Par Alexandre Gerbi
Ayant réussi à se brouiller, pendant plusieurs années, avec le pourtant très amical, éclairé et francophile Mohammed VI (mais ceci explique peut-être cela), Macron fait mine ces temps-ci de vouloir recoller les morceaux avec le Maroc. En réalité, il n’a fait le voyage de Rabat que pour venir mettre quelques clous supplémentaires dans le cercueil de la France. Pas sûr que les Marocains aient goûté l’exercice. Ni le personnage. Retour sur un désastre diplomatique et une énième haute trahison macronienne…
Rabat, 29 octobre 2024.
Ambiance glacée au parlement marocain. Macron ment. Il ment et, dans l’hémicycle, tout le monde ou presque le sait. Les Marocains connaissent l’histoire de leur pays. Et si les Marocains sont fiers de leur indépendance, ils n’ont jamais renié le protectorat, en particulier celui de Lyautey, qui unifia et pour ainsi si dire créa le Maroc moderne. Dans le plus grand respect de l’âme marocaine, d’ailleurs diverse. Et pour cause : Lyautey entendait simplement que la France aidât le Maroc à entrer dans la modernité en sortant du « Moyen-Âge » (ce « Moyen-Âge » qui fascina Delacroix voyageur et que la France avait dépassé quelques siècles plus tôt…), avec tout ce que cela implique de développement économique et social. Jusqu’à ce que le royaume chérifien puisse voler de ses propre ailes dans ce monde nouveau. En un mot, dans l’esprit d’Hubert Lyautey, le protectorat visait à doter le Maroc des atouts d’un Etat moderne, pour lui permettre d’accéder dans les meilleures conditions à l’indépendance. Afin de faire de ce grand pays un ami éternel, presque un frère, de la France.
Cela, les Marocains en ont pleinement conscience. Ils savent tout ce qu’ils doivent à Lyautey, l’amour mêlé de respect que ce grand militaire et grand administrateur avait pour eux et pour leur pays. Cet amour de la France, les Marocains le prouvèrent en retour jusqu’au champ d’honneur. Aux Invalides, le tombeau du Maréchal est orné d’inscriptions en arabe. (1)
Quand Macron prend les Marocains… pour des Algériens
Macron a craché sur Lyautey. Il a craché aussi sur le Protectorat. Il a ainsi craché sur une page essentielle de notre histoire commune. Or la présence française au Maroc s’est, pour l’essentiel, merveilleusement passée, lorsqu’on connaît un peu l’histoire des hommes à travers les espaces et les âges. Les Marocains ne gardent d’ailleurs pas un mauvais souvenir, loin s’en faut, de ce temps où quelque 375 000 Français vivaient à leurs côtés, où dans les cafés bondés de Casablanca on hurlait aux exploits de Marcel Cerdan. Interrogés en 2005 sur le sens de leur engagement dans la guerre contre l’Allemagne, trois vieux tirailleurs répondaient par leur fidélité à leurs « deux patries », le Maroc et la France.
Car le Maroc n’est pas l’Algérie. Point de lavage de cerveaux dans un torrent de sang voulu par De Gaulle et versé par le FLN d’Oran à Alger en passant par le bled, ni de mémoire par ces moyens refabriquée. A Casablanca, le lycée français s’appelle toujours Lyautey, avec le plein accord des Marocains. A contrario, l’État algérien, issu du FLN, efface, renie, injurie la France dès qu’il le peut, il en a même fait sa tête de Turc, son fonds de commerce politique inusable, avec d’ailleurs la bénédiction de Paris (j’avais expliqué en partie la chose ici). Alors que c’est ce même Etat FLN qui a détruit depuis son origine l’Algérie, première puissance économique d’Afrique au moment où De Gaulle la bascula dans l’indépendance en 1962.
S’adressant aux Marocains comme à des Algériens, Macron a donc déblatéré sur la période fondamentale qui transforma, développa vertigineusement le Maroc, par le protectorat qui scella une alliance qui ne s’est jamais démentie jusqu’ici. D’autant que les deux peuples sont à présent partiellement fusionnés, d’ailleurs de façon asymétrique et curieuse, puisque les élites marocaines sont francophones de langue maternelle et imprégnées de culture et de civilisation française, tandis que le peuple français comprend un grand nombre de citoyens dont les origines de trouvent en totalité ou pour partie au Maroc.
Commencer un discours par un mensonge, l’entourloupe est d’autant plus navrante que l’interlocuteur vous est intime. Elle présente aussi l’inconvénient d’éclabousser la suite et de discréditer tous vos propos ultérieurs.
