L’Iran dans le viseur éperdu du Camp-du-Bien
7 octobre 2024 (14H40) – Il est très difficile, aujourd’hui, de “pronostiquer” quand aura lieu une possible/probable guerre Israël-Iran ; et plus encore, en un sens, qui des deux, si guerre il y a, l’emportera.
Prenons un exemple venu de RT.com, qui est mon média interdit pour le meilleur et pour le pire. Voici l’article de Farhad Ibragimov, expert et enseignant à la Faculté des économies de l’université RUDN, correspondant associé à l’Académie des Sciences Sociales de l’Académie Présidentielle Russe d’Économie Nationale et d’Administration Publique. La question qu’il se pose, – en titre, – est exactement celle que nous nous posons :
« Y aura-t-il une grande guerre entre Israël et l’Iran ? »
C’est une analyse fort complète qui fait que plus on analyse plus on comprend l’inutilité d’analyser. La fin est assez piteuse et montre que même chez les Russes, où l’on a l’habitude parler sans mâcher les mots, – justement, dans ce cas on en mâche jusqu’à ne plus savoir qu’en faire :
« Le conflit entre l’Iran et Israël ne peut qu’attirer l’attention des puissances mondiales. Les États-Unis, qui ont toujours été du côté d’Israël, se sentiront obligés de soutenir leur “allié”. Mais à l’approche des élections présidentielles, la Maison Blanche n’est pas très enthousiaste à l’idée de se mêler des jeux politiques de Netanyahou, surtout compte tenu des sentiments mitigés de nombreux démocrates à l’égard du Premier ministre israélien. Malgré les remarques du secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin sur le soutien indéfectible des États-Unis à Israël, la réalité est plus compliquée. Si les États-Unis peuvent offrir leur aide à Israël, ils ne sont pas très enthousiastes à l’idée de “sauver” Netanyahou. Ce n’est pas une coïncidence si d’un côté, Netanyahou veut provoquer l’Iran pour qu’il s’engage dans une guerre directe, ce qui ne laisserait à Washington d’autre choix que d’intervenir, mais espère d’un autre côté que Donald Trump remportera l’élection présidentielle américaine et soutiendra Israël – un scénario qui est assez incertain. En fin de compte, on peut seulement dire que le camp qui agira avec le plus de sagesse et de cohérence sortira vainqueur de cette confrontation. »
Moi-même, qui ne mâche pas mes mots non plus, j’avoue ma perplexité. Pensez que l’on réfléchit sur ce problème, sur cette question depuis au moins 2003 pour la période puisque certains des hyper-durs des neocon aux USA avaient prévu d’enchaîner l’Iran après l’Irak.
A ce sujet, l’enchaînement créant le larron, je ne crois pas inutile de poursuivre ce coup d’œil sur le passé du bellicisme anti-iranien depuis les premières folies des premières années du XXIème siècle, pour bien montrer l’évolution de la politique belliciste anti-iranienne du bloc américaniste-occidentaliste, le rôle de chacun, le poids énorme de la méconnaissance et de l’incompétence, etc.
Dès l’origine du milieu des 1980, les neocon, alors dans leur adolescence, cherchaient déjà des adversaires post-soviétiques, alors que la ‘glasnost’ de Gorbatchev développait la liquidation de la bureaucratie soviétique jusqu’à la chute de l’URSS et du communisme. Très vite, la doctrine se développait, conduite par des hommes tels que Kristoll, Wolfowitz, Perle, etc. Leur attention se fixa sur l’Irak, que l’on offrit comme paquet-cadeau à G.W. Bush pour son élection volée (le cirque de la Floride comme Etat ultime et non dépouillé ou mal dépouillé), en lui rappelant qu’un attentat-bidon avait été ourdi par Saddam et ses amis des services occidentaux contre son père, George Senior, en 1992. Tout se passa comme sur des roulettes, via l’arrêt et la correspondance 9/11, comme chacun sait.
