Canada/Ukraine : une histoire sombre sciemment dissimulée (par Robin Philpot) par André LACROIX

Canada/Ukraine : une histoire sombre sciemment dissimulée (par Robin Philpot) par André LACROIX

On se souvient de l’ovation que le Parlement canadien avait réservée en septembre 2023 à Yaroslav Hunka présenté comme un « héros ukrainien » – en réalité un vétéran ukrainien nazi ayant combattu dans la Schutzstaffel. Ce n’était, hélas, pas un cas isolé, comme en témoigne cet article publié le 20/11/2024 dans « L’Aut’journal » sous la plume du journaliste et essayiste québécois Robin Philpot. C’est avec son aimable autorisation que nous reproduisons ici cet article.

URL : Canada/Ukraine : une histoire sombre sciemment dissimulée | L’aut’journal

Quelques jours avant le jour du Souvenir, le 11 novembre 2024, le gouvernement du Canada a annoncé qu’il ne rendrait pas publique la partie d’un rapport produit par la Commission d’enquête sur les criminels de guerre au Canada (Commission Deschênes) qui nomme 900 Canadiens accusés de crimes de guerre commis pour le compte des nazis. Le Canada les a admis après la Seconde Guerre mondiale, y compris beaucoup d’ex-membres du Waffen SS Galicien (ukrainien).

On apprend qu’Affaires mondiales Canada s’est opposé à ce que Bibliothèque et Archives Canada (BAC) accède à une demande d’accès à l’information pour rendre publics ces noms. Selon le porte-parole de la BAC, la décision de garder la liste sous scellé « était fondée sur des préoccupations concernant un risque de préjudice aux relations internationales. » Le Globe and Mail, qui avec d’autres a déposé la demande d’accès à l’information, explique la décision : « Affaires mondiales a mis en garde à plusieurs reprises contre le recours à la désinformation par le président russe Vladimir Poutine pour justifier son invasion de l’Ukraine. »

Jour du Souvenir ? Ou jour de l’Oubli ?

Doit-on rappeler à Affaires mondiales Canada que, pendant la Seconde Guerre mondiale, ces 900 personnes se battaient pour les nazis, donc contre nos parents et grands-parents ! Que 1,2 million de Canadiens s’y sont battus, dont 45 000 ne sont jamais revenus !

Heureusement qu’il y a des auteurs et des journalistes qui veillent au grain. Dont Peter McFarlane auteur du formidable livre qui vient de paraître, Family Ties, How a Ukrainian Nazi and a Living Witness link Canada to Ukraine Today (Lorimer, Oct. 2024). Son point de départ : la double ovation du parlement canadien accordée en septembre 2023 à Yaroslav Hunka, ancien membre du Waffen SS Galicien – un autre cas d’amnésie gouvernementale canadienne. Mais surtout l’applaudissement nourri de Chrystia Freeland, vice-première ministre et ministre des Finances du Canada, dont le grand-père, Mykhailo Chomiak, était un collaborateur nazi.

L’auteur suit le parcours de deux familles originaires de la même région de l’Ukraine qu’on appelait la Galicie, qui sont arrivées au Canada dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale.

D’un côté, il y a la famille de Mykhailo Chomiak, qui était éditeur de 1940 à 1945 du journal nazi en langue ukrainienne Krakivski Visti. Ce journal, qui n’avait rien à envier à Der Stürmer, faisait la promotion d’Adolphe Hitler, des nazis, du SS et en particulier du Waffen SS Galicien (ukrainien) et de leur campagne meurtrière contre les Juifs, les « Judéo-bolchéviks », les Polonais et tous ceux qu’ils considéraient comme des sous-humains.

De l’autre côté, il retrace le parcours de l’écrivaine montréalaise Ann Charney, née Ann Korsowar à Brody, en 1940, une ville au nord-est de Lviv dans l’ouest de l’Ukraine, et très proche du lieu de naissance de la famille Chomiak. Brody était une petite ville d’environ 24 000 personnes dont 40 %, ou environ 10 000, étaient juifs lorsqu’Ann Charney est née.

