembre, premier jour vraiment ouvré en Syrie, quand des images en direct de vie normale dans les autres provinces de Syrie et du déploiement de troupes au nord du pays et dans la province de Hama ont remplacé les communiqués alarmistes des deux jours précédents. Certes, les djihadistes occupent 6 quartiers à l’ouest d’Alep (et non à l’est comme en 2012) et se filment au centre de la ville, mais ils ne disposent, comme en 2012, d’aucune base populaire ou politique qui leur permettrair de consolider leurs avancées ou d’offrir une alternative au régime politique que les Syriens se sont donnés en 1919 et qu’ils ont consolidé lors de l’Indépendance en 1946.
Certes ils sont aidés politiquement et financièrement par les Occidentaux (y compris Israël) et la Turquie, mais l’objectif de s’affronter directement avec l’Armée syrienne paraît irréalisable à cause de la présence des Russes (garants comme les Turcs des accords d’Astana et dont l’aviation a immédiatement bombardé plusieurs regroupements des “rebelles”) ou de la coordination renouvelée entre l’armée et les milices kurdes au nord-ouest et au nord-est du pays contre leur ennemi commun.
Les djihadistes entrent où ils peuvent et se maintiennent où ils le peuvent, par pur opportunisme. Leur véritable objectif est de faire pression sur le gouvernement pour relâcher la pression militaire syrienne au nord de Idlib et compliquer les négotiations avec la Turquie : [celle-ci avait pour tâche de désarmer les groupes djihadistes dans la zone de désescalade de Idlib].
Du court terme médiatique au long terme stratégique : la Syrie gagnante ?
Par conséquent, même si les djihadistes ont atteint leur objectif tactique de propagande – agiter l’opinion publique internationale et affaiblir temporairement la confiance de la population syrienne dans son état ─, on verra si ces groupes parviennent à tirer bénéfice de leurs avancées à Idlib ou ailleurs, une fois que l’Armée syrienne se sera reformée, aura reçu du matériel russe et aura contre-attaqué. Les événements diront si le gain tactique à court terme, en termes de propagande, des djihadistes et de leurs “parrains” (USA, UE, Israël, Rotayme-Uni, Canada,…) se transformera en avantage militaire stratégique à long terme pour la Syrie et ses alliés.
Traduction condensée de Jocelyne Chassard.
Pablo Sapag a publié en 2019 La Syrie en perspective. Enseignant-chercheur à l’Université de Madrid, il a été journaliste et correspondant de guerre pour une télévision espagnole. L’article ci-après (traduit et synthétisé) date du 1er décembre 2024.
Article original en espagnol : https://antiimperialistas.com/operacion-de-propaganda-armada-en-siria-claves-tacticas-y-consecuencias-estrategicas/
Source: Lire l'article complet de Profession Gendarme