Mentir, salir, trahir
Mentir et, pire encore, cracher sur son propre pays devant le parlement hôte, qui plus est touchant à l’histoire commune, à l’histoire intime, prendre ainsi, on l’a dit, l’auditoire officiel pour un ramassis d’imbéciles, mais aussi pour son voisin détesté (diplomatiquement parlant, Marocains et Algériens ne peuvent pas se voir en peinture), conduit à vous discréditer profondément, à vous faire passer pour une serpillière et peut-être pire : pour un traître à un pays, la France, qui se trouve justement être aimée, pour ne pas dire très aimée des Marocains. Car la plupart des Marocains ont encore une belle, une grande idée de la France, ou du moins de ce qu’elle fut. Malgré l’inlassable dénigrement dont les gouvernements français, leurs relais médiatiques et, de là, une ribambelle de Français lambda, se font de longue date une spécialité. Et en dépit de l’abaissement évident, tragique, vertigineux, dans presque tous les domaines, qui frappe notre malheureux pays, au vu et au su du monde entier.
Macron réduit par ses propres soins à un personnage dérisoire inspira à la cinquième minute de son lamentable discours dans l’hémicycle marocain un froid sibérien, un mépris colossal sur les visages des députés atterrés devant tant d’ignominie. Restaient encore quarante minutes à subir, qui parurent un calvaire de mensonge, d’hypocrisies et de flatteries, de flagorneries accumulées, d’envolées lyriques pitoyables, de promesses en l’air, de fausses visions, de maladresses, de bafouillements, et même d’au moins une faute de français.
A la stupidité maligne du fond s’ajoutait le consternant brouillon de la forme. La déchéance morale accouplée à la décadence verbale pour se faire totale. Rarement la France a connu un chef si indigne d’elle…
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(1) Au moment où je boucle cet article, j’entends Philippe de Villiers sur CNews, qui livre une belle anecdote que lui confia le roi Hassan II : enfant, Lyautey fit sauter sur ses genoux le jeune prince lors d’une visite chez lui en Lorraine. Hassan II considérait Lyautey comme un vieil oncle. Hassan II confia aussi à Philippe de Villiers qu’en 1934, son père, le Sultan futur Mohammed V, lui annonça en pleurant la mort du Maréchal. Hassan II expliqua aussi qu’il ne fallait pas confondre la colonisation, c’est-à-dire l’œuvre admirable accomplie par Lyautey au Maroc avec le Protectorat, et le colonialisme, l’impérialisme criminel, dont l’histoire humaine, et pas seulement de la faute de la France et de l’Europe, fut souvent déchirée. Hassan II regrettait, enfin, que la Méditerranée ne fût pas devenue comme il l’eût rêvé un trait d’union entre nos deux mondes. Sa Majesté oubliait que, dans Tristes Tropiques, son chef-d’œuvre publié en 1955, Claude Lévi-Strauss appelait à conjurer cette fracture en maintenant l’unité franco-africaine, y compris franco-marocaine. Cette unité qu’à la même époque le père d’Hassan II, poussé en cela par Washington et Paris malgré l’Armée, aida à briser.
Alexandre Gerbi
L’histoire de la décolonisation franco-africaine : les analyses d’Alexandre Gerbi !
Ancien professeur au Lycée Lyautey de Casablanca, ancien journaliste, Alexandre Gerbi est l’auteur de Histoire occultée de la décolonisation franco-africaine, Imposture, refoulements et névroses (L’Harmattan, 2006), de La République inversée, Affaire algérienne (1958-1962) et démantèlement franco-africain (avec Raphaël Tribeca, L’Harmattan, 2011), de Histoire inavouable de la Ve République, De la révolution inversée au désastre contemporain (L’Harmattan, 2015), de Le Cinquième Saut ou Le Livre blanc de Charles de Gaulle, Chronique d’une Résurrection (Editions du Plaqueminier, 2019). Membre cofondateur du Club Novation Franco-Africaine (fondé en 2007) et animateur du blog Fusionnisme, il propose une relecture à contre-courant de la décolonisation franco-africaine et des crises identitaire, économique et sociale qui minent la France contemporaine. Alexandre Gerbi est également l’auteur de L’Estocade ou L’escroquerie dévastatrice de l’agent états-unien Macron. Carnets covidiens (17 mars 2020 – 6 mai 2022) (Editions du Plaqueminier, 2022), qui réunit l’ensemble des articles qu’il a consacrés au sujet. Il a également publié le western métaphysique Le Toton de Welching Gulch ou L’Extraordinaire histoire de Marcellineau d’Anjoulx (Editions du Plaqueminier, 2022). Ses ouvrages : https://www.leslibraires.fr/personne/…
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