Selon un sondage réalisé en mars 2021 par le Public Religion Research Institute, 15 % des Américains et 23 % des électeurs républicains sont d’accord avec l’affirmation suivante :
« Le gouvernement, les médias et le monde de la finance aux États-Unis sont contrôlés par un groupe de pédophiles adorateurs de Satan qui dirigent un trafic sexuel d’enfants à l’échelle mondiale. »
Je suppose que, si on leur demandait anonymement leur avis, une partie de ces croyants cocherait aussi l’affirmation selon laquelle « le gouvernement, les médias et le monde de la finance aux États-Unis sont contrôlés par les juifs ». Mais si on leur demandait de choisir, ils diraient probablement que les pédo-satanistes sont au-dessus des juifs dans la hiérarchie occulte des Illuminati. Dans la hiérarchie de la méchanceté aussi, évidemment. Par comparaison avec les pédo-satanistes, tous les autres méchants semblent plutôt gentils.
Je pense que c’est précisément leur fonction. Nous avons affaire à une opération réussie d’infiltration cognitive de la complosphère, consistant à faire croire que « le gouvernement, les médias et le monde de la finance aux États-Unis » sont dominés par les adorateurs de Satan plutôt que par les adorateurs de Yahvé. L’idée que les élites américaines ont juré allégeance à Satan permet de faire oublier qu’elles jurent allégeance à Israël.
Cette secte de satanistes opérant en toute impunité au plus haut niveau d’Hollywood, de Wall Street et de Washington, torturant, violant, sacrifiant et mangeant des enfants et des bébés, est un mythe dont l’une des fonctions est de détourner l’attention de la communauté qui contrôle Hollywood, Wall Street et Washington.
Le pentagramme inversé serait alors la fausse bannière de l’étoile de David. Ceux qui veulent nous faire croire que les adorateurs de Satan veulent détruire les valeurs de l’Occident sont les mêmes que ceux qui veulent nous faire croire que les adorateurs d’Allah ont détruit les tours jumelles.
La différence est que les adorateurs de Satan n’ont pas d’existence significative. Il existe bien aux États-Unis des églises sataniques. La plus ancienne, l’Église de Satan, a été fondée en 1966 par Anton LaVey, un fils de juif ashkénaze qui se vante dans son autobiographie d’avoir participé à de la contrebande d’armes au profit d’Israël. Quant à Malcolm Jarry, qui a fondé en 2013 (à Salem dans le Massachussetts) le Temple satanique, il se décrit comme un « juif laïc » attaché à Israël, et dit ne pas voir de contradiction entre son judaïsme et son satanisme. He’s got a point, comme on dit : dans la Bible hébraïque, Satan n’est qu’un auxiliaire de Yahvé. Ainsi, le rédacteur du premier livre des Chroniques, chapitre 21, hésite entre « Yahvé envoya la peste en Israël », « l’Ange de Yahvé ravagea tout le territoire d’Israël », et « Satan se dressa contre Israël » (1Chroniques 21 : 1-14).
Ces mouvements, de toute manière, font plus de bruit que de mal. Surveillés par les autorités, ils se distraient avec des gadgets et des invocations, et ne se livrent à aucune activité criminelle [1]. Et ils n’intéressent pas nos élites.
Alain Escada a récemment déclaré que selon le rapport de 2008 de la Miviludes (Mission interministériel de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires), il y aurait en France 25 000 satanistes. Vérification faite, ce chiffre est introuvable dans le rapport en question, qui présente le satanisme comme marginal et peu préoccupant. Pour justifier encore son inquiétude, Escada cite un article du Parisien daté du 21 novembre 2018 et titré : « Paris : de macabres découvertes chez un « galeriste sataniste » » : il y est question d’un homme aux antécédents psychiatriques chez qui l’on a découvert des fœtus dans du formol et une momie de nourrisson. C’est bien dire que le satanisme relève en réalité du fait divers. On me signale parfois, à titre d’objection à mon « déni » du satanisme, des histoires sordides de crimes sataniques : David Berkowitz dit « Fils de Sam », les West Memphis Three, sans oublier bien sûr Charles Manson. Nous sommes, là-encore, dans le registre des crimes de forcenés. Il n’est pas exclu, surtout dans le dernier cas, que des criminels de ce type ait subi des expérimentations de type MK-Ultra, mais nous sommes encore loin du roi des Belges sacrifiant des bébés sous la pyramide du Louvre.
