Les lecteurs réguliers du Grand Soir le savent (on le rabâche assez souvent), les milliardaires possèdent les médias, mais aussi les principales maisons d’éditions dites « grandes ». Ajoutons ici qu’ils possèdent, en plus, des galeries d’art, voire des musée, (fondations Louis Vuiton, Cartier, Schneider, Pinault…).
Les milliardaires sont en mesure de nous faire prendre pour vrais, selon leurs besoins, des faux défenseurs des journalistes (RSF, Robert Ménard), des faux démocrates pacifistes et bienveillants (le dalaï-lama), des faux « génies de la finance » (Emmanuel Macron), des « faux humanistes de gauche » (Raphaël Glucksmann…), des faux philosophes (BHL, Raphaël Enthoven…), des faux journalistes (les Duhamel…) des faux écrivains (Jean dOrmesson. Surmédiatisé, il passa plus de 20 fois dans l’émission de Bernard Pivot, son confrère du Figaro. Il confessait son peu de talent et se lamentait de n’être pas Aragon).
Si tel était le sujet, je poursuivrais sur les faux chanteurs, les faux comédiens, les faux humoristes, les faux politiciens, c’est-à-dire du second choix (assez souvent fils ou fille de) posé au-dessus du panier et recouvrant (et étouffant !) des vrais talents soupçonnés de ne pas s’inscrire assez bien dans la pensée de la classe dominante.
Retenons que presque tout ce qu’on trouve en rayon est du surfait, surcoté, maquillé, parfois comestible, parfois à vomir. Le reste est dans la réserve cadenassée.
Quand Marx dit que les idées dominantes sont celles de la classe dominante, nous serions bien avisés de ne pas croire que le constat est circonscrit à la politique. Leduc nous le dit assez bien. L’art, la peinture, subissent aussi la loi du plus fort. La fine fleur, l’élite et parfois les génies sont sous le couvercle. « La bête triomphante et la pierre sur nous » (« Un jour, un jour » poème d’Aragon qui y voit l’avenir, horresco referens, « couleur d’orange »). Leduc note que « L’avant-garde esthétique et formelle ne pèse pas le poids d’une feuille à cigarette contre l’avant-garde politique ».
Il faudra une révolution pour qu’elle émerge.
Leduc : Qu’on ne nous dise jamais, jamais, que l’art ce n’est pas avant tout de l’idéologie !… De l’économie !… Comme si l’art ne relevait pas prioritairement de la politique, de chiffres, du marché !!! Il semble que la dimension mercantile ait été évacuée par ses exégètes – seul Denys Riout en parle longuement mais sans en tirer vraiment de conclusions sur cette obsession spéculative. Tout cela est habillé de « poétique », de « mysticisme ». De fétides ingrédients. Klein, si grand activiste fut-il, était surtout un redoutable affairiste, brevetant à tout crin et intentant procès sur procès à quiconque venait marcher sur ses plates-bandes ; étrange combinaison de talent et de mesquineries. Il sera pris, englué, non pas dans la critique (je ne vois guère d’éléments critiques-critiques sur lui de son vivant), mais dans un cocon cotonneux, du discours sur. (Discours-sûr.) Une critique qui, incapable de voir, nous entraîne dans cette incapacité à voir. Cette inouïe cécité des voyeurs !…
… Comme s’il n’y avait pas d’interaction avec la plaque tectonique inférieure, le soutènement : l’économie !… Comme si les formes étaient neutres, autonomes… La belle affaire !… Une forme n’est jamais neutre. Il n’y a jamais de neutralité, jamais de choix innocent. Les artistes ne peuvent être entièrement isolés de la société, comme ils sont brisés menu par l’inter-concurrence. La culture au sens large, et l’art en particulier, n’évoluent pas dans de bulles étanches, imperméables et insensibles aux fluctuations économiques, sociales et politiques. Autrement dit, la compréhension et l’appréciation de la culture et de l’art sont inséparables d’une compréhension du monde, d’une Weltanschauung. Il y a toujours, derrière l’art, même si comme aujourd’hui la hiérarchie entre les arts est officiellement anéantie, laissant entrevoir une multitude de pratiques possibles, une ontologique remise en cause des frontières entre catégories et disciplines. Dans un contexte de transformation profonde de la société, d’« années heureuses », Klein, ce Warhol-à-la-française, man on the spot mâtiné d’un sourire-dentifrice à la Kennedy, devint le petit chéri de la moyenne et grande bourgeoisie ».
