Classes moyennes, société de consommation, et décadence occidentale. Avec la participation involontaire d’Emmanuel Todd et Michel Clouscard par Marti MICHEL

Classes moyennes, société de consommation, et décadence occidentale. Avec la participation involontaire d’Emmanuel Todd et Michel Clouscard par Marti MICHEL

Avertissement : Michel Clouscard et Emmanuel Todd ne se sont certainement jamais rencontrés au café ni dans leurs œuvres. Il s’agit donc d’une première (risquée, mais qu’on me pardonnera sans problème vu mon amateurisme en la matière) à laquelle vous allez assister.

Petite intro scolaire.

« Travaille, consomme et ferme ta gueule », slogan phare mis à la mode par Extinction Rébellion et repris sans coup férir à chaque manif, tant le sens paraît évident.

Pourtant…évident ? Pas si évident que ça. En manif, il sonne bien, mais aujourd’hui c’est relâche jusqu’à la prochaine (samedi suivant !) : profitons-en, réfléchissons.

Qu’entendons-nous exactement par là et à qui s’adresse-t-on ? Car nous sommes, vérité de La Palisse, à la fois travailleur et consommateur : n’ayant guère le choix, le simple fait de l’ouvrir (sa gueule) nous dédouanerait-il du système ? Faut-il plutôt y voir un reproche aux travailleurs-consommateurs attablés aux terrasses de café de ne pas se joindre à nous ? A moins d’y voir la dénonciation d’une société qui ne laisse d’autres alternatives que l’aliénation au travail et le défoulement dans la consommation. Mais n’entend-il pas aussi viser ceux qui ont l’accès facile aux marchandises superflues, la classe moyenne… ce serait l’inégalité de répartition des richesses, excluant une bonne partie de la population, et l’égoïsme de classe que nous dénoncerions par là.

Et puis, au bout du bout, l’association « travailleur-consommateur » est-elle si pertinente que ça ? Dans nos sociétés occidentales, osons la caricature, ceux qui consomment les marchandises ne sont pas ceux qui les produisent : c’est sur d’autres continents qu’il faut aller les chercher.

Ainsi la « société de consommation » pointe-t-elle son nez, avec la classe moyenne dans les parages.

La classe moyenne, nous y venons.

Pour le marxiste-léniniste (version « dogmatique »), la classe moyenne est le ventre mou de la société. Sans repère propre, elle oscille entre deux pôles extrêmes : la classe dominante et le prolétariat. Elle oscille, oui, mais penchera toujours du côté du plus fort : soit vers la classe ouvrière organisée et armée d’un programme fédérateur (le socialisme), soit vers les dominants prêts à l’acheter (ils en ont les moyens) , et déterminés à tirer sur les gueux récalcitrants.

Et si la classe ouvrière venait à manquer de force pour des raisons structurelles et non plus seulement par simple faiblesse organisationnelle, ou des deux simultanément, le schéma « léniniste » est sans appel : victoire du capitalisme en rase campagne !

Ainsi s’explique que tout un courant de l’extrême gauche française voit dans la seule disparition du Parti Communiste (dont la « nouvelle » Direction « droitière » est responsable) la raison principale de l’affaiblissement ouvrier, et donc de l’urgence de sa reconstruction.

Ce que notre militant « dogmatique » ne voit pas, c’est que la classe ouvrière n’est pas seule touchée. C’est ce que montre Todd dans son livre Les luttes de classe en France au XXIème siècle (Le Seuil- 2020-) : ce ne sont pas tellement les inégalités qui explosent, c’est toute la société qui s’affaisse, tous les pans qui la composent chutent dans les mêmes proportions, et l’oligarchie dirigeante cherche son salut ailleurs. Sauf que les asiles sûrs se raréfient : l’UE, peu fiable, les EU peut-être ?

Là se situe le nœud de la crise.

Pour Todd (je me réfère au livre La défaite de l’occident, Gallimard, 2023), la classe moyenne est une question de niveau de vie social. Se situant entre les deux extrêmes, elle assure le liant d’une société. Par définition cultivée, elle est apte à amadouer le haut et à représenter le bas. Elle assure en fait la stabilité de toute démocratie libérale. Qu’il advienne qu’elle soit attaquée, et l’édifice branle sur sa base. C’est exactement ce qui arrive aujourd’hui.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, écrit-il, « le monde développé reprenait son souffle. C’est l’époque où fleurit un conformisme familial maximal, constituant le substrat du baby-boom. Cette reprise de la fécondité s’appuyait sur une répartition particulièrement nette des rôles masculins et féminins. » (1)

C’est l’époque du Plan Marshall, d’une élévation spectaculaire du niveau de vie en Europe, en France notamment, d’une classe ouvrière dont les couches supérieures accèdent au statut de classe moyenne, en fait à la classe moyenne inférieure. A tel point, dit Todd, que certains rêvent d’une classe ouvrière fusionnant avec les élites intellectuelles, formant une classe dirigeante conscientisée.