« Les vrais mecs... »
Mais tout le monde n’était pas satisfait de tout ni du tout. Un neocon fameux, Michael Leeden, clamait dans un article de mai 2003 qu’aller à Bagdad comme on l’avait fait, c’était bien, mais que « les vrais mecs veulent aller jusqu’à Teheran. » Trois ans plus tard, Laura Rozen écrivit à son propos, dans ‘Mother Jones’, ceci que nous reproduisîons :
« Ledeen, qui a soutenu dans de nombreux articles et interventions dans les médias que Téhéran est le principal sponsor du terrorisme islamique, fait partie d’un sous-clan de néoconservateurs pour qui l’Iran n’est pas une considération secondaire par rapport à l’Irak mais est depuis longtemps la cible principale. Depuis près d’un quart de siècle, ces partisans de la ligne dure attendent que Washington passe à l’offensive contre la République islamique. »
Ainsi, la pression des neocon pendant le deuxième mandat GW Bush s’exerça-t-elle en faveur d’une attaque contre l’Irak. La chose importante qu’il faut noter, c’est qu’il n’était nullement question d’Israël d’une façon visible, même si les neocon étaient évidemment en faveur des intérêts d’Israël. Dans ce cas, l’Europe, et la France notamment, avait abandonné une politique d’apaisement très-habile et efficace menée depuis des années par le trio Chirac-Schroeder-Poutine, pour rejoindre celle des neocon dans une manœuvre entamant la crétinisation complète de la France, ici par le bellicisme d’un Sarkozy annonçant à partir de la fin-août 2007 le virage belliciste et proaméricaniste de la France.
Le signe le plus évident de l’orientation de cette phase est géographique. La menace contre l’Iran n’était pas du Nord (Israël) vers le Sud (Iran), mais de l’Océan Indien (l’US Navy et ses porte-avions) vers l’Iran. Seuls les USA poussés par les neocons étaient engagés contre l’Iran, principalement par l’utilisation de ses porte-avions. Seule l’opposition habile et forcenée de la Navy à cette manœuvre, – illustrée par divers textes et symbolisée par la valse du « porte-avions volant » (18 juillet 2007), – anéantit complètement la manœuvre-neocon.
Donc, il n’était pas question d’Israël en première ligne ni même en force d’appoint… Tout cela se dilua complètement avec la fin du second mandat Bush et la catastrophe intérieure de la crise financière de septembre 2008.
De la gloire d’Obama…
On doit admettre que, dans la séquence suivante, celle des deux mandats Obama, le nouveau président des USA suivit une ligne constante d’apaisement pour parvenir à l’accord JCPOA sur le nucléaire iranien de 2014-2015. Les Européens, désormais cantonnés, la France en premier, dans un suivisme aveugle des USA, suivirent donc, cette fois pour une cause qui n’était pas trop mauvaise mais qui n’était pas de leur faute. Hollande avait remplacé Sarkozy selon la fameuse manœuvre “bonnet-blanc et blanc-bonnet”.
Netanyahou, déjà sur pied de guerre et qui développait une détestation considérable d’Obama, ne cessait de conchier le JCPOA. Mais il ne pouvait pas tellement plus que vitupérer à la tribune de l’ONU, étant à peine personna tout juste grata à Washington.
… A la catastrophe Trump
On sait ce qui suivit :Trump avec son ‘America First’, que chacun cherchait à s’approprier. La performance de Trump président fut pour le moins colorée, erratique, et souvent soumise aux humeurs du président dont la plus remarquable était une naïveté grandiose de nouveau-venu pétri d’un narcissisme tout aussi grandiose. S’instituant comme le maître du compromis (‘The Art of the Deal’), Trump mit en question tout ce qui n’était pas de lui, et surtout tout ce qui était d’Obama. Il n’était pas contre un accord avec l’Iran mais il fallait que ce soit “son” accord et non pas ce minable JCPOA où Obama s’était fait voler comme dans un bois. Il partit donc en campagne contre le JCPOA, jusqu’à sa liquidation.
