- Article d’Al-Akhbar sur Yahya Sinouar
- Interview de Sinouar pour Vice News
- Une fameuse réponse de Sinouar lors d’une conférence de presse
Sinouar : Une vision dynamique du conflit
Par Michel Nawfal, écrivain et journaliste libanais
Source : Al-Akhbar, 21 octobre 2024
Traduction : lecridespeuples.substack.com
Il était essentiel, d’un point de vue géostratégique, et désirable du point de vue des aspirations nationales, de lancer une initiative qui rétablisse la centralité de la cause palestinienne et mette fin à la vague de normalisation officielle arabe avec l’entité sioniste. Cette normalisation avait atteint le seuil sacré saoudien, sous une fervente médiation américaine, tandis qu’un silence arabe inquiétant et révoltant régnait.
Il fallait renverser l’équation stratégique en rompant l’équilibre entre la base de la Résistance à Gaza et Israël, en dépassant le faux équilibre entre l’Autorité palestinienne et l’administration de l’occupation en Cisjordanie et à Al-Quds (Jérusalem). Surtout, il s’agissait de repositionner la lutte armée au sein des frontières de la Palestine « du fleuve à la mer ».
Sur la base de cette vision dynamique, le plan « Déluge d’Al-Aqsa » a pris forme le 7 octobre 2023, en renversant le système de sécurité israélien et en posant la question de l’existence même de l’entité sioniste comme refuge sûr. Ce plan a également porté un coup majeur aux politiques de normalisation arabo-américaines, notamment en défiant la planification diligente visant à liquider la cause palestinienne via la normalisation des relations entre l’Etat juif et l’Arabie saoudite à travers les accords d’Abraham.
Note du traducteur : les principaux objectifs du Déluge d’Al-Aqsa étaient la libération des milliers d’otages palestiniens détenus dans les geôles israéliennes, la fin des profanations de la mosquée Al-Aqsa et de l’épuration ethnique à Al-Quds et la levée du blocus de Gaza.
Dans cette nouvelle équation, le Hamas à Gaza a connu de profondes transformations, tant au niveau organisationnel qu’idéologique. Un discours national inclusif, absorbant les acquis historiques du Fatah, a émergé sous l’influence du chef martyr Yahya Sinouar. La direction militaire de Gaza a acquis une autonomie dans sa prise de décision par rapport aux autres centres de commandement à l’étranger. En parallèle, une ligne politique s’est cristallisée, priorisant la résistance armée pour atteindre les objectifs de libération et d’indépendance, au détriment des autres moyens politiques.
Le Hamas s’est aussi déchargé du fardeau de la gestion bureaucratique de la « base sécurisée » pour se transformer en une plateforme d’action révolutionnaire. Cela s’est traduit par des campagnes de mobilisation visant à franchir la barrière de séparation dans la zone frontalière de Gaza, menant au « Déluge d’Al-Aqsa », qui a reconnecté Gaza avec la Cisjordanie, Jérusalem et les territoires de 1948.
Jusqu’en 2017, le Hamas fonctionnait largement sous l’égide de ses dirigeants à Amman, Damas et Doha. Mais la situation a évolué avec l’arrivée de Yahya Sinouar à la tête du mouvement à Gaza, conduisant à un changement organisationnel centré sur la bande de Gaza, avec davantage d’indépendance par rapport à la direction du Hamas à l’étranger. Sinouar a également entrepris une révision stratégique du Hamas en tant que force combattante, en adoptant notamment des mesures offensives contre Israël et en liant Gaza à la lutte palestinienne centrale.
Il est attribué à Sinouar l’ajustement de la stratégie du mouvement pour correspondre aux développements sociologiques en Cisjordanie et à Al-Quds, transformant la bataille pour la mosquée d’Al-Aqsa en un axe majeur du conflit avec Israël.
Sinouar a joué un rôle crucial dans la construction de la branche militaire du Hamas dans les années 1980. Il a passé 22 ans dans les prisons israéliennes, où il a appris l’hébreu et a consacré de grands efforts à l’étude des affaires israéliennes. Il a été libéré en octobre 2011 dans le cadre de l’accord sur Gilad Shalit.