La panique satanique comme outil politique
Si, aux États-Unis, près d’un électeur républicain sur quatre croit que « le gouvernement, les médias et le monde de la finance aux États-Unis sont contrôlés par un groupe de pédophiles adorateurs de Satan », c’est en grande partie à mettre au crédit de QAnon, cette opération psychologique lancée pour soutenir Trump en 2016, dont l’un des messages était – et est encore, semble-t-il – que le monde sera sauvé dès que Trump aurait neutralisé le réseau des pédophiles satanistes, plus ou moins identique à « l’État profond » que Trump dit combattre, ou au « marais » qu’il prétend vouloir assécher, ou encore tout simplement au Parti démocrate.
Ce n’était pas la première utilisation politique connue du satanisme. Richard Jenkins, sociologue à l’université de Sheffield, a écrit un livre passionnant (Black Magic and Bogeymen) sur une opération psychologique menée par le renseignement militaire britannique en Irlande du Nord entre 1972 et 1974, visant à « diaboliser » la violence entre les groupes paramilitaires catholiques et protestants, en plaçant des objets et des inscriptions sataniques dans certaines zones de guerre de Belfast, et en faisant circuler par la presse des rumeurs de messes noires et de sacrifices rituels. L’objectif, partiellement atteint, était, dans une population très religieuse de part et d’autre, de salir l’image de leurs luttes armées [2].
Ce qui a été particulièrement efficace dans l’opération QAnon, et dans des films de la même mouvance comme Out of Shadows, c’est la fusion de la pédophilie et du satanisme. Car si l’existence du satanisme des élites est douteuse, en revanche l’existence de réseaux pédocriminels impliquant des hommes très puissants ne l’est pas. L’affaire Pizzagate, déclenchée par la mise en ligne des emails de John Podesta, recouvre une réalité terrifiante. Mais il n’y a pas, dans cette pédocriminalité de réseau, de culte de Satan au sens propre, même si on peut évidemment la jugée satanique (voir ici ma distinction entre le satanique et le satanisme).
Pour faire du satanisme l’ennemi civilisationnel suprême, QAnon a réactivé la « panique satanique » qui avait submergé les États-Unis et d’autres pays anglophones dans les années 1980-90. Le cœur de cette psychose collective était la croyance dans l’existence d’un culte satanique pratiqué secrètement de génération en génération dans certaines familles, dont les rituels incluaient la torture, le meurtre et le cannibalisme d’enfants et de nouveau-nés, et la programmation des adeptes par des techniques de dissociation ou fragmentation de la personnalité. Ces satanistes seraient si nombreux que des dizaines de milliers d’enfants seraient sacrifiés par eux chaque année. Et ils seraient si puissants qu’ils auraient neutralisé toutes les enquêtes policières.
L’origine de cette hystérie collective est bien documentée, et a fait l’objet de nombreux livres et de plusieurs documentaires en anglais, dont le tout récent Satan Wants You. Le film Régression d’Alejandro Amenábar, basé sur plusieurs histoires vraies, est aussi intéressant.
Comme je l’ai déjà expliqué, la vogue des thérapies dites régressives (ou « thérapies par les souvenirs récupérés ») a été le déclencheur. Mais le phénomène n’aurait pas eu l’ampleur qu’il a pris sans l’écho favorable que lui ont donné les grands médias. En fait, comme le montrent Debbie Nathan et Michael Snedeker dans Satan’s Silence : Ritual Abuse and the Making of a Modern American Witch Hunt (Basic Books, 1995), « une panique morale d’une telle ampleur ne peut être obtenue que par des efforts concertés pour l’institutionnaliser » [3].