Michel Clouscard (Le capitalisme de la séduction, Delga -1981) y voit les prémisses de la société de consommation (consommation mondaine).

Clouscard balaye d’emblée un malentendu. La société de consommation, pur produit du néocapitalisme, n’est pas dans la mise à disposition du peuple, aussi abondante soit-elle, d’une production marchande, techniquement évoluée voire sophistiquée, résultant du progrès et de la recherche de pointe. C’est là une production, par sa valeur d’usage, qui contribue (ou devrait contribuer) à l’émancipation de l’humanité, de la femme en particulier.

Non : la nouveauté consistera dans le projet dément que se fixe le néocapitalisme sous l’impulsion de l’impérialisme étasunien, appuyé au départ par le Plan Marshall : façonner l’homme, son corps et ses désirs, non plus seulement pour l’exploitation de sa force de travail, le plier au mode de production capitaliste, mais pour qu’il puisse se fondre entièrement dans la marchandise mise sur le marché. S’y reconnaître corps et âme.

Ou plutôt, dans la marchandise réduite du coup à une fonction idéologique, à l’état de signe (de marqueur social, comme l’on marque le bétail).

Ce miracle a pu se matérialiser grâce à l’armée des EU : ainsi, explique-t-il, dès la Libération, les surplus militaires EU encombrant les dépôts ont fait fureur. Pas chers, des vêtements usuels , les fameux blue-jeans par exemple, au départ pantalons de travail à usage ouvrier, vont devenir mode. Un signe distinctif de la modernité, être dans le coup, dans le vent.

Clouscard paraît donc considérer que ce « capitalisme de la séduction » s’impose dès les premières années 50. On verra qu’il analyse ce néocapitalisme (qu’il assimile encore en 1981 – date de parution de son livre – au « capitalisme monopoliste d’État » alors que se répandent les recherches sur le néo libéralisme, notamment l’effacement du rôle des États dans la mondialisation), comme un terrible facteur de décomposition sociale.

Mais ce basculement social tel que le décrit Clouscard, ne triomphera qu’avec celui du néolibéralisme, bien plus tard. Datons-le de la fin des années 70 avec l’arrivée de Jimmy Carter et de Thatcher, mai 68 ayant peut-être ouvert la voie pour la France. L’élection de Mitterrand en 1981 (et son tournant vers la rigueur de 1983) permettra son envol.

Entre temps, ce sont les classes moyennes comprenant de forts contingents ouvriers qui montent en puissance et constituent le socle de ce qu’on appellera l’État Providence. Le succès gaulliste n’a pas d’autres sources. Et explique aussi les premières fractures d’importance au sein du Parti Communiste Français (scission au sein de l’UEC , Union des étudiants communistes), coincé entre la fidélité à la dictature du prolétariat et l’appel à la collaboration de classe lancé par la classe moyenne. Tiraillements (ou contradictions ) portés par l’évolution des rapports est-ouest oscillant de la guerre froide à la « coexistence pacifique », alors que ses liens avec le Kremlin restent étroits : tournée triomphale en France du premier secrétaire URSS Nikita Khrouchtchev – 1960 – reçu en grande pompe par De Gaulle… et construction du mur de Berlin en 1961 !

Si l’on ne peut calquer mécaniquement les analyses de Clouscard pour caractériser cette période des 30 glorieuses, il n’en reste pas moins qu’elle ne fut pas neutre pour ce fut du comportement psychosocial des classes.

L’embourgeoisement de la classe ouvrière a été une réalité : elle ne signifie pas pour autant qu’elle ait succombé aux sirènes de la consommation mondaine (Clouscard serait le premier à le reconnaître).

Todd dans Les luttes de classe en France présente deux versions qui ont partagé les experts.

La version optimiste : « Le développement de l’éducation secondaire et surtout supérieure dans un contexte d’enrichissement généralisé, a mené les individus à une culture post matérialiste d’épanouissement du moi. Émancipation des femmes, tolérance sexuelle, mariage pour tous, ouverture au monde extérieur et rejet des frontières : il n’est pas trop difficile de résumer l’état d’esprit dominant qui a succédé aux vieilleries que furent l’Église, le gaullisme, le PCF et la SFIO ». (2)

Sauf que, comme le soulignera Clouscard, c’est bien une SFIO reconvertie qui portera sur les fonds baptismaux la société consumériste !

