« Gaston Couté, dont j’ai publié sous coffret les œuvres complètes1, était familier de ce Paris du quart nord-est – Montmartre, bien sûr, il y fit sa carrière – et du Xe arrondissement, spécifiquement, autour de République, et vers ces fascinantes gares, celle dite “du Nord” et l’autre dite “de l’Est”, au débouché de Varsovie, Moscou, Rotterdam, portant encore sur les rives du Bas-Magenta2 le souvenir du Tivoli-Vauxhall, où Louise Michel (1830-1905) tint meeting et où Valentin le Désossé, l’homme-caoutchouc (1843-1907), un des principaux modèles de Toulouse-Lautrec, commença sa carrière, et du diorama* de Daguerre. C’est à cet endroit précis que fut créée la photographie3.
Lénine, lorsqu’il séjourna à Paris (4 ans durant), aimait entendre des chanteurs4. Le 2 janvier 1910, il écrivait à sa sœur Maria : “Aujourd’hui même, je compte aller dans un cabaret pour une goguette révolutionnaire avec des chansonniers5.” Qui allait-il applaudir, ce premier dimanche de janvier ? Un groupe de militants, qui avait adopté le titre La Muse rouge et dont la publicité précisait, dans le numéro 3 (1909) de leur revue : “Goguettes mensuelles des chansonniers révolutionnaires , le 1er dimanche de chaque mois, salle Jules, 6, boulevard de Magenta. Deux heures de chanson entre camarades. Entrée libre6.”
Il y avait alors – il y a encore – pléthore de théâtres, aux alentours de la place de la République. Le Déjazet, abritant des fresques d’Honoré Daumier (1808-1879), était une salle de spectacle située au 41, boulevard du Temple7. Le Caveau de la République, crée en 1901 par Charles Bouvet, fut d’abord réservé à la chanson satirique. Gaston Couté s’y produisit parfois. Nous n’étions qu’à cent-quatre-vingt-cinq mètres, tout au plus, du Restaurant Véry, au 24 boulevard de Magenta, où, le 30 mars 1892, le garçon Lhérot permit d’arrêter l’anarchiste Ravachol qu’il avait reconnu en le servant.
Ses proches entendirent venger leur camarade et firent exploser dans ce restaurant le 25 avril 1892, vers 10 heures du matin, veille de la comparution de celui-ci devant les Assises, deux bombes qui firent deux morts et deux blessés.
“Pétards anarchistes”, nota le bataillard Léon Bloy8 dans son Journal. “Explosion copieuse chez le marchand de vin où Ravachol fut arrêté. Les gens vertueux sont mal à l’aise.” Forain9, qui savait focaliser ses phobies, publia un dessin où l’on voyait un couple qui, sur la tombe de Ravachol, coupait des fleurs pour en faire un hommage à Zola. »
Alain (Georges) LEDUC
Alain (Georges) Leduc, écrivain, critique d’art, habite et travaille dans le Xe arrondissement.
Il vient de sortir un essai consacré au peintre Yves Klein, La Pureté du Pur. Un fasciste européen, aux éditions de la librairie Tropiques, Paris. (Diffusion Librairie philosophique Vrin.)
* Voir l’article Diorama, Alain (Georges) Leduc, « Les Mots de la peinture », Paris, Belin, 2002, coll. « Le français retrouvé », p. 184. Peut être emprunté à la Réserve centrale des bibliothèques de la ville de Paris.
NOTES
1 Alain (Georges) Leduc, Gaston Couté, Chaucre (Île d’Oléron), Éditions libertaires, 2018. Ce présent article est adapté du tome 2, Une vie bellement légendée, p. 825-827.
2 Jacques Hillairet, Le Dictionnaire historique des rues de Paris, Paris, Les Éditions de Minuit, 1963, tome II, p. 86-87.
3 Les bureaux de Georges Ondet, un des principaux éditeurs de Gaston Couté, étaient établis au 83, rue du Faubourg Saint-Denis. Ceux de Mazot, Louis Jacquot et fils, autres de ses éditeurs, mitoyens du café Jules – j’y viens – au 8, boulevard de Magenta. L’industrie phonographique, au 17, rue de Lancry ; À la chanson moderne, 45, boulevard de Magenta. La revue Comœdia, à laquelle il collabora, 22 boulevard Poissonnière. Tout cela se tenait sur deux ou trois lopins.
4 « Tatiana Lioudvinskaïa, alors secrétaire de la section bolchevique de Paris, raconte qu’elle examinait avec Nadiedja Kroupskaïa, compagne de Lénine, comment organiser un concert qui rapporterait de l’argent au parti ; à un moment, Lénine se mêla à leur conversation : “Le plan ne doit pas être seulement commercial, mais encore idéologique. Il faut introduire un élément de propagande dans le programme. Invitez Montéhus. Avec lui vous aurez du public et il fera de la propagande”. La soirée eut lieu salle des Sociétés savantes, au cœur du Quartier Latin (où Lénine fit ses conférences sur Léon Tolstoï et sur “Stolypine et la Révolution”). Pendant le concert, alors que Montéhus chantait, Lénine, de temps en temps, fredonnait doucement. Le concert fini, Vladimir Illich ne partit pas aussitôt. Je le vis assis à une petite table : il était en conversation avec Montéhus, développant devant lui les perspectives de la future révolution mondiale. Nos camarades s’étaient rassemblés autour d’eux. Je n’avais jamais vu Vladimir Illich aussi plein d’humour, de gaîté et d’animation. » Robert Brécy, Autour de la Muse rouge. Groupe de poètes et chansonniers révolutionnaires, 1991, p. 51.
5 Les mots en italiques sont écrits de sa main en français.
6 Robert Brécy, Florilège de la chanson révolutionnaire de 1789 au Front populaire, Paris, Éditions Hier et Demain, 1978, p. 183. (10 pleines pages y sont consacrées à Gaston Couté, p. 191-200.)
7 Avant d’être un théâtre, le Déjazet fut une salle de jeu de paume, édifiée dans les années 1770 par le comte d’Artois, qui s’adonnait à des parties fines dans un appartement situé au premier étage. Marie-Antoinette s’y rendait, et on assure que quand elle a été arrêtée il lui fut dit : « On va t’emmener dans un endroit où tu t’es beaucoup amusée, mais là, tu vas moins t’amuser, citoyenne ».
8 Léon Bloy (1846-1917), in Journal, 25 mai 1892.
9 Le peintre Louis Henri Forain, dit Jean-Louis Forain, Jean Forain ou Louis Forain (1852 -1931).
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