Les surprises d’‘Orechnik’
23 novembre 2024 (18H00) – Le tir d’un missile IRBM (jusqu’à 5 000 kilomètres de portée) russe de type nouveau, dit ‘Orechnik’, produit un formidable effet de communication aux multiples nuances, – mais en aucune façon le silence dont nous savons tous qu’il est l’arme principale du simulacre. Donc, ‘Orechnik’ existe et l’on en a grand’peur. Il faut dire aussi que, pour la grande presse, dites-presseSystème, c’est une “première” des barbares de l’Est. Prenez ‘Les Échos’ du 21 novembre 2024 par exemple, rien de plus chic et de mieux informé :
« Un tir de missile hypersonique a été lancé pour la première fois sur l'Ukraine par la Russie. Celle-ci l'a revendiqué, affirmant avoir prévenu les Etats-Unis 30 minutes avant le lancement. Washington a dénoncé une “escalade” du conflit. »
Je ne veux pas avoir l’air de donner des leçons à des gens si bien élevés et relevant avec fierté d’une subvention publique conséquente, mais non, le « première fois », ça ne passe pas ; comme une arête de poisson fichée dans la gorge, un bobard installé devant vos yeux et trop institutionnalisé pour qu’on puisse avoir l’audace de l’ignorer… Quoi qu’il en soit, et malgré que je ne puisse heureusement prétendre être une référence pour ces gens-là, ‘dedefensa.org’ écrivait dans un article du 22 mars 2022 ce qui suit :
« Pour la première fois, – si l’on met à part des rumeurs d’emploi opérationnel expérimental d’un exemplaire en Syrie en 2021, – des missiles hypersoniques Kh-47M2 ‘Kinzhal’ (ou ‘Kinjal’, comme employé par RT-France et les commentateurs-spotters français ?) ont été utilisés en Ukraine, sans doute à partir d’avions lanceurs MiG-31K opérant à partir de la Crimée. »
…Et il y en eut bien d’autres. Mais non, pour ces gens-là, type-‘Les Échos’, c’est la première fois. Je ne vais pas m’amuser à monter un procès couru d’avance, pour des gens comme “ces gens-là”, mais il se trouve qu’il faut comprendre pourquoi on parle avec tant de tintamarre d’un missile hypersonique russe, alors que bien d’autres ont été tirés, qui ont fait, eux aussi, des dégâts considérables. On l’a vu hier, je pense que le “coup” a été bien suivi et entretenu (je ne dis pas “provoqué”) par les Russes et Poutine une fois qu’ils aient senti qu’il y avait cette fois un effet public transnational considérable.
Cette fois, le Système n’accueillit plus la nouvelle par le silence. De nombreuses indications furent données, auxquelles Poutine en rajouta solennellement quelques couches. On en parla à trouille ouverte et l’Europe découvrit qu’elle était nue, – à part quelque dingue anglo-saxon, ici et là. Je dis bien “l’Europe” car on sait bien que ‘Orechnik’ est taillé aux petits oignons pour atteindre tous les coins et recoins de l’Europe. C’est simple, pour moi l’analogie avec le SS-20 et la trouille grandiose que ce missile mythique infligea au continent dans les années 1977-1987, s’imposa aussitôt : et l’engin, et la trouille… Ainsi retrouve-t-on les chemins du réel.
Pourquoi maintenant, pourquoi ‘Orechnik’ et pas ‘Kinzhal’ ? La censure, l’autocensure, la trouille et la bêtise sont une explication insuffisante. ‘Orechnik’ a percé une cuirasse, ouvert une brèche mortelle dans le mur de pierre, percé une voie d’eau épouvantable dans la coque du ‘Titanic’. Je ne veux pas d’explications techniques et politiques, car je suis sûr qu’on en trouverait autant dans d’autres circonstances, pour la mème sorte d’incident. Reste cette chose essentielle que le Simulacre, percé en un point comme s’il était percé de toutes parts, agonise en se vidant presque comme fait une obscénité. Je suis sûr d’avoir lu, sous la plume d’un commentateur anonyme, d’un texte ou un autre, cette ébauche de poème venu d’un poète inconnu, qui nous dit tout, – drôle d’idée mais belle idée d’introduire la poésie dans le débat ukrainien comme partie intégrante de la GrandeCrise :
« Sous leurs yeux brutalement décillés,
Leur regard embrasse un spectacle
Qu’ils pensaient relever de l’imposture des sens,
Et qu’ils méprisaient en le regardant sans le voir. »
Bien entendu, rien n’est fini et l’on dirait plus volontiers que tout commence. Tout le monde est désormais à découvert. L’on sait quel est l’enjeu, quelles sont les positions des uns et des autres, quels sont les risques jusqu’aux plus terribles. Les deux mois qui nous attendent sont comme une immense tempête que les dieux nous obligent à subir au large du Cap Horn, comme une initiation.
RT.com a fait appel au “progressive pundit”, expert “progressiste” mais superbement indépendant Jimmy Dore, pour nous résumer la situation :
« “Joe Biden et les néoconservateurs de son administration n’ont cessé d’intensifier la guerre… Ce qu’ils essaient de faire, c’est d’aggraver la guerre de façon à ce que Donald Trump ne puisse pas l’arrêter”, a déclaré Dore, avertissant que le résultat final de leurs actions pourrait être une nouvelle guerre mondiale.