Inévitablement, avec le soutien de certaines féministes, l’accusation de pédo-satanisme a été habilement exploitée par certaines femmes vengeresses contre leurs anciens maris. L’exemple typique est l’affaire Hampstead, près de Londres, déclenchée par des enregistrements vidéos des enfants de Ella Draper accusant leur père Ricky Dearman de diriger un culte satanique et de les avoir forcés à tuer des bébés et à boire leur sang. Il s’est avéré que les accusations des enfants avaient été obtenues sous la torture et la menace par le conjoint de la mère, Abraham Christie [4]. Cette affaire rappelle les accusations portées par Dalila Sadok contre le père de ses enfants, dans le film Les Survivantes et dans ses interviews.
Dans les années 1990, la littérature sur le pédo-satanisme s’est enrichie de la thématique MK-Ultra, à partir notamment du livre Trance Formation of America, basé sur les « souvenirs » de Cathy O’Brien « récupérés » par hypnose [5]. Mélanger pédophilie, satanisme et MK-Ultra, telle est la recette de base d’un nombre incalculable de livres, qui naguère n’auraient même pas trouvé place dans les arrière-salles des librairies New Age, mais poussent aujourd’hui sur la plateforme Amazon comme des champignons hallucinogènes. Admirez par exemple la production de Fritz Springmeier (non, ce n’est pas de la parodie).
QAnon a encore garni cette mythologie protéiforme de détails particulièrement horribles, avec notamment l’adrénochrome, un élixir de jouvence prétendument consommé par nos élites pédo-satano-psychopathes, extrait de l’hypophyse d’enfants sous la torture (une rumeur qui trouve son origine dans le roman et le film Las Vegas Parano). Cette théorie satano-vampirique de la « récolte d’adrénochrome », a été relayée par des personnalités comme l’acteur Jim Caviezel (qui tient le rôle principale dans le film récent Sound of Freedom) [6]. En France, Cyril Hanouna accrédita cette rumeur en donnant la parole à l’escroc Gérard Fauré, présenté comme « l’ancien dealer du tout-Paris », le 9 mars 2023.
La pilule noire
Cette mythologie pédo-satanique constitue ce que j’appelle la « pilule noire ». La métaphore de la « pilule rouge », tirée du film Matrix, est aujourd’hui si répandue qu’elle est passée dans le langage courant. On est redpilled quand on a compris que les grands médias mentent sur à peu près tout. La pilule noire est, si l’on veut, une overdose de pilule rouge. Ayant échappé à l’univers du mensonge médiatique avec la pilule rouge et ainsi pris pied dans la réalité, vous allez, si vous prenez la pilule noire, sentir le sol s’effondrer à nouveau sous vos pieds et vous enfoncer dans un monde totalement fantasmatique, aussi noir et angoissant que le monde d’avant la pilule rouge était rose et rassurant.
La pilule noire ne libère pas, elle aliène. Elle vous fait perdre votre capacité de raisonner. Elle vous enferme dans une sorte de religion inversée. Elle vise à générer un climat de dépression et d’impuissance collective. Elle vise aussi à détourner l’attention. Car à côté de ces adeptes de Satan violeurs et dévoreurs de bébés, les adeptes de Yahvé font figures de doux agneaux ! Si l’internationale pédo-sataniste dirige le monde, alors rien d’autre n’a plus d’importance.
La pilule noire exploite notre tendance à considérer les super-riches et les super-puissants comme intrinsèquement différents de nous. Elle nous fait oublier que nous avons affaire à des hommes. Des hommes corrompus, comme nous le serions peut-être à leur place, mais des hommes tout de même, des fils et des pères, avec des besoins sociaux et le souci de leur réputation et de leur héritage.