La version pessimiste : L’enrichissement a poussé les contemporains a ne s’intéresser qu’à leur propre développement personnel. C’est la culture du narcissisme. Les élites perdent le sens du labeur, des hautes valeurs morales (sagesse, probité, justice…). Elles succombent à ce que des chercheurs américains appelleront « common decency » – indécence commune – alors que les couches sociales inférieures, par réaction, chercheront à s’en protéger.

Todd dégage une analyse médiane, qui me semble reprendre celle de Freud dans Malaise de la civilisation.

Les contraintes imposées par toute société provoquent un violent conflit intérieur qui ne peut être maîtrisé que par une conscience morale répressive. Un surmoi qui interdit. Provoquant névroses et psychoses. Je ne m’aventurerai pas plus loin !

Par contre, l’élévation du niveau de vie a produit « une personnalité de base dont le moi est certes libéré de beaucoup d’interdits , mais qui doit faire face à cette dure réalité que, même quand rien n’est interdit, tout n’est pas possible (…) Confronté à ces insuffisances , l’individu libéré aura tendance à sombrer dans un état de fatigue dépressive ».(3)

Bref, de la névrose collective nous passons à la dépression généralisée.

Où cela nous mène t-il ? A la conclusion suivante :

« (…) nous sommes entrés dans une phase où les gens se sont tellement habitués au taux de chômage, à la stagnation ou à la baisse des revenus qu’ils n’ont plus d’espoir que cela change. (…) Le chômage est désormais partie intégrante de nos traditions.(…) Les gens savent ce qu’ils sont, qu’ils n’iront nulle part, qu’ils n’ont pas de raison particulière de regretter de ne pas avoir une autre vie. » (4) 

Or, cette adaptation, disons, psychocollective à forte tendance capitularde, accompagne une phase avancée de décomposition sociale. Todd dresse un tableau saisissant de l’évolution des catégories socio-professionnelle entre 1990 et 2018 (5) :

Catégories socio professionnelles (en % de la popu active)

Agriculteurs exploitants : 4,5 (1990) ; 2,0 (2007) ; 1,5 (2018) ; evo : -3,0

Artisans, commerçants, chefs d’entreprises : 7,9 (1990) ; 6,6 (2007) ; 6,5 (2018) ; evo : -1,4

Cadres et professions intellectuelles sup. : 11,7 (1990) ; 13,1 (2007) ; 18,4 (2018) ; evo ; +6,7

Professions intermédiaires :20,0 (1990) ; 23,1 (2007) ; 25,7 (2018) ; evo : + 5,7

Employés :26,5 (1990) ; 28,9 (2007) ; 27,2 (2018) ; evo : -+0,7

ouvriers : 29,4 (1990) ; 25,6 (2007) ;20,4 (2018) ; evo : -9,0

En termes du nombre d’emplois industriels, ils concernaient en 1990, 20,25 % de la population active et seulement 13,6 % en 2016. Nous parlons bien ici de destruction du potentiel de création des richesses.

C’est ici que nous rejoignons Clouscard.

Le néocapitalisme (nous dirions néolibéralisme) qui se met en place s’accommode fort bien de cette désindustrialisation des pays dits avancés. Pour se développer ailleurs, à l’ombre des délocalisations. Et encourager très logiquement une société de consommation (le veau d’or-marchandise) qu’autorise une classe moyenne solvable… même si elle l’est de moins en moins.

Le premier soucis du système sera de déconnecter la marchandise de tout lien avec le travail concret qui l’a créé : le lui faire oublier. Le produit doit se présenter d’emblée comme une machine mécanisée à laquelle le consommateur se soumet : tout en lui donnant l’illusion que le fait d’actionner des boutons fait de la machine son œuvre. Toute la pub est basée là dessus : une voiture qui vous ressemble, un parfum qui révèle votre féminité ou virilité. C’est le produit qui vous humanise.

Et ceci, tout le long de notre vie : le capitalisme vous prend par la main et ne vous lâche plus.

Ainsi dès la naissance, le bébé doit subir ses premiers conditionnements : il s’agira d’entourer l’enfant de gadgets-machines à commandes adaptées pour lui, tel le mobile musical au dessus du berceau, les parents s’extasiant selon la maîtrise de l’engin automatisé par leur progéniture. Le papa bricoleur qui sculptait un jouet devant son gosse, ou l’enfant se fabriquant un chariot à roulette ou un moulin à eau que la rigole de la rue anime, ce doit être fini ! L’imagination enfantine doit se borner aux rayons des magasins Disney.