» “Le seul espoir que nous avons est que Poutine fasse preuve de retenue, qu’il soit le seul adulte dans la salle et qu’il puisse attendre d’une manière ou d’une autre jusqu’à ce que Donald Trump devienne président”, a-t-il déclaré. Trump sera investi fin janvier et s’est engagé à mettre rapidement fin au conflit ukrainien dès son entrée en fonction.
» “C’est pourquoi l’establishment déteste Trump… pourquoi ils l’ont accusé sans cesse d’être un traître et de travailler avec Poutine – c’était la seule carte qu’ils avaient à jouer, car il a été élu sur la promesse de mettre fin à nos guerres interventionnistes de changement de régime à l’étranger”, a déclaré Dore. »
Entrée dans la dissuasion
Là-dessus, je vais me faire plus technique pour donner un argument à ceux qui espèrent qu’on évitera l’inévitable. C’est la terrible ‘Orechnik’ qui nous l’apporte, et il s’agit d’une confirmation des plus intéressantes car l’on voit alors les Russes occuper une place bien plus confortable dans la partie. Il s’agit du constat immanquable selon nous que l’hypersonique offre un degré de plus dans la dissuasion, entre la guerre conventionnelle du plus haut niveau et la guerre nucléaire. Il permet en effet de faire basculer la situation militaire et politique comme on voit faire dans les différents étapes de la dissuasion. Jusqu’ici, il s’agissait d’une hypothèse opérationnelle que nous développons depuis le 22 mars 2022, lorsqu’il fut ainsi écrit :
« Ce que montrent les frappes de ‘Kinzhal’, c’est qu’avec des ogives conventionnelles et des objectifs bien précis, le missile hypersonique devient effectivement, comme l’observait Gouré, une nouvelle arme transformatrice du champ opérationnel conventionnel. De telles frappes peuvent porter des coups gravissimes sinon fatals à des bases militaires, des réserves stratégiques souterraines importantes, – et il n’en manque pas du côté US, avec leur myriade de bases autour de la Russie, en Europe et au Moyen-Orient. On espère que les services d’évaluation militaires occidentaux tireront les conclusions nécessaires de ces frappes, qui sont parfaitement contraires aux sottises de circonstance dont on a évoqué un exemple plus haut. Le missile hypersonique doit être considéré au moins autant comme une arme conventionnelle nouvelle d’une extrême puissante (et alors sa vitesse, avec son énergie cinétique, agit comme un multiplicateur considérable de la force de destruction à l’impact), que comme une arme nucléaire (à ogives nucléaires) très rapide et indétectable mais qui n’a que faire de l’énergie cinétique puisque l’arme nucléaire se déclenche elle-même hors de tout choc d’impact. »
Après plusieurs réflexions de nouveau sur cette capacité de l’hypersonique à s’inscrire dans la dissuasion, passant ainsi à volonté du tactique au stratégique, il y eut encore ceci, du 10 décembre 2022 :
« “‘Des capacités non nucléaires développées par des concurrents pourraient infliger des dommages de niveau stratégique aux Etats-Unis et à leurs alliés et partenaires’, note le Pentagone, admettant en filigrane la suprématie des armes non nucléaires russes (hypersoniques), et bientôt chinoises…”
» Cette remarque rejoint ce que nous avons déjà noté à plusieurs reprises à propos des armes hypersoniques dont la flexibilité extrême (autonomie, emport de charge, vols avec manœuvres et altitudes différentes, extrême vitesse et incapacité d’interception, énorme puissance à l’impact du fait de l’énergie cinétique suscitée par la vitesse) leur donne des capacités de frappe stratégique équivalentes à celle d’une arme nucléaire de décapitation et de destruction ciblée. Notre analyse nous conduisait à considérer l’hypersonique dans toutes ses capacités comme installant un nouvel échelon dans l’échelle de la dissuasion, un échelon où le conventionnel devient aussi important que des frappes nucléaires intermédiaires, y compris stratégiques. (Voir notamment le 22 mars 2022 et le 9 octobre 2022.)
» “…Cela implique la possibilité, dans le cas d’une escalade, de la mise en place et de l’existence d’un échelon intermédiaire entre la guerre conventionnelle de haut niveau et la guerre nucléaire avec son enchaînement quasiment inéluctable du tactique au stratégique (guerre totale d’anéantissement). Dans l’état actuel des forces, cette novation serait au seul avantage des Russes, grâce à leur missiles hypersoniques qui, dans certaines conditions, pourraient frapper avec précision une cible militaire aux USA (bases, centre de commandement, etc.) sans provoquer les dégâts collatéraux catastrophiques d’une frappe nucléaire”. »
L’arrivée tonitruante d’‘Orechnik’ constitue une affirmation de la même tonalité de sa fonction royale dans l’univers de la dissuasion. Il faut dire qu’à Mach 10, la masse qui heurte rassemble 475 fois l’énergie cinétique d’un missile ‘Tomahawk’ volant à Mach 1. Si vous voulez, c’est comme un météorite de belle taille. Alors, une fois admis que cela est bien réel, il y a de quoi réduire à néant l’énorme Simulacre gonflé comme une bulle funeste et licencieuse dans lequel nous avons vécu ces deux dernières années.
Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org