Family Ties comprend trois parties. La première intitulée « Murder in Galicia » (Meurtre en Galicie) porte sur l’histoire jusqu’en 1945 de la Galicie, aujourd’hui la partie ouest de l’Ukraine dont Lviv (Lemberg, Lwow, Lvov – selon l’époque) est la ville la plus importante. C’est en voyageant dans la région en vue d’un livre sur un autre sujet que l’auteur développe cette partie du récit avec le concours, entre autres, de membres de la famille Chomiak qui y étaient restés après 1945.

La deuxième partie, intitulée « The Most Ukrainian of Countries » (Le plus ukrainien des pays) porte sur les citoyens canadiens d’origine ukrainienne, leurs divisions politiques profondes, leur rôle dans la politique de leur pays d’origine et du Canada depuis 1945, toujours avec comme fil conducteur, la famille de Mykhailo Chomiak et celle d’Ann Charney.

La troisième partie intitulée « The Return of the True Believers » (Le retour des vrais croyants) se penche surtout sur les 10 dernières années, démontrant notamment comment le passé, surtout des années 1920 à 1950, a façonné l’actualité politique en Ukraine et au Canada. Cette partie comprend aussi un voyage en Ukraine (à Lviv, Brody, et ailleurs) en 2022, après le début de la guerre avec la Russie.

Le contraste entre l’histoire des deux familles est ahurissant. Par ses recherches, voyages et entrevues, l’auteur nous fait revisiter la naissance et le développement du fanatisme meurtrier des uns, qui ont choisi de se joindre aux hordes hitlériennes. En parallèle, il fait sentir la terreur subie par des millions de Juifs, de Polonais, de Russes et d’Ukrainiens antifascistes, et toute personne qui refusait d’adhérer à l’idéologie nazie.

À titre d’exemple, l’auteur, qui a visité tous les lieux habités par l’un et par l’autre, démontre à quel point Chomiak a vécu de 1940 à 1945 dans le confort, surtout à Cracow, le chef-lieu du gouvernement nazi qui occupait la Pologne. Et cela, autant en ce qui concerne le salaire qui lui a été accordé pour éditer le journal nazi Krakivski Visti, que les bureaux et l’équipement nécessaires pour faire ce travail, le tout confisqués aux propriétaires juifs, et le logement qu’il habitait, saisi au détriment d’une famille juive dont Chomiak se plaignait auprès de ses patrons allemands pour la « saleté » et « la vermine ».

Ann Charney, sa mère Dora et sa tante Regina, pour leur part, se sont réfugiées pendant la guerre dans les combles d’une grange à quelques kilomètres de Brody. Pendant deux ans et demi, elles ne purent que très rarement sortir de leur cachette, craignant d’être tuées par les soldats allemands ou des collaborateurs ukrainiens, parfois même leurs voisins de Brody. Elles étaient les souffre-douleurs de Manya, une femme ukrainienne qui, en retour de quelques bouts de pain, leur extorquait tout ce qu’ils ont pu amener avec eux en termes d’argent ou de bijoux. Libérées par l’armée rouge et en particulier un jeune soldat du nom de Youri à l’été 1944, affamées, les muscles atrophiés, elles pouvaient à peine marcher. Ann avait quatre ans.

Peter McFarlane s’est inspiré des mémoires d’Ann Charney intitulés Dobryd (Brody), publiés d’abord en 1973 (publiés en français en 1996) et comparé par la critique à celui d’Anne Frank. Contrairement à ce qu’elle appelle « l’industrie ou la porno de l’Holocauste », Ann Charney, une écrivaine et journaliste primée de Montréal, ne s’abaisse jamais de la sorte. Pour elle, cette façon d’aborder ces crimes déshumanise les victimes en en faisant des objets, alors qu’ils relèvent de faits vérifiables, où des humains ordinaires s’en prennent à d’autres humains ordinaires.