Pour Sinouar, le concept de force offensive et l’affirmation de la puissance sont des clés pour ouvrir la voie à la défaite de l’occupation et forcer l’ennemi à battre en retraite. Ce concept a été mis en œuvre à Gaza lorsque le Hamas a pris le contrôle de la bande de Gaza après sa victoire aux élections de 2006, s’efforçant d’arracher davantage de concessions à l’occupant israélien tout en continuant à élargir les Brigades Al-Qassam, qui comptaient alors plus de 30 000 combattants.
https://x.com/lecridespeuples/status/1847690497856512178
En 2018 et 2019, sous la direction de Sinouar, le Hamas a réussi à alléger partiellement le siège israélien sur Gaza en organisant les « Marches du Retour » aux points de contrôle. Ces manifestations hebdomadaires, qui attiraient des dizaines de milliers de participants, ont été dirigées vers la frontière pour protester contre le blocus. Le Hamas a également lancé des roquettes et des ballons incendiaires en direction des colonies israéliennes dans le sud de la Palestine occupée. En conséquence, Israël a accepté, après plusieurs accords, une ouverture limitée de plusieurs points de passage, ainsi qu’une augmentation des aides financières du Qatar pour couvrir les salaires des fonctionnaires civils.
Depuis 2021, la direction du Hamas s’est efforcée de coopérer avec d’autres factions de résistance pour contrer la menace israélienne grandissante pesant sur la mosquée d’Al-Aqsa à Al-Quds, [lançant notamment la bataille « Epée d’Al-Quds » au mois de mai 2021]. C’est dans ce contexte que l’attaque du 7 octobre a été menée, en collaboration avec d’autres factions, notamment le Jihad islamique, dans le cadre du « Déluge d’Al-Aqsa » et de l’adoption du concept de force offensive dans le conflit avec Israël.
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Yahya Sinouar : « Jamais nous ne brandirons le drapeau blanc »
Source : VICE News, 2 juin 2021
Traduction : lecridespeuples.substack.com
Le 10 mai 2021, en solidarité avec Al-Quds et la mosquée Al-Aqsa, le Hamas a exigé qu’Israël retire avant 18h ses forces de sécurité du complexe d’Al-Aqsa et du quartier de Sheikh Jarrah, où des familles palestiniennes risquaient l’expulsion. Cet ultimatum ayant expiré sans réponse de la part d’Israël, des tirs de roquettes massifs ont été lancés depuis Gaza, dans une opération nommée « Epée d’Al-Quds ». Pour la première fois, c’est la Résistance à Gaza qui déclenchait une phase du conflit, en solidarité avec la Cisjordanie, neutralisant la politique israélienne de dislocation de la cause palestinienne. Un cessez-le-feu est entré en vigueur le 21 mai. Le 7 octobre 2023, le monde entier a compris que le message d’avertissement dont parlait Sinouar n’était pas vain.
Après l’assassinat de Sinouar, la journaliste qui l’a interviewé a révélé qu’elle avait croisé Sinwar par hasard dans les rues de Gaza, à Jabalia, et lui avait demandé de lui accorder une interview, ce qu’il a accepté le jour même, démontrant qu’il était loin de se cacher.
Journaliste : Vous avez adressé à Israël une longue liste d’exigences à satisfaire pour arrêter vos tirs de roquettes. Ces revendications exigeaient que les forces de police israéliennes quittent la mosquée d’Al-Aqsa, que les maisons des Palestiniens de Cheikh Jarrah [quartier de Jérusalem-Est soumis à un nettoyage ethnique au profit de colons sionistes] et que le blocus de Gaza soit levé. Aucune d’entre elles n’a été garantie. Etes-vous engagé pour ce cessez-le-feu ?
Yahya Sinouar : Lorsque nous sommes entrés dans cette phase du conflit avec l’occupation, nous voulions envoyer un message à l’occupation. Ce n’était qu’un message. Nous étions prêts à conclure un cessez-le-feu quelques heures après que la bataille ait commencé, et nous en avons informé les médiateurs le premier jour, le deuxième jour et le troisième jour. Nous avons informé nos frères Egyptiens, nos frères Qataris ainsi que les représentants de l’ONU que nous étions prêts à un cessez-le-feu immédiat et sans conditions. Nous voulions seulement adresser un message à l’occupation pour qu’il sache que nous n’accepterions jamais qu’il agisse à sa guise à la mosquée Al-Aqsa, à Al-Quds, dans le quartier de Cheikh Jarrah, et qu’il persiste dans sa politique illégale au regard du droit international et des résolutions de l’ONU concernant Al-Quds et la Cisjordanie, notamment la colonisation et la confiscation des terres, ainsi que le blocus contre notre peuple à Gaza, et la poursuite des politiques d’apartheid et de discrimination raciale contre notre peuple à l’intérieur des territoires occupés en 1948. C’est notre peuple à l’intérieur qui façonnera notre futur proche, avec la grâce de Dieu le Maitre des Mondes.
