Dans son livre L’Argent des gens, Thomas Baumgartner interroge (entre autres) cette quadragénaire jadis précaire sur son rapport à l’argent et à la pauvreté.
« Je sais que sous peu je vais avoir deux appareils dentaires à payer, pour mon fils et ma fille, mais je ne sais pas comment je vais faire. »
Charlotte, 42 ans
Histoire d’un déclassement
Le problème, quand on est pauvre, c’est la bienveillance des gens. Ils viennent vous expliquer : pour ton bien, il faut que tu arrêtes de dire que tu es pauvre parce que ça dérange. À un moment, je faisais du ménage au noir, je n’avais droit à rien. Donc je vivais avec 20 euros par semaine. Ça ne me dérangeait pas de dire ma situation, mais ça mettait très mal à l’aise mes interlocuteurs. La personne en face le prenait comme une accusation : celle d’avoir plus d’argent que moi. D’autant que j’en parle avec une langue dont on se dit qu’elle n’est pas celle des pauvres.
Quand on vit avec le RSA, à savoir 825 euros pour trois (la mère et les deux enfants), on vit concrètement avec 350 euros par mois, une fois toutes les charges déduites. Et il se passe beaucoup de temps où il vous reste 50 euros, 40 euros… Jusqu’à la fin du mois, il faut les faire tenir. Et c’est inconcevable pour la personne en face, qui pense qu’elle n’a pas d’argent parce qu’il ne lui reste plus que 300 euros sur son compte. Elle se sent jugée, et elle devient agressive.
Il est vrai que, parfois, j’accuse. Moi, dans mon engagement politique, on ne m’a jamais rien donné. Je fais de la politique depuis longtemps, et ça m’a plus coûté que rapporté. J’ai été quelques mois assistante parlementaire. Le plus gros contrat, c’était avec quelqu’un qui n’était pas dans mon parti. Ce n’est pas mon parti qui me l’a donné, en revanche, mon parti a trouvé du travail (en tant que chargés de mission dans des collectivités territoriales) à des élus d’autres collectivités territoriales, pour compléter leurs 1.500 euros d’indemnités qui ne leur suffisaient pas. Et c’est vrai que, ces gens-là, il n’est pas impossible que, quand je leur en parle, je sois un peu plus agressive que quand j’en parle à quelqu’un qui a un « vrai » travail.
Aujourd’hui je suis en CDD. C’est un changement. Je peux dire : en ce moment, je suis cadre. Je suis chargée de prospection privée pour l’intermédiation locative en Moselle. Mon employeur est une association, mais en fait je travaille plutôt pour l’État. C’est du logement d’urgence, on loue des appartements dans le parc privé pour les sous-louer à des SDF, des femmes victimes de violences, des gens qui sortent de prison ou de l’hôpital psychiatrique… Ça va durer encore trois mois, mais après, si ça se trouve, je serai chômeuse.
J’ai trouvé ce travail à l’église. Quelqu’un, que je croisais régulièrement et qui savait que j’étais à la recherche d’un emploi, m’a dit : va voir sur tel site, il y a une annonce, ça pourrait t’intéresser. Je cherchais du travail dans la culture. Mais il n’y a plus d’argent dans ce domaine, on ne peut plus embaucher. Ou alors il faut faire 50 heures par semaine pour 1.100 euros par mois. Donc ça signifie : n’aie pas d’enfants. Parce que, si vous gagnez 1.100 euros par mois et que vous en mettez 250 dans une garde, autant être au RSA. Sans compter les transports.
Parler de sa propre pauvreté, et surtout en ces termes, c’est éviter de partir dans l’abstrait des chiffres et des statistiques. C’est un acte politique. Je dis tout le temps que je suis pauvre et je mets le « je » au centre de ma parole en tant que politique. Parce que quand on dit « les » femmes, « les » mères, on permet aux gens qui nous écoutent de se distancier. Je veux taper les gens dans leur conscience, et faire comprendre que les pauvres d’aujourd’hui ne sont pas des ouvriers incultes, édentés, va-nu-pieds. Ce ne sont pas des « sans-dents », pour reprendre l’expression de François Hollande.
La classe moyenne paupérisée, c’est une réalité. Je ne me considère pas comme étant de la classe ouvrière. Du côté de ma mère, il y avait un comptable, qui appartenait à la seule usine de la ville, une coiffeuse, patronne de son salon. De l’autre côté, mon grand-père était cadre à la SNCF et ma grand-mère était directrice d’un foyer de jeunes travailleuses. Ce n’est pas du tout la classe ouvrière. J’ai eu une éducation bourgeoise, je suis allée au conservatoire, j’ai écouté de la musique classique quand j’étais petite, j’ai fait du piano. Je n’ai pas dû enlever mon accent lorrain parce que je n’arrivais pas à être comprise quand j’étais à Paris. J’ai gardé mon accent lorrain, mais il est peu prononcé parce que je viens d’une famille où il n’y a pas d’accent.
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La maltraitance des pauvres
Survivre sous le seuil de pauvreté
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