Et plus tard, ce sera la trottinette passée de mode chez l’enfant mais récupérée pour les adultes, très vite électrifiée, machinisée.

Surtout, surtout ! On peut gaspiller. C’est du jetable. La reconnaissance du travailleur (chinois ?) sans lequel l’objet n’existerait pas, est jetée avec !

Le gaspillage est une autre donnée de ce capitalisme de consommation, étape nécessaire de la dissociation travail-marchandise. C’est pourquoi le néo capitalisme se devra de combattre les vieilles idéologies des anciennes générations encore attachées aux valeurs de travail et d’économie domestique.

En fait, ce capitalisme ne fait qu’exprimer l’antagonisme originel capital-travail : sauf que maintenant, il va chercher à régler ce conflit en pulvérisant le second terme !

Clouscard donne l’exemple de la moto, que je poursuis en mode cinématographique. La moto, c’est un moyen de transport utile pour l’usager (lors d’encombrements routiers) ou simplement source de plaisir. Le motard entretient son engin, connaît sa mécanique, n’hésite pas à la démonter, et reconnaît ce faisant le travail accompli dans sa fabrication.

Comparons avec la Harley Davidson du film Easy Rider. Motos customisées à mort, tape à l’œil, à gabarit encombrant, siège bizarroïde. Le motard portera d’abord son attention sur l’enveloppe extérieure (drapeau étasunien de mise). Ainsi pourra-t-il se différencier du motard moyen, de s’identifier à la « grande » tribu Harley. Au point, que lors de rencontres entre eux, on y organise des concours de jets de moteurs japonais !

On a quitté le domaine de la valeur d’usage de l’engin pour rejoindre le consommateur mondain, celui de la société de consommation. L’exemple ici est caricatural, mais comprenons bien que le souci du neo capitalisme sera de présenter toute sa production en mettant en avant sa forte valeur ajoutée idéologique et effacer sa part humaine, le travail. Les temples de la consommation mondaine comme centre d’évasion pour tous.

Enveloppant l’individu dans l’idéologie consommatrice, il ne reste au système qu’à absorber les classes sociales elles même. Non pour les unifier, mais pour les atomiser, les fractionner. On retrouve là les analyses de Todd sur l’anomie qui frappe les sociétés occidentales.

L’individu s’identifiera à un groupe aussi informel soit-il (les gothiques, la banlieue, les punks et leurs dérivés : tatouages envahissants et piercing), et chaque groupe doit pouvoir se reconnaître, se particulariser dans la profusion de choix offerts, générant un mode de vie, des mœurs qui lui sont propres. (6)

L’arme idéologique suprême est le respect de la liberté individuelle : mais il est entendu que cette liberté est d’abord le libre accès aux nouvelles valeurs mises sur le marché. Ce sont elles qui libèrent.

Nous avons à faire à une société permissive, ludique, où rien, absolument rien n’est tabou, si ce n’est la remise en cause de la société capitaliste ! Rappelons nous Todd et l’origine de l’atmosphère dépressive ambiante : « faire face à cette dure réalité que, même quand rien n’est interdit, tout n’est pas possible ».

Bien sûr, tous les groupes ne sont pas équivalents. Les plus riches doivent donner le « la ». C’est de bonne guerre. Ainsi la mode de saison servira d’exemple avec ses défilés sélects. Mais le système visera à travers elle les couches inférieures, le prêt à porter. Détruisant la production de l’année précédente. Quitte à revenir l’année suivante.

Mais rebelote dans les domaines culturels (la fameuse rentrée littéraire).

En fait, la société de consommation s’adaptera à tous les niveaux, tous les goûts, tous les désirs (la pornographie en est partie prenante). Des beaux quartiers à la banlieue : les vêtements (quasiment des uniformes, avec griffes commerciales bien voyantes) comme la culture (industrie du rap) y sont autant de marqueurs sociaux, d’identification de groupe.

Tout sera objet de récupération. Que l’avortement et la pilule soient enfin légalisés, que les lois anti-homosexualité soient abolies, droits progressistes s’il en est, et l’idéologie du désir viendra tout de suite derrière. Le sexe érigé en liberté (révolution sexuelle mai 68). Puis la femme contre l’homme. Puis la mise en cause du sexe comme dernière étape.

Tout, sauf la mécanique essentielle du capitalisme : l’extorsion de la plus value de la force de travail. Prolongée en exploitation de type colonial dans les pays dits « d’outre-mer » (ailleurs, quelque part, qu’on n’est même plus fichus de situer sur une carte !), sur laquelle vivent, en parasite, nos économies occidentales.

La contestation du système, anticipée voire impulsée par lui-même, sera aussi occasion de nouveaux débouchés. L’enjeu est d’importance : c’est ici le territoire de la jeunesse.

Il s’agit de la détourner, comme il a été dit plus haut, des anciennes générations. Sans se priver de récupérer certaines reliques (le rétro, c’est classe) : les vinyles par exemple, marché juteux en pleine expansion (opposé au passionné collectionnant les vieux disques). Mais pour le reste, il suffira de parfaire son modelage dans les boites, à coups de rythmes assourdissants, de violentes lumières stroboscopiques, de danses tenant plus de la machine désarticulée ou des cadences infernales que de plaisir partagé. Machinisation des corps prêts à l’emploi.

Rien d’étonnant que cette société s’offre le Che ou une débauche de slogans rebelles sur ses tee-shirts. Preuve de la permissivité sociale : jouissance sans entraves et incivilités individuelles conviennent très bien.

Et pour donner un semblant de cohésion au tout (tenir coûte que coûte dans cette Babylone), une immense pharmacopée et drogues diverses, sans parler de l’alcoolisme, sont déversés dans les populations, au profit d’oligarchies criminelles internationales et de la bigpharma étasunienne. Au profit du capitalisme plus simplement.

Redonnons la parole à Todd.

La décadence occidentale, la désintégration de l’État-nation (7) sont le fruit de la disparition de toute croyance collective autour de laquelle se soude une communauté. La religion jusqu’ici jouait ce rôle. Son passage à l’état zéro laisse orphelin tout un peuple : aucune idéologie de substitution, y compris l’idéal communiste, n’a pu sérieusement la remplacer.

Encore moins l’Union Européenne officialisée en 1992 regroupant des pays qui ne sont déjà plus des Etats-nation, forcés d’adopter quand même une monnaie unique reposant sur du sable : une banque centrale indépendante sans budget européen, mais censée homogénéiser des économies disparates.

Ce que raconte Clouscard ce sont les efforts du néocapitalisme dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, pour profiter du chamboulement ambiant pour imposer son nouveau modèle.

Mais ce système, on l’a vu, ne s’inscrit pas dans une volonté unificatrice, de recomposition d’un peuple, mais bien au contraire de décomposition, de désagrégation sociale. De décervelage de masse.

Mieux : en sa finalité, cette société de consommation mondaine se dissout dans la globalisation, la mondialisation des seuls rapports d’échange où l’Etat-nation n’a plus que faire, n’existe plus.

Todd parle de règne du nihilisme. Au sens littéral du terme : une société qui en vient jusqu’à nier la réalité. Pour en reconstruire une autre, y croire et vouloir l’imposer au monde. Y compris par la guerre. Phénoménal que l’Occident puisse se penser encore aujourd’hui, en toute sincérité, et agir, contre la simple réalité objective, comme étant le centre du monde !

J’ai vécu dans une époque terrifiée par la bombe atomique : notre entourage en parlait, le cinéma l’illustrait, des partis politiques mobilisaient. Aujourd’hui où la guerre nucléaire n’a jamais été si proche, l’indifférence généralisée est de mise.

Notes :

(1) : La défaite de l’occident – page 217

(2)- Les luttes de classes en France au XXIe siècle -page 129

(3)- ibid. page 135

(4)- ibid. page 147

(5)- ibid. page 53

(6)- Todd dit la même chose sous un autre angle : « si un groupe d’individus n‘est plus soudé par une croyance de portée nationale ou universelle, s’il est anomique au sens d’atomisé, ce que l’on observe c’est un mécanisme purement local de régulation des croyances et des actes. (…) Ces individus faibles sont mus par un mécanisme de régulation mimétique interne au groupe auquel ils appartiennent (…) » (La défaite de l’occident -page 296)

(7)- Si Todd parle d’Etat-nation zéro, il ne signifie pas la disparition de l’État en tant qu’institution. Mais cet État est aussi un État zéro, impuissant à agir, brassant du vent, mais avide de Pouvoir et d’argent, miné par la corruption. Il est le dernier refuge de l’oligarchie financière et d’une Haute Fonction Publique culturellement abêtie et déconnectée du réel. Son bunker est protégé d’une arrière cour médiatique et policière. Il se survit dans ses derniers rêves de campagnes militaires et de triomphes à la César. Macron, surgi du vide, en est un parfait exemple.

Adblock test (Why?)

Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You