Journaliste : Donc la guerre n’est pas complètement terminée.
Yahya Sinouar : La lutte entre nous et l’occupant qui a usurpé nos terres, déplacé notre peuple, et persiste à l’assassiner et à le déplacer, à confisquer ses terres et à s’en prendre à nos lieux saints, est une lutte ouverte. C’est une lutte ouverte. Nous avons la certitude absolue que nous ne voulons pas la guerre, nous ne voulons pas le combat, parce que le prix à payer en est considérable. Notre peuple se passerait allègrement de ces combats et de ces guerres. Pendant de longues périodes, nous avons recouru à des moyens non-violents de résistance populaire. Nous nous attendions à ce que la communauté internationale, les peuples libres et les organisations internationales se tiennent aux côtés de notre peuple et empêchent l’occupation de perpétrer des crimes et des massacres contre notre peuple. Mais malheureusement, malheureusement, le monde est resté les bras croisés face à la machine de guerre de l’armée d’occupation qui tuait nos enfants.
Journaliste : Nous savons que plus de 230 personnes ont été tuées, dont de nombreux enfants. Il y a également des investigations sur des crimes de guerre potentiels durant les bombardements sur Gaza. Mais nous savons également que le Hamas a tiré des roquettes sur des zones civiles en Israël, et a aussi tué des gens et des enfants, pas à la même échelle qu’Israël, mais cela s’est produit. Comment répondez-vous à cela ? Ce sont aussi des allégations de crimes de guerre.
Yahya Sinouar : Israël, qui possède un arsenal de guerre monumental, avec les armes les plus précises, les avions les plus modernes, tue nos enfants et nos femmes de manière intentionnelle et délibérée, c’est très précisément leur but. C’est incomparable avec ceux qui ne font que défendre leurs droits, avec des armes modestes. Si nous avions la possibilité d’utiliser des missiles de précision contre des cibles militaires, nous n’aurions pas lancé ces roquettes (dépourvues de système de guidage). Mais nous sommes contraints de défendre notre peuple avec les moyens dont nous disposons. Et c’est tout ce dont nous disposons. Que pouvons-nous faire ? Brandir le drapeau blanc ? Jamais de la vie. Devons-nous nous laisser tuer de bonne grâce sous les yeux du monde entier, étant une victime complaisante et aux bonnes manières qui se laisse tuer sans pousser le moindre cri ? C’est absolument impossible. Nous avons résolu de défendre notre peuple avec la force qui est à notre disposition.
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Yahya Sinouar : « M’assassiner est le meilleur cadeau que puisse me faire Israël »
Conférence de presse de Yahya Sinouar le 26 mai 2021, 5 jours après le cessez-le-feu qui a mis fin à la bataille « Epée d’Al-Quds » déclenchée par la résistance palestinienne.
Source : Al-Jazeera
Yahya Sinouar : En ce qui concerne les menaces de m’assassiner ou d’assassiner le frère Abu Khaled al-Deif, et l’influence qu’elles peuvent avoir, je vous affirme que le plus grand cadeau que puisse me faire l’ennemi est de m’assassiner, et que je monte auprès de Dieu le Très-Haut en tant que martyr tué par les mains de l’occupation. Je suis âgé de 59 ans, et franchement, je préfère être tué par un F-16 ou par des missiles que par le coronavirus, par un arrêt cardiaque, par un accident de la circulation ou par toute autre cause de décès qui peut frapper les gens. Après la soixantaine, vous le savez, on est proche de la Promesse véridique (la mort) et la mort naturelle, et je préfère tomber martyr que de mourir dans mon lit. Et la décision et les directives de Gantz (ministre de la défense israélien) ne retireront pas une seconde à mon âge (décrété par Dieu). Si Gantz et ses épigones veulent que je leur donne un bon conseil, je les invite à tirer les leçons de Mohamed Deif (commandant des Brigades al-Qassam) et d’Abu Obeida, leur porte-parole : s’ils menacent d’une chose, ils la font ! Jamais ils ne menacent d’une chose sans la réaliser, afin de ne pas perdre leur crédibilité. Je dis donc aux dirigeants ennemis de veiller à faire ce qu’ils menacent de faire, car s’ils menacent sans passer à l’action, leur image sera dégradée.