Leduc encore : « Qu’on le veuille ou non, qu’on l’accepte ou non, une forme, un champ de formes, une palette de couleurs, expriment toujours un choix de classe, idéologique… et donc de formes (plastiques ou non) qui échappent au contrôle ou à une mainmise quelconque. « C’est la couleur préférée des Occidentaux, loin devant le vert et le rouge, mais, depuis le XVIIIe siècle seulement ; pour les Grecs et les Romains, il était désagréable à l’œil, et dévalorisant, synonyme de Barbares », souligne Michel Pastoureau, auteur de Bleu : histoire d’une couleur Couleur de l’Église, couleur des Rose-Croix, couleur des Templiers (la croix bleue, l’écu bleu) : Yves Klein ne pouvait que triplement s’y soumettre. Celle au succès planétaire du blue jeans – la toile denim, du « sergé de Nîmes ». Jusqu’au populaire paquet des Gauloises bleues, redessiné en 1947 par Marcel Jacno (1904-1989). Jusqu’à Michou (1931-2020), le célèbre et kitsch directeur du cabaret de travestis rue des Martyrs, à Paris, et ses fameuses lunettes bleues et son brushing décoloré. Jusqu’à… « Marine » Le Pen…
Sur le bleu, l’historien Michel Pastoureau est omniscient. D’une exceptionnelle érudition !
« C’est là une des caractéristiques essentielles du bleu dans la symbolique occidentale des couleurs : il ne fait pas de vague, il est calme, pacifique, lointain, presque neutre. Il fait rêver bien sûr (pensons de nouveau ici aux poètes romantiques, à la fleur bleue de Novalis, au blues), mais ce rêve mélancolique a quelque chose d’anesthésiant. On peint aujourd’hui en bleu les murs des hôpitaux, on en habille tous les médicaments de la famille des calmants (ou des stimulants sexuels, Viagra, Cialis, etc.) ; on l’utilise dans le code de la route pour exprimer tout ce qui est autorisé ; on le sollicite pour en faire une couleur politique modérée et consensuelle. Le bleu n’agresse pas, ne transgresse rien ; il sécurise et rassemble. Les grands organismes internationaux ne s’y sont pas trompés, qui ont tous choisi le bleu comme couleur emblématique : autrefois l’ancienne Société des Nations, puis de nos jours l’ONU, l’Unesco, le Conseil de l’Europe, l’Union européenne. Le bleu est devenu une couleur internationale chargée de promouvoir la paix et l’entente entre les peuples ; les casques bleus de l’ONU œuvrent en ce sens en plusieurs points du globe. »
Le vrai Klein
Imposteur, faussaire, faux peintre, qui, fortune faite (Oncle Picsou), assistait en smoking et en gants blancs à la création d’œuvres qu’il signait et dont les auteurs étaient « des pinceaux vivants », des jeunes femmes nues enduites de bleu et se roulant sur la toile, tandis que le charlatan confessait qu’il ne tolérait pas une tache de peinture, même sous ses ongles). « Faire du pognon sans main souiller est son affaire ». On comprend comment Klein en sa courte vie (il est mort d’une crise cardiaque à 34 ans) a pu produire (1800 œuvres dont beaucoup naquirent devant le peintre spectateur, se tenant « à distance » de la toile, toile dont le prix variait (en 1995) de 100 000 francs (éditions multiples) à 4 millions de francs pour un original.
D’Ortega y Gasset (1883-1955), philosophe, sociologue et essayiste espagnol : « Klein feignait de remodaliser, de recadrer, d’élargir les limites usuelles, par le truchement de procédés de distanciation visant à réinstaurer autour de lui une « aura ». Judoka approximatif, peintre refoulé, agioteur compulsif, férocement misogyne (il y avait dans son attitude vis-à-vis des femmes une réification de la violence sexiste qui assignait celles-ci à un rôle passif), il lui fallait donner aux gens l’illusion d’être éblouis. Sale gamin, pris en flagrant délit les doigts dans le pot de confiture de l’historicité, il lui était plus important de faire-valoir que de faire-savoir. »
Pour Leduc , c’est une tendance à la perte de pertinence du sujet au profit de son mode de représentation, qu’Ortega y Gasset, qualifiera de « déshumanisation de l’art » (La deshumanización del arte y otros ensayos de estética, Ograma, Madrid. 1960) ».