La mythologie des pédo-satanistes qui gouvernent le monde n’est pas très différente de la théorie reptilienne de David Icke, selon laquelle les dirigeants du monde n’appartiennent pas à l’humanité ordinaire, mais sont liés aux « grands humanoïdes reptiliens buveurs de sang et changeurs de forme, originaires du système stellaire Alpha Draconis, aujourd’hui cachés dans des bases souterraines, [qui] sont à l’origine d’une conspiration mondiale contre l’humanité » (Wikipédia). Selon un sondage réalisé en 2013, 4 % des électeurs américains inscrits sur les listes électorales croyaient aux idées de David Icke (que lui-même, précisons tout de même, a abandonnées). Ils font certainement partie des 15 % qui croient à l’Internationale pédo-sataniste.
La cerise nazie sur le gâteau sataniste
Le satanisme international, avec ses « esclaves sexuelles programmées par MK-Ultra » et autres fantasmagories, est un épouvantail qui sert à éloigner les curieux du sionisme international. C’est l’un des nombreux masques que revêt le sionisme international pour enfumer et décerveler les Goyim. Il existe de cela un indice qui ne trompe pas : la volonté de systématiquement ramener les nazis dans cette mythologie. Pour les concepteurs de cette imposture, il est important d’amalgamer satanisme et nazisme.
J’ai déjà signalé la présence suspecte de ce thème dans le film Out of Shadows, et dans le livre d’Alexandre Lebreton. Dans le premier, il est question de Himmler et de ses expérimentations maléfiques visant à créer une race de seigneurs, avec pour preuve une photo de son château d’allure gothique. Dans le second, c’est Klaus Barbie qui est cité : « Un homme politique qui est lié de très près à ces programmes de MK m’a dit un jour que c’était Klaus Barbie qui était à l’origine de cette programmation. » Constatez le niveau d’argumentation.
Le Néerlandais Robin de Ruiter, qui défend l’idée que le monde est dirigé depuis des siècles par treize lignées sataniques, affirme quant à lui que le médecin nazi Joseph Mengele « a joué un rôle crucial dans le développement du programme du Contrôle Mental Monarch. Il était non seulement le concepteur de ce programme, et il l’a également introduit dans le monde de la science », et « faisait partie de la hiérarchie occulte en quête d’un contrôle totale du monde » (propos extraits de sa préface au livre de Nathalie Augustina, Confession d’une top model, au délicieux sous-titre : Contrôle Mental Monarch, Esclavage et Abus sexuel). De Ruiter a aussi collaboré avec Laurent Glauzy, fondateur de Pro Fide Catholica et auteur de Une élite sataniste dirige le monde (2017).
Aujourd’hui dans le monde francophone, la nouvelle pilule noire s’appelle Les Survivantes. Il n’est pas étonnant d’y retrouver encore les nazis complices des satanistes. Anne Bilheran, qui a préfacé le livre de la « survivante » Anneke Lucas, a écrit elle-même L’Internationale nazie, préfacé par Slobodan Despot et Jean-Dominique Michel. Elle a publié dans la revue du premier, Antipresse, un article dans lequel elle me critique indirectement, et écrit :
« Selon les témoignages de réseaux pédocriminels, notamment satanistes, que j’ai étudiés, environ la moitié dit venir de familles franchement nazies ou sympathisantes, quel que soit le niveau de l’échelle sociale ou le pays. […] D’après mes recherches, les nazis avaient une grande tolérance envers la pédocriminalité […]. Et leurs pratiques rituéliques comportaient de nombreux marqueurs du satanisme et de ses dérivés, avec un mélange d’occultisme inspiré des structures anglaises comme la Golden Dawn et de la culture germanique et nordique, comme le « Soleil noir ». »
Comme je trouve que Bilheran manque d’imagination, je lui dédie cette image qui illustre bien les choses dégoûtantes que les Nazis faisaient (et font encore) avec des bébés.
Laurent Guyénot
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation