Une langue bien pendue…

Une langue bien pendue…

On dit d’une personne quelque peu bavarde qu’elle a une langue bien pendue… Mais dans le mot pendue, il y a le mot pendre… Or force est de constater qu’à diverses époques, on a voulu la pendre haut et court, la langue des Canadiens français!

Bien sûr, le Conquérant, à qui il n’avait pas échappé que le haut clergé dominait littéralement la société canadienne-française, s’était assuré de son indispensable collaboration en laissant au peuple sa langue et sa religion avec la promulgation, en 1774, de l’Acte de Québec.

Près de 140 ans plus tard, dans l’église Notre-Dame de Montréal, des milliers de personnes avaient entendu l’archevêque de Westminster suggérer que l’avenir de la foi catholique en terre d’Amérique devrait se vivre en langue anglaise. Dans un discours devenu célèbre, le directeur du Devoir, Henri Bourassa, petit-fils de Louis-Joseph Papineau,  avait pris la défense de notre langue en opposant un refus catégorique à cette idée.

« Sa Grandeur a parlé de la question de la langue. Elle nous a peint l’Amérique tout entière comme vouée dans l’avenir à l’usage de la langue anglaise; et au nom des intérêts catholiques, elle nous a demandé de faire de cette langue l’idiome habituel dans laquelle l’Évangile serait annoncé et prêché au peuple. »

Pendant des années, on a recueilli au Québec « le sou de la survivance » pour conserver vivantes les communautés de langue française en Amérique.

Puis, arriva en 1969 le conflit de Saint-Léonard.

Félix Rose vient de proposer un documentaire percutant sur cet épisode charnière durant lequel le débat politique a atteint un niveau rarement égalé. Les Italiens de Saint-Léonard voulaient envoyer leurs enfants à l’école anglaise, convaincus que c’est dans cette langue que leur avenir serait le mieux assuré. On a même entendu un membre de cette communauté dire que si on voulait parler français, il n’y avait qu’à s’en aller en France… Particulièrement pleutres, le premier ministre Jean-Jacques Bertrand et son ministre Jean-Noël Tremblay, avaient opté pour laisser aux parents le libre choix de la langue d’enseignement de leurs enfants. Le bill 63, de sinistre mémoire, avait été adopté le 20 novembre, avec l’appui des libéraux de Jean Lesage…

René Lévesque, député indépendant, Jérôme Proulx et Antonio Flamand, démissionnaires de l’Union nationale, et le libéral Yves Michaud ont mené le combat à l’Assemblée nationale dans ce qui est le débat le plus long encore jamais connu à cette époque dans l’histoire parlementaire du Québec.

Le 31 octobre, 30 000 personnes se sont retrouvées devant le Parlement pour dénoncer le bill 63. En après-midi, le Syndicat des journalistes de Québec (CSN) avait tenu un débat houleux sur la question. Une majorité avait appuyé une proposition dénonçant ce bill, qui représentait « un danger pour notre instrument de travail, la langue française ». Secrétaire du syndicat, j’avais été chargé l’aller remettre notre décision aux deux orateurs juchés sur le toit d’une Renault 8, François-Albert Angers, président de la SSJB de Montréal, et Michel Chartrand, président du Conseil central de la CSN à Montréal. La position des journalistes avait été accueillie par une foule en délire.

Le mouvement syndical québécois avait été au front dans cette bataille. Cependant, mal conseillé, Marcel Pepin, président de la CSN, avait été mis en minorité au Conseil confédéral de la centrale, en novembre. Cette rebuffade l’avait conduit à envisager de démissionner. Cinq ans plus tard, au congrès de 1974. Pepin avait choisi son camp. « La lutte pour la langue française n’est pas seulement une lutte nécessaire à l’agrandissement des perspectives pratiques des travailleurs et à l’obtention de conditions de travail plus favorables. C’est aussi un levier de la lutte québécoise contre les forces de domination économique, politique et sociale. »

D’autres interventions législatives ont suivi. Le bill 22, en 1974 ;  la loi 101, en 1977, que la Cour suprême n’aura de cesse de charcuter d’une manière chirurgicale, frôlant le sadisme; la loi 178, en 1989, sur la langue d’affichage, stipulait que l’extérieur des commerces devait être unilingue français, mais qu’une autre langue pouvait être utilisée à l’intérieur. Ce qui avait amené le député péquiste Michel Bourdon, un militant de la CSN, à ridiculiser cette loi en parlant des jumeaux Térieur, Alex et Alain… Et la loi 96, en 2022, qu’un juge a déclarée incompatible avec le Code criminel canadien.

Les forces de domination dont parlait Marcel Pepin il y a 50 ans n’ont rien ménagé pour affaiblir notre langue et la reléguer à la portion la plus congrue. Une langue constamment dans le vinaigre, en quelque sorte… Mais ne l’oublions pas : le vinaigre a aussi la vertu de prolonger la vie des aliments qui y sont plongés.
 

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