En effet, à Brody, l’armée allemande et les milices ukrainiennes ont d’abord enfermé tous les Juifs dans un ghetto entouré de barbelés et gardé par des collaborateurs ukrainiens, souvent résidants eux-mêmes de Brody. Ensuite, c’est la déportation, surtout vers le premier centre d’extermination nazi à Belzec, au nord-ouest de Lviv, que Heinrich Himmler avait établi début 1942.

Ann, sa mère, sa tante et son cousin ont pu se sauver du ghetto pour se réfugier dans la grange à temps pour éviter le sort réservé aux autres. Ils ont ainsi figuré parmi les 88 survivants de Brody, sur une population juive de près de 10 000 en 1939.

« Ils sont donc sortis de notre histoire »

Les deux visites que Peter McFarlane effectue au Musée d’histoire et de savoirs locaux de Brody sont les plus révélatrices de ce qui s’est passé à cette époque, mais aussi en ce qui concerne l’état d’esprit actuel des Ukrainiens de cette partie du pays. McFarlane décrit son arrivée au Musée de Brody en 2022 comme suit :

« La route vers Brody était un chemin de mémoire pour le SS Galicien. (…) il y a une chapelle au bord de la route entourée de 500 croix blanches que les vétérans SS ukrainiens ont fait ériger en 1994. (…) »

Au sujet des expositions actuelles, il ajoute :

« Elles étaient très semblables à celles de l’année précédente, toujours avec la dernière salle célébrant la division Galicien avec des photos, des armes, des uniformes et des cartes de la bataille de Brody. On y avait ajouté une photo de Yaroslav Stetsko et inclus sa déclaration d’indépendance de l’Ukraine « sous la direction d’Adolf Hitler ». »

Lors de sa première visite au Musée de Brody, McFarlane avait tout de suite remarqué qu’il n’y avait aucune mention des Juifs de Brody, eux qui avaient fondé la ville et qui, dans les années 1880, représentaient 80 % de la population (environ 40 % en 1939). Il rappela ce fait au directeur du Musée qui reconnut que c’était exact. L’auteur demanda ensuite pourquoi le Musée n’avait rien sur la présence des Juifs, celui-ci répondit en faisant un geste de la main qui ressemblait à celui d’un magicien : « Il n’y avait plus de Juifs après 1943, ils ont donc quitté notre histoire. »

Un portrait accablant du Canada

En suivant le parcours jusqu’au Canada de ces deux familles durant et après la guerre, l’auteur dresse un portrait accablant du Canada qui a déroulé le tapis rouge pour de milliers de collaborateurs nazis, dont Mykhailo Chomiak, mais aussi des dirigeants de la communauté ukrainienne canadienne qui, eux aussi, étaient des sympathisants nazis et avec lesquels le gouvernement canadien travaillait à l’époque.

Ce portrait est d’autant plus accablant du fait qu’Ottawa, en même temps, faisait subir une course à obstacles cruelle aux vrais réfugiés de la guerre des nazis voulant immigrer au Canada, dont la famille d’Ann Charney.

La charge contre la politique canadienne ne s’arrête pas là. Dans un style limpide, factuel et exempt d’hyperbole, l’auteur démontre comment le Canada a poursuivi, jusqu’aujourd’hui, une politique de soutien à cette frange d’Ukrainiens qui se réclament aujourd’hui ouvertement et fièrement des combattants du SS Galicien et qui sont très influents dans le gouvernement actuel à Kiev.

Family Ties est un livre remarquable sur une période de l’histoire – la Seconde Guerre mondiale, avant et après – qui ne cesse de nous hanter. Il est aussi un puissant antidote contre l’amnésie canadienne et surtout contre les tentatives de réécrire l’histoire de cette guerre pour justifier des provocations guerrières épousées par Washington, Ottawa, Londres, Paris et autres pays de l’OTAN.

Note : Dobryd, Ann Charney (1973, 1995) English / Dobryd, Ann Charney(1993, VLB éditeur) Français.

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Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

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