Les neocon, qui veillaient au grain, sautèrent sur l’occasion qui faisait de la répudiation du JCPOA non pas l’annulation d’un mauvais accord pour en trouver un meilleur, mais la marque d’une déclaration de guerre à l’Iran. Cornaqué par l’inimitable Bolton (que Trump avait choisi pendant quelques mois comme conseiller à la sécurité nationale, décision absolument ébouriffante d’inculture politique satisfaite), avec Israël à nouveau à bord, naturellement selon la même vision que les neocon, Trump fut laissé complètement à la dérive et adopta par défaut cette absurde politique des faucons (marquée par l’assassinat de Soleimani) déjà happé par les pressantes affaires courantes, – sa réélection et la crise du Covid.
Voici quelques mots (le 10 mai 2018) pour résumer le climat autour de cet acte vil, stupide, contradictoire, suicidaire et absurde de Donald Trump abandonnant le JCPOA :
« Le sujet est bien entendu la décision de Trump de sortir du traité nucléaire de 2015 avec l’Iran. Cette décision équivaut en importance à son élection : elle est, en bouleversement sismique, la réplique comme évènement de pseudo-politique étrangère, de son élection comme évènement de pseudo-politique intérieure. L’ancien directeur de l’OMB, alors jeune prodige désigné comme ministre du budget de Reagan David Stockman, résume l’étrange performance du président qui se révèle dans cet instant plus américaniste-Système déclenchant le pire que tous ses prédécesseurs après s’être cru citoyen et Américain à la fois, pour justifier son élection :
» “L’acte de The-Donald de réduire en cendres le traité nucléaire iranien marque le sinistre triomphe complet du Parti de la Guerre. Il ne reste plus rien de America First. L'action irresponsable, injustifiée et totalement irrationnelle de Trump entraînera Washington encore plus profondément dans un vortex incendiaire au Moyen-Orient de conflits politiques et religieux sans le moindre rapport avec la sûreté et la sécurité du peuple américain.”
» … Et pour confirmation, ceci : “Trump a déstabilisé le monde par cet acte. La Russie le considérera comme plus dangereux. […] Les stratèges russes vont réévaluer leur posture nucléaire, estimant plus grande la possibilité d’une première frappe stratégique des USA. La Chine sera plus déterminée que jamais à renforcer sa puissance militaire et son alliance avec la Russie.” (De Michael S. Rozeff, historien libertarien.)
» La crise iranienne ouvre une nouvelle phase dans l’empilement des crises qui s’amoncellent depuis quinze ans, elle imprime une nouvelle accélération au tourbillon crisique, renforce le désordre, approfondit le trou noir où l’effondrement nous conduit. Les esprits tentent de réunir ce qu’il leur reste de raison raisonnable pour décrire cet acte sans précédent de simulacre politique avec les innombrables questions qu’il crée et entraîne derrière lui dans une valse folle. Cela est résumé par Daniel McAdams, complice habituel des dialogues avec le vieux et avisé Ron Paul, qui nous donne un aperçu de cette façon d’apprécier l’événement, tragédie-bouffe au-delà de tout ce qui a été fait jusqu’ici :
» “La déclaration du président Trump sur le retrait des États-Unis de l'accord nucléaire iranien croule sous tant de mensonges et d’affirmations faussaires qu'il semblerait presque que les neocons qui l'ont inspirée [sinon rédigée] ont voulu le ridiculiser. L'affirmation selon laquelle l'Iran est allié à al-Qaïda est si fausse et effrontée qu'elle rivalise avec les plus formidables mensonges et simulacres édifiés par les USA pour justifier la désastreuse guerre en Irak. Donc, les États-Unis sont sortis du traité… que va-t-il se passer ? Que vont faire les Européens? Comment les Américains vont-ils réagir à la perte de 100 000 emplois de Boeing en raison de l'annulation d'un contrat de transport de passagers avec l'Iran?… [Etcetera…]”. »
« En attendant Godot »
A partir de là, l’Amérique, embourbé dans ses folies intérieures et ses marigots de haine autour de l’événement-Woke, devient complètement irresponsable, impuissante et paralysée, et paradoxalement un acteur secondaire du jeu, tout juste capable de cracher du désordre là où un semblant d’ordre pourrait être rétabli, et bientôt en pleine idylle avec le comédien-simulacre Zelenski. La première place de la politique face à l’Iran est alors triomphalement assumée par la Grande Sagesse humanitaire de Netanyahou et de la « charge de la brigade biblique ».