Quant à vos menaces, je suis apparu à plusieurs reprises devant les médias, c’est vrai, mais je me déplace régulièrement et facilement, je suis là (je ne me cache pas). Dans quelques instants, vous allez partir, et je vais retourner à mon bureau faire mon travail. Puis je monterai en voiture, et avec certains compagnons, j’irai chez moi, dans ma nouvelle maison (l’ancienne venait d’être détruite dans une tentative d’assassinat) qu’ils connaissent, et je les attends. Comme l’a dit (le Prophète) Hud, la paix soit sur lui, lorsqu’il a été menacé, « Rusez donc tous contre moi et ne me donnez pas de répit. » [Coran, s. 11, v. 55] N’attendez pas. Pourquoi attendez-vous ? Allez-y, je vous en prie (tuez-moi) ! Je vais vous dire une chose, qui fait partie des coulisses de la bataille. Après avoir frappé Tel-Aviv de 130 roquettes, j’ai dit aux frères « Par Dieu, je suis prêt à aller marcher dans la rue. Et s’ils veulent m’assassiner, qu’ils le fassent, c’est bon. » Car quand notre résistance palestinienne frappe Tel-Aviv de 130 roquettes et y impose l’état d’urgence, et que Tel-Aviv et tout Gush Dan sont sur un pied (en panique), j’ai l’impression que ma vie est terminée (car j’ai réalisé toutes mes aspirations). Cela me suffit.
Yahya Sinouar sur les ruines de sa maison, détruite par Israël
Ils considèreront mon assassinat comme une victoire. Mais ils ne savent pas quelle valeur nous attribuons au martyre. Ils diront « Nous avons tué Sinouar, nous avons gagné la bataille. » Maintenant, la bataille est terminée. S’ils veulent une image de victoire, je suis prêt. Je vous informe qu’après cette conférence de presse, je vais faire une grande partie de mon trajet à pied. Et ils ont le temps (de faire les préparatifs pour m’assassiner). Cette rencontre va peut-être encore durer 10 minutes [elle en durera 20 de plus], et je m’exprime en direct à la télévision, donc ils m’entendent. Il me faudra encore 10 minutes ou davantage pour me préparer, et 20 à 30 minutes de marche pour arriver [ces images ont été filmées et largement diffusées]. On parle donc de 50 à 60 minutes, soit 3 600 secondes, ils ont donc tout le temps de prendre la décision et d’armer un avion et de le lancer, et cela ne me fera pas sourciller. « Rusez donc tous contre moi et ne me donnez pas de répit. »
J’ai bien retenu depuis ma plus tendre enfance la leçon que nous a enseignée Cheikh Ahmad Yassine : « La mort sur la voie de Dieu est notre plus grande aspiration. » Et j’ai appris les propos de l’Imam Ali, que Dieu l’agrée et illumine son visage :
« Lequel des deux jours de la mort devrais-je fuir ?
Le jour où elle ne m’est pas destinée ou le jour où elle m’est destinée ? »
Car il n’y a que deux jours dans notre existence : ceux où notre mort n’est pas décrétée, et celui où elle l’est.
« Le jour où elle ne m’est pas destinée, je ne le crains pas.
[Et le jour où elle m’est destinée, toutes les mesures de prudence ne m’en sauveront pas. »]
Personne sur toute la face de la terre ne pourrait me tuer un jour où la mort n’a pas été décrétée (par Dieu) pour moi. « Aucun avertissement ne prémunit contre le destin. » Et si la mort nous est décrétée, même à mille pieds sous terre, il ne sera pas sauvé, « Et même s’ils se trouvaient dans des tours élevées » [Coran, s. 85, v. 22]
https://x.com/lecridespeuples/status/1847018056276652192
Je sais que la vie est entre les mains de Dieu le Très-Haut et l’Exalté, et leurs menaces, leurs décisions et leurs avions ne raccourciront pas ma vie d’une seule journée. Les mesures de sécurité prises par mes gardes du corps sont les exigences de leur métier, mais elles ne sauraient ajouter un seul instant au temps de vie qui m’est décrété. J’ai pleine confiance… Aujourd’hui, nous pouvons frapper Tel-Aviv quand bon nous semble, et nous sommes capables de dissuader l’ennemi. Mais je le jure par Dieu, même dans ma cellule, j’avais la conviction que nous prierons à Al-Quds libérée et purifiée, avec la grâce de Dieu le Maitre des mondes.
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Source: Lire l'article complet de Le Cri des Peuples