La rafle des hôpitaux d’Athènes : un massacre oublié de l’Occupation nazie par Emmanuel KOSADINOS

La rafle des hôpitaux d’Athènes : un massacre oublié de l’Occupation nazie par Emmanuel  KOSADINOS

Le 30 novembre 1943, sous l’Occupation nazie, 18 hôpitaux d’Athènes furent attaqués, et plus de 280 anciens combattants de la guerre gréco-italienne, blessés et organisés dans la résistance, furent massacrés. Cette rafle, menée par des forces collaborationnistes grecques et allemandes, visait à éliminer ces héros, perçus comme une menace pour l’occupant. Ce massacre oublié met en lumière les conséquences tragiques de l’usage de la violence pour écraser toute forme de résistance, de solidarité et d’humanité, une situation qui revient tristement dans des pays considérés comme civilisés, voire démocratiques.

Un massacre oublié

Le 30 novembre 1943, jour pour jour il y a 81 ans, Athènes vivait l’une des pages les plus sombres de son histoire sous l’Occupation nazie. En une seule nuit, 18 hôpitaux de la capitale furent brutalement pris d’assaut par des forces collaborationnistes grecques, épaulées par des troupes allemandes. L’opération visait un groupe bien précis : les anciens combattants blessés et invalides de la guerre de 1940-1941, qui avaient combattu l’Italie fasciste et infligé à Mussolini l’une des premières défaites de l’Axe. Ces hommes, devenus des symboles de courage pour la population grecque, étaient désormais perçus par l’occupant et ses alliés comme une menace à éradiquer.

Ces vétérans, mutilés par les combats mais animés d’un esprit indomptable, s’étaient organisés dans les hôpitaux où ils étaient soignés. Sous l’égide de l’EAM (Front de Libération Nationale), ils avaient créé un réseau de Résistance particulièrement actif, mobilisant les blessés pour défendre la population affamée et lutter contre l’Occupation.

Dans la nuit du 30 novembre, plus de mille hommes armés encerclèrent les hôpitaux d’Athènes. Les soldats pénétrèrent dans les établissements, brisant portes et fenêtres, et s’en prirent aux blessés sans défense. Les invalides furent arrachés de leurs lits, frappés sauvagement, souvent privés de leurs prothèses qui furent brisées sous leurs yeux. Malgré l’intervention des soignants, ces hommes furent traînés hors des hôpitaux et entassés dans des camions, sous une pluie d’insultes et de coups.

La rafle ne se limita pas aux anciens combattants : médecins, infirmiers et civils tentant de protéger les blessés furent eux aussi arrêtés. Parmi les prisonniers, nombreux sont ceux qui succombèrent avant même d’atteindre les prisons de Chatzikosta et Haïdari, lieux de détention tristement célèbres où ils furent enfermés et torturés. À l’aube, au moins 283 d’entre eux furent exécutés, les corps abandonnés comme une mise en garde brutale à quiconque oserait résister.

Inquiétantes ressemblances des discours du pouvoir

Le premier ministre collaborateur Ioánnis Rállis justifia cette rafle par l’argument selon lequel « il fallait faire de la place pour les vrais malades ». Ce discours, sous un vernis de rationalité, masquait une volonté d’éliminer des blessés et invalides de guerre, perçus comme des opposants potentiels. Cette logique, qui hiérarchise les vies selon leur supposée utilité sociale, trouve des échos inquiétants dans certains discours actuels, où des décisions présentées comme des nécessités organisationnelles ou sanitaires cachent des politiques d’exclusion.

Cette instrumentalisation du langage médical, que ce soit hier pour éliminer des résistants ou aujourd’hui pour marginaliser des groupes vulnérables, illustre le danger d’une rhétorique utilitariste. La tragédie de 1943 nous rappelle qu’un tel raisonnement scélérat, pseudo-pragmatique, peut devenir une arme d’oppression, sapant les principes de solidarité et d’humanité.

Un legs mémoriel

Aujourd’hui, une plaque métallique, gravée de quelques noms, se trouve au pied d’un monument commémoratif dans un hôpital d’Athènes. Elle rappelle ce massacre méconnu, où des hommes déjà brisés par la guerre ont payé de leur vie leur refus de céder face à l’oppresseur.

La guerre gréco-italienne de 1940-1941 avait marqué l’histoire moderne en infligeant une humiliation cuisante à l’Italie fasciste. Pourtant, cette victoire fut suivie de l’Occupation nazie et d’une répression féroce. À travers les hôpitaux, ces anciens combattants participèrent aux grandes mobilisations, défiant à la fois l’occupant et ses alliés locaux, et démontrant que, même dans la souffrance, la dignité pouvait survivre.

Le réseau de Résistance de l’EAM, qui s’était infiltré dans les hôpitaux, joua un rôle déterminant dans l’organisation des manifestations et la diffusion de la propagande patriotique. Ces hommes, surnommés avec affection « les colonnes motorisées » par la population, étaient à la fois des héros et des cibles privilégiées. Le massacre du 30 novembre 1943 fut la tentative la plus brutale de briser cet esprit de Résistance.

Mais cette tragédie demeure une leçon universelle. Elle nous rappelle que, même face aux pires oppressions, la solidarité humaine et l’organisation collective peuvent devenir des remparts contre la barbarie.

Références bibliographiques pour approfondir le sujet :



1. Fontaine, Joëlle. De la résistance à la guerre civile en Grèce, 1941-1946. La Fabrique Éditions, 2016.

2. Chalaza, Vassiliki. Istoria tou anapirikou kinīmatos stēn Ellada (1908-1996) (Histoire du mouvement social des personnes handicapées en Grèce). Thèse de doctorat, Université de l’Égée, Faculté des Sciences Humaines, Département de Pédagogie Scolaire, 2021.

3. Charalampidis, Ménélas. “ Ptychés tis emfýlīas sýngrosīs stīn katochikī Athīna ” (Aspects de la guerre civile dans Athènes occupée). La Décennie 1940, chapitre dans ouvrage collectif, 2023.

4. Classiques Garnier. Représentations mémorielles de la guerre civile grecque. Collection Littérature, histoire, politique, no. 25, 2017, pp. 767–876. DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-05976-9.p.0767.

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À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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