Pendant que les chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage discutaient au XIXe Sommet de la Francophonie, qui s’est tenu à Villers-Cotterêts et à Paris les 4 et 5 octobre, les organisations de la société civile devaient se contenter d’un tout petit espace au Village de la Francophonie dans le 19e arrondissement de Paris.
Pourtant, selon les directives adoptées par les chefs d’État, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) se doit de reconnaitre le rôle essentiel des OING et des ONG dans la participation et la contribution actives de toutes et tous à la conduite des affaires publiques et dans la promotion d’une démocratie citoyenne responsable.
Malgré cela, une place congrue était réservée à la société civile à ce Sommet, et cette place est encore plus congrue pour le mouvement syndical. En effet, seul le Comité syndical francophone de l’éducation et de la formation (CSFEF) représente des organisations syndicales à la Conférence des organisations internationales non gouvernementales accréditées par l’OIF.
Le CSFEF représente les organisations syndicales de l’éducation dans les pays francophones. Il a réussi à faire entendre sa voix en faisant parvenir une déclaration aux chefs d’État des pays francophones, dans laquelle il leur demandait d’investir davantage dans l’éducation publique et de mettre en œuvre les recommandations du Groupe de haut niveau des Nations Unies, qui visent notamment à offrir des salaires compétitifs, équitables et professionnels pour les enseignantes et enseignants ; à assurer un financement équitable de l’éducation et à investir durablement dans la profession enseignante ainsi que dans le personnel professionnel et de soutien ; et de mettre fin aux mesures d’austérité qui affectent l’éducation.
Cet appel du CSFEF a été entendu. En effet, la Déclaration du XIXe Sommet de la Francophonie consacre un chapitre intitulé « La langue française au service d’un continuum éducation-formation-employabilité », dans lequel les chefs d’État et de gouvernement déclarent : « [Nous] réaffirmons notre attachement à l’enseignement du et en français et saluons le rôle déterminant des enseignants et des communautés scolaires. [Nous] assurons de notre engagement au côté de l’OIF pour développer les actions de formations linguistiques et pédagogiques, afin d’augmenter significativement le nombre d’enseignants formés pour une éducation de qualité pour tous. »
Toutefois, les chefs d’État ont refusé de s’engager à accroître le financement de l’éducation publique. Par conséquent, il est fort probable que cet engagement demeure un vœu pieux, alors que tous les États francophones, tant ceux du Nord que ceux du Sud, font face à de graves pénuries d’enseignantes et d’enseignants.
Pourtant, l’ONU rappelle fort à propos « qu’une éducation de qualité n’est possible qu’avec un financement adéquat. Le financement de l’enseignement public devrait être garanti et se situer au moins à 6 pour cent du produit intérieur brut et à 20 pour cent des dépenses publiques totales. Ces dépenses devraient être transparentes et protégées contre les mesures d’austérité, notamment dans le cadre des politiques défendues par les institutions financières internationales. Les recettes fiscales devraient permettre un financement durable de l’éducation. »
L’exemple du Cameroun
Or, de nombreux pays comme le Cameroun ne respectent pas cet engagement, comme l’affirme Roger Kaffo Fokou, secrétaire général du Syndicat national autonome de l’enseignement secondaire (SNAES) : « l’État camerounais n’investit que 13,5 % de son budget à l’éducation et 3,5 % de son produit intérieur brut. »
Ce sous-financement entraîne des conséquences graves : classes pléthoriques comptant plus de 100 élèves, bâtiments scolaires délabrés, privatisation et marchandisation de l’éducation. « Le Cameroun est fort dans les textes, mais c’est dans l’application que les problèmes se posent », déplore Agnès Bikoko, présidente du Réseau africain des femmes en éducation.
De plus, comme les frais de scolarité sont élevés, de nombreux élèves vivant dans des familles démunies ne fréquentent plus l’école, principalement des filles.
Bien sûr, la situation est pire au Cameroun que dans les pays du Nord, mais force est de constater que tous les pays francophones, incluant la France et le Québec, doivent investir davantage dans l’éducation publique et cesser leur politique d’austérité.
La Francophonie syndicale
En tant qu’ex-secrétaire général du CSFEF, j’ai participé à différentes activités à Paris pendant la semaine où se déroulait le Sommet de la Francophonie. Ainsi, j’ai été invité à prendre la parole lors d’un événement sur la Francophonie syndicale organisé par la Confédération syndicale internationale (CSI) le 3 octobre.