Nous en sommes là, angoissés par cette question : “Quand et comment Israël va-t-il riposter”. Sans doute l’état-major israélien lui-même se pose cette question car il apparaît de plus en plus clairement que les Russes se sont sérieusement engagés auprès de l’Iran, et alors la partie devient bien différente.
On sait qu’il y a eu et qu’il y a des entretiens incessants avec diverses délégations du gouvernement russe en visite à Teheran et qu’un accord de “partenariat stratégique” achève d’être mis au point. On sait également que des livraisons importantes de matériels de combat avancés, – surtout des missiles sol-air et tout leur environnement, – ont été livrés à l’Iran. On sait enfin que des instructeurs russes sont au travail pour mettre à niveau des nouveaux équipements le personnel iranien. Enfin, on apprend, notamment selon une indication du colonel Wilkerson qui a déjà fait parler de lui, que les Russes envoient aussi du personnel pour participer directement aux combats éventuels, que ce soit contre les Israéliens ou les US :
« J’ai appris de sources fiables que les Russes ont envoyé un certain nombre de pilotes en Iran et que les avions [de modèles très avancés] suivront… Ces pilotes ont reçu comme instructions de piloter ces avions pour s'opposer à toute frappe israélienne… »
Toutes ces agitations expliquent peut-être l’hésitation israélienne, jusqu’à maintenant, d’une riposte. Il est de plus en plus manifeste qu’une telle action risque de provoquer l’entrée en jeu d’autres acteurs, donnant une dimension complètement inédite et hors de contrôle de l’affrontement.
Ainsi peut-on mesurer, au travers de ce conflit qui nous a si souvent joué ‘En attendant Godot’, l’extraordinaire basculement des puissances dans les vingt dernières années :
• L’Iran, puissance au départ secondaire en ce qui concerne les ressources technologiques et industrielles propres, est devenu une puissance régionale à part entière et de tout premier ordre, – malgré les innombrables sanctions dont il est accablé ;
• Israël, puissance dominatrice de la région sans avoir à trop risquer de la démonstration de cette puissance, est emportée dans un vertige qui tend à l’isoler complètement en même temps que s’accroissent les divisions intérieures au point de mettre en cause l’existence de ce pays ;
• Les USA sont passés de l’état de complet meneur de jeu à l’état d’une puissance énorme et épuisée, plus de graisse que de nerfs, sans réelle volonté, emportée dans des conflits absurdes qui achèvent de précipiter son déclin ;
• La Russie, d’une position d’extrême faiblesse et de quasi-inexistence, est passée à une position de grande puissance, dont la force militaire ne cesse de se déployer sur les champs sauvages d’Ukraine et qui n’hésite plus à intervenir là où ses intérêts lui commandent d’agir.
Ainsi est-il temps, pour la nième fois mais cette fois avec toutes les cartes en main, de rappeler cette prophétie d’un leader néo-sécessionniste du Vermont, tel que l’avait recueilli Chis Hedges en 2010 :
« “Il y a trois ou quatre scénarios possibles qui pourraient voir s’effondrer l’empire”, a déclaré Naylor. “L’un d’eux est une guerre avec l’Iran”. »
Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org