Leduc encore, pédagogue, n’oublions pas qu’il fut professeur dans des écoles des Beaux-Arts : « Il n’y a pas d’art en dehors des classes. Tout art, même lorsqu’il se parcellise, se dissémine, est le produit d’une classe bien déterminée ». Le livre « Yves Klein ou la pureté du pur » ouvre (page 3) par une citation de Roger Vailland (encore la main de dieu, s’pas ?) qui résume assez bien ce que Leduc va expliquer (professer ?) à plusieurs reprises au fil des pages : « … ce n’est jamais gratuitement qu’une mode, un système de pensée, une manière de vivre ou un refus de vivre se trouvent dans l’air du temps ».
Pour Leduc, le succès de Klein s’explique aussi parce que ses productions correspondent à des besoins des classes moyennes montantes, désireuses d’investir dans du « non nécessaire », mais sans les connaissances minimales pour échapper aux baratineurs mercantiles.
Klein le judoka
Klein, judoka de haut niveau ? Imposture affirme Leduc, appuyé par des judokas qui fréquentèrent Klein, qui contatèrent qu’il tombait « comme un sac » et qui s’étonnèrent qu’il ait obtenu au Japon, en quelques mois, une ceinture noire 4ème dan qui n’est attribuée qu’après de longues années. L’hypothèse est que de vieux judokas japonais arrondissaient leurs fins de mois, (leurs pensions de retraite) en bradant des diplômes à des étrangers.
Terre plate
Klein, que la réussite avait sans doute perturbé, expliquait avec aplomb que la terre était plate. Sa rotondité apparente est due à sa rotation. Démonstration : « Il prend une pièce de monnaie et la fait vivement tourner sur elle-même : “Voyez, dit-il, quand elle tourne, elle est sphérique ; puis elle retombe à plat. La terre, c’est pareil. Elle est plate, mais comme elle passe son temps à tourner sur elle-même, elle donne l’impression d’être ronde” ». Ben voyons, la compétition entre la pièce de monnaie sphérique et notre planète plate et… bleue).
Gaston Bachelard
Si Emmanuel Macron fut assistant de Paul Ricœur (on se demande ce qu’il y a appris) la proximité revendiquée de Klein avec Gaston Bachelard est un mensonge de plus. « Gaston Bachelard fit la sourde oreille aux sollicitations de Klein… Dans ses écrits, Klein fait abondamment référence à Gaston Bachelard. Il y a, dit Leduc, chez ma consœur Barbara Puthomme, dans son article « Yves Klein : Bachelardien ? », de bien jolies pages. Du « il aurait connu », elle montre que certains laudateurs de Klein passent sans étayer leurs dires à du « il a connu ». D’une hypothèse vite émoussée à des certitudes… Il se donnait comme disciple de Bachelard, sans toutefois trop comprendre sa pensée, au point de tenter de lui rendre visite en 1961 pour lui expliquer qu’il était une espèce de crypto-rosicrucien… Bachelard l’aurait congédié froidement pensant qu’il était « complètement fou », selon certaines versions. N’ayant pu obtenir la caution du philosophe, Klein alla alors tenter d’instrumentaliser la réflexion de celui-ci. Il ne m’aura suffi que d’un courriel à l’Association des Amis de Gaston Bachelard, pour vérifier. Dès le lendemain, car la question reste sensible, je recevais réponse… Selon Jean Libis (né en 1944) de l’Association des Amis de Gaston Bachelard : « Michèle Pichon, qui a travaillé sur Bachelard et les peintres, ne connaît pas le texte de cet entretien. Par ailleurs, l’œuvre de Bachelard – sauf erreur de ma part, ce qui est toujours possible – ne cite pas Yves Klein. Cela a un petit côté chacal qui me déplaît au plus haut point. Pour qu’il y ait dialogue, il faut être deux… »
Piero Manzoni
Mes incomplétudes dans cette recension seraient trop grandes si je ne signalais pas le cas de l’alter ego de Klein en matière de « foutage de gueule ».
Cet artiste italien, peintre de monochromes blancs, a voulu se rapprocher de Klein qu’il considérait comme son égal. Mais celui-ci, ne pouvant admettre la concurrence d’un autre monochromiste, l’envoya balader. Chacun en sa chacunière ! Manzoni en fut modérément affecté, il acheta 90 boites de conserves et il les fit sertir après avoir déposé dans chacune 30 grammes d’excréments de sa production. Succès commercial ! L’une d’elle fut payée avec 30 grammes d’or !
Tout à jeter ?
Leduc, parce que c’est un homme honnête, rigoureux (et prudent ?) avoue (pp163-164) prendre du plaisir « devant certaines trouvailles » de Klein, voire « une certaine délectation sensorielle » et même « de l’émerveillement ». Bon, ça, c’est fait.
Les fêtes approchent
Un Cadeau à faire ? Offrez donc un livre démystificateur, savant et étayé (776 notes de bas de pages) et non dépourvu d’humour, écrit par Alain (Georges) Leduc, enrichi d’une agréable préface d’Oliver Brax (parfois, les préfaces, hein, vous me comprenez…). Vous me direz, une préface qui commence par une citation de Roger Vailland (encore lui !)…
« Yves Klein ou la Pureté du Pur » (Les éditions de la librairie Tropiques, 2024), 256 pages 22 €.
Pour les Parisiens : 56 et 63 Rue Raymond Losserand 75014 Paris.
La librairie est ouverte de 11h à 19h30 sans interruption, du mardi au vendredi. Le lundi elle ouvre de 13h à 19h30 et le samedi de 10h à 19h30.
Pour tous : 01 43 22 75 95
FIN
Maxime VIVAS
QUATRIEME DE COUVERTURE
« Yves Klein ! Notre impétrant – le Pur des Purs –, dont les deux livres de chevet étaient la Cosmogonie des Rose-Croixde Max Heindel et Mein Kampf, a tout pour (dé)plaire. Alain (Georges) Leduc, avec cet ouvrage, nous projette dans l’une de ces escroqueries dont l’« art contemporain » est coutumier. Un certain art d’État. Il nous livre ici une première biographie consistante, nécessairement une « déconstruction » du mythe de Klein – l’auteur des anthropométries et du bleu IKB –, dont il démontre, pas à pas, les « proximités ». D’abord avec le fascisme, tant en Espagne, lors de ses deux longs séjours en 1951 et 1954 (accrédité auprès de la Phalange, où il va jusqu’à entraîner au judo les gardes du corps de Franco), qu’en Italie (où ses tout premiers acheteurs sont d’anciens fascistes, dont au premier chef le tailleur personnel de Mussolini et Lucio Fontana, l’un de ses meilleurs amis et l’auteur d’un buste du Duce), qu’en France au moment de la guerre d’Algérie, par le truchement de son chantre le critique d’art Pierre Restany, « proche » de l’OAS. Ses licences poétiques avec une réalité mal assumée – photo truquée du faux saut dans le vide – ou fantasmée – sa « familiarité » prétendue avec Gaston Bachelard, ce parangon d’équité, qui ne l’aura jamais reçu –, son copinage avec Jean-Marie Le Pen, dessinent un plan de carrière qui explique que jusqu’à ce livre elle ait dû rester dans l’ombre…bleue. Celle d’un artiste jugé « bien connu » et pour cela méconnu aurait dit Hegel, dont l’enquête scrupuleusement documentée d’Alain (G.) Leduc révèle à quel point elle est symptomatique d’une forme de cécité que le public contemporain a été invité à éprouver pour mieux « jouir » des œuvres d’art de son temps ».
Voir aussi :
Vidéo : l’éloge de Klein et de l’exposition de Rodez par le conservateur du Musée Soulages
https://www.youtube.com/watch?v=xYlbfeU-lTo&ab_channel=CNEWS
Ici, les pinceaux vivants : https://www.youtube.com/watch?v=sWSkhQXaO_E&ab_channel=France3Occitanie
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir