Aluminium : Bilan de cent ans d’occupation au Saguenay lac Saint-Jean

Aluminium : Bilan de cent ans d’occupation au Saguenay lac Saint-Jean

Le 22 octobre dernier à Saguenay se tenait un colloque organisé par Climat Québec et l’Association des retraités syndiqués de Rio Tinto, colloque s’intitulant 1926-2026: cent ans d’occupation par Alcan et Rio Tinto, le bilan s’impose. Environ une centaine de personnes se sont déplacées pour entendre et discuter avec 9 conférenciers sur ce vaste sujet.

Le colloque s’est amorcé par un historique du dernier siècle qui montre à l’envie la complicité des pouvoirs publics avec une compagnie ayant comme objectif principal la recherche du profit maximum au détriment de l’environnement et d’une partie significative de la population. Par la suite, le professeur à l’UQAC Marc-Urbain Proulx a brossé un portrait de l’évolution actuelle du marché mondial de l’aluminium. Il en ressort qu’avec un marché contrôlé à 53% par la Chine et une prime « midwest » défavorable à une transformation secondaire près des lieux de production, les perspectives d’emploi pour l’industrie de l’aluminium au Saguenay lac St-jean sont plutôt limitées. Pour M. Proulx, la région serait bien avisée de se tourner vers la production d’énergie renouvelable.

Le reste de l’avant-midi a porté principalement sur deux aspects importants de l’impact environnemental de l’occupation d’Alcan et Rio Tinto au Saguenay lac St-jean. Le premier aspect concernait l’impact dévastateur d’un niveau du Lac St-jean maintenu artificiellement depuis 1926 à un niveau dépassant largement son niveau «naturel» d’avant 1926, plusieurs lots ayant été partiellement ou complètement ennoyés. On en veut pour preuve le secteur de St-Méthode où la rive a reculé de trois kilomètres. Le lac St-jean étant géré comme un réservoir privé à des fins uniques de production maximale d’électricité, ses berges ont pris à certains endroits des allures de zone de guerre. Éric Scullion, riverain du lac et écologiste de longue date qui documente depuis longtemps cette détérioration nous a présenté une multitude de diapositives et documents vidéo (disponibles sur You Tube en tapant Éric Scullion et en allant à l’onglet vidéos)  l’illustrant éloquemment.

M. Scullion à été suivi de Mme Hélène Savard du Comité pour un Vaudreuil Durable ( CVD) qui a entretenu l’audience du crassier de résidus de bauxite. Rappelons que pour obtenir une tonne d’alumine (l’ingrédient de base de production d’aluminium), on doit traiter chimiquement deux tonnes de bauxite. La tonne de résidus qui en découle s’ajoute au crassier. Depuis 1960 jusqu’en 2049, on parle d’une superficie équivalente à 596 terrains de football de déchets toxiques qui se trouvent pour la plus grande partie en plein cœur de la ville de Saguenay. On prévoit que le site actuel aura atteint sa limite en 2030. Rio Tinto planifie un nouveau site toujours en plein milieu de la population. Malgré la modestie de ses moyens, le CVD à présenté un site alternatif. La multinationale tout comme les autorités politiques sont aux abonnés absents. Encore une fois, ce qui prime d’abord et avant tout, c’est l’intérêt économique de la multinationale.

Avant la pause du midi Alain Proulx, le représentant des retraités syndiqués de Rio Tinto est venu entretenir l’audience de la condition des retraités (quatre fois plus de retraités que d’actifs en 2023) syndiqués de RTA sous le thème «Pendant que Rio Tinto s’enrichit, les retraités s’appauvrissent». À cause d’une indexation insuffisante, les retraités ont perdu 17% de leur pouvoir d’achat de 2002 à 2022. Pour la période de 2023 à 2029, l’indexation est remplacée par un montant forfaitaire global de 28 M$. Qui dit forfaitaire dit temporaire. En 2029, les retraités se retrouveront avec leur rente de 2023 mais les augmentations seront toujours là si bien qu’au 17% de perte pour la période 2002 à 2022, il faudra en ajouter une de 16,2%. Ainsi, en 2029, les retraités se seront appauvris de 33,2% en 27 ans.

Pendant la même période, Rio Tinto s’est permis des mesures d’allégement de cotisation et des congés atteignant 738 M$ privant la caisse de revenus d’intérêts de 1,275 M$ ce qui donne un total de 2,013 M$. Rio Tinto était bien mal pris… seulement de 2020 à 2023, les profits nets de Rio Tinto Alcan se sont élevés 6,750 M$. Encore une fois, l’intérêt économique de la multinationale avant tout.

L’après-midi s’est poursuivi par un exposé de Mme Aude Bastien qui a présenté un résumé des recherches effectuées il y a dix ans sous la direction de Mme Marie Claude Prémont de l’ENAP et portant sur la fiscalité foncière de la production hydroélectrique au Saguenay lac Saint-Jean où les centrales de Rio Tinto/Alcan dominent. C’est un système de compensations fiscales très particulier qui reconduit la situation inéquitable prévalant en 1971.

Deux choses ressortent clairement de cette étude:

  • Les disparités sont majeures entre les perceptions dont bénéficient les différentes municipalités touchées alors que les centrales du secteur de la forêt supportent une charge fiscale beaucoup plus importante quant à leur capacité installée que celles du secteur de l’aluminium.
  • Comme à son habitude, Rio Tinto s’en tire à très faible prix puisque l’évaluation historique de ses centrales à l’époque où elles étaient encore portées au rôle foncier (1971) était arbitrairement déterminée en sa faveur. Encore une fois, l’intérêt de la multinationale avant tout.

Après Mme Bastien, c’était au tour de Robert Laplante, directeur de l’Action Nationale et de l’Institut de Recherche en Économie Contemporaine (IREC) de nous entretenir de développement régional endogène ainsi que de l’impact des éoliennes privés depuis 20 ans au Québec. M. Laplante fait la distinction entre développement endogène et exogène. Symbole de la prise en main par les Québécois de leur développement économique, Hydro-Québec s’est appuyé sur la mobilisation des ressources locales favorisant ainsi un développement endogène.

À l’inverse, le développement actuel du secteur éolien répond à des impératifs de profit pour le secteur privé. Dans cette logique, les caquistes ont diminué  entre autres les exigences d’achat local dans la construction des éoliennes. Comme le secteur éolien se développe depuis plus de 20 ans au Québec, on peut en tirer des leçons. C’est ainsi que dans une étude réalisée en début d’année, des chercheurs de l’IREC ont calculé que l’achat par Hydro de l’énergie éolienne privé a occasionné un surcoût de 6,09 milliards$ de 2009 à 2021.

C’est Denis Trottier, riverain du lac au passé riche en implication citoyenne et politique qui a suivi M. Laplante. M. Trottier nous a livré un vibrant plaidoyer en faveur d’une reprise en main de la région par ses habitants s’inspirant de la lutte d’Onésime Tremblay contre l’appropriation sauvage (cautionné par les autorités politiques) du lac par Alcan au début du siècle. M. Trottier n’y est pas allé par quatre chemins qualifiant entre autres d’honteux l’appauvrissement des retraités de Rio Tinto. Il a terminé en esquissant quelques pistes de solution.

Le colloque s’est conclu sur une allocution de Martine Ouellet qui n’a pas manqué de mettre en opposition les 700 millions$ par année dont profite Rio Tinto parce qu’elle possède ses barrages et la diminution en peau de chagrin du nombre d’emplois générés par la multinationale. Une diminution qui prend une tournure particulièrement inquiétante à l’heure où le projet de loi 69 ouvre la porte à la vente d’électricité par les producteurs privés. Mme Ouellet a rappelé qu’en 2012, lors du lock out de six mois à l’aluminerie d’Alma, il était plus payant pour Rio Tinto de vendre de l’électricité que de produire de d’aluminium. Rio Tinto a un projet de parc éolien de 700 à 1000 mégawatts et Jérôme Pécresse, le nouveau patron de Rio Tinto Aluminium,  arrive directement de General Electric où il supervisait l’installation d’éoliennes en mer. Un plus un fait deux! Plus que jamais, le sort des gens du Saguenay lac Saint-Jean est directement lié à celui de l’ensemble du Québec.

Vous pouvez le constater, les sujets de réflexion ne manquent pas. En plus de l’abondance et de la qualité des informations, le point marquant de ce colloque aura été la grande variété de l’auditoire qui a regroupé autant des intervenants du communautaire que de la société civile, des syndicalistes, des retraités et des syndicalistes. Bientôt, un document  vidéo devrait être disponible et on retrouvera sur le site de Climat Québec les documents des conférenciers. Dans la foulée du colloque, un comité de suivi et mobilisation d’une quinzaine de personnes de provenance tout aussi varié a été formé. Ce colloque n’est donc qu’un début.

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Source: Lire l'article complet de L'aut'journal

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