J’ai alors dénoncé le virage de l’OIF vers le libéralisme économique, qui s’est accentué depuis le Sommet de 2018, lorsque la Rwandaise, Louise Mushikiwabo, a été élue secrétaire générale avec l’appui du président de la France, Emmanuel Macron.
Le président Macron a d’ailleurs eu l’occasion de faire la promotion de sa vision de la Francophonie lors de sa visite au Canada, le 26 septembre. Il a alors mis l’accent sur l’entrepreneuriat, les investissements et la croissance économique. Il n’a pas dit un mot sur la promotion de la culture, de l’histoire et de l’entraide internationale.
Pour Macron, les relations francophones se réduisent à de simples transactions économiques. Il privilégie les échanges économiques, souvent au détriment de la solidarité culturelle et de l’entraide. Dans un monde de plus en plus globalisé, où les enjeux sociaux et environnementaux prennent une ampleur inédite, une telle vision est non seulement réductrice, elle est dangereuse !
Par conséquent, j’ai invité la CSI à appuyer les initiatives des syndicats des pays francophones et à travailler conjointement avec le CSFEF pour que le mouvement syndical ait une voix forte au sein de l’OIF.
La République démocratique du Congo et le Rwanda
Le 6 octobre, la Conférence des OING de l’OIF m’a invité à prendre la parole, lors d’une table ronde sur la paix dans l’espace francophone. J’ai alors souligné le fait que les médias parlent beaucoup des guerres au Moyen-Orient et en Ukraine, mais ne parlent quasi jamais de la guerre qui sévit à l’est de la République démocratique du Congo, qui a causé plus de 10 millions de morts et entraîné des millions de personnes déplacées et réfugiées et de nombreuses mutilations sexuelles aux femmes.
Les chefs d’État et de gouvernement ont adopté, lors du Sommet de la Francophonie une résolution sur les situations de crise, de sortie de crise et de consolidation de la paix dans l’espace francophone, dans laquelle ils ont condamné « tous les massacres des populations et les bombardements des camps de déplacés, commis sur le territoire de la RDC ».
Toutefois, le Rwanda n’a pas validé les passages de la résolution qui condamnent « tous les groupes armés opérant en RDC et tout soutien extérieur apporté à ces groupes, notamment, tout appui militaire extérieur ; [qui condamnent] également toute intervention militaire étrangère non autorisée et demandent le retrait immédiat des forces militaires non autorisées par le gouvernement de la RDC sur son territoire ».
De son côté, le président de la RDC, jugeant que la résolution n’allait pas assez loin, a décidé de ne pas participer au huis clos des chefs d’État. Ce geste du président de la RDC a été applaudi par la population congolaise, affirme Jacques Taty Mwakupemba, coordonnateur national de la FENECO-UNTC.
« Cela a été considéré comme un geste courageux vis-à-vis du président du Rwanda, Paul Kagame, qui jouit d’un soutien inconditionnel de la France, des États-Unis et du Royaume-Uni malgré le fait qu’il soutient les milices armées qui pillent les richesses à l’est du Congo. »
À preuve, le Rwanda est devenu le premier pays exportateur de coltan, le minerai essentiel pour la production des batteries dans les ordinateurs, les téléphones intelligents et les voitures électriques, alors qu’il n’y a pas de mines de coltan au Rwanda. « Tout ce minerai est pillé en RDC avec la complicité des entreprises multinationales », soutient Jacques Tatu Mwakupemba.
Le Sahel et Haïti
Les médias parlent très peu également des conflits au Sahel qui touchent le Burkina Faso, le Niger et le Mali. Pourtant les attaques djihadistes ont semé la mort et la destruction et provoqué la fermeture de centaines d’écoles. Que fait l’OIF devant cette situation ?
Elle a décidé de suspendre ces pays au lieu d’entreprendre des démarches diplomatiques pour favoriser un retour à la démocratie à la suite des coups d’État qui ont affecté ces trois pays. La résolution se borne à réitérer la disponibilité de l’OIF au dialogue en vue d’accompagner ces pays vers un retour plus rapide à l’ordre constitutionnel et démocratique.
Enfin, l’OIF demeure extrêmement préoccupée par la persistance de la crise en Haïti où se perpétuent les violences des gangs armés contre la population, entraînant le déplacement forcé de plusieurs centaines de milliers de citoyens haïtiens et la fermeture de centaines d’écoles.
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal