L’auteur est artiste pour la paix
Dimanche soir 29 septembre, en direct à la Maison du cinéma de Sherbrooke, le sourire de Maryse Legagneur, musicothérapeute et réalisatrice de cinéma, s’illumina par la nouvelle de son portable que Le dernier repas venait de remporter Le Grand Prix du Jury du Festival montréalais des Films Black, comme il avait remporté deux semaines plus tôt la compétition du Festival de cinéma de la ville de Québec (Quebecor): à prévoir, donc, de nombreuses autres récompenses, puisque ce chef d’œuvre québécois entreprend tout juste sa carrière.
Il raconte la fin de vie de Célestin, héros déchu joué et par Fabrice Yvanoff Sénat dans les nombreux flashbacks de sa jeunesse haïtienne, et par Gilbert Laumord à l’intense présence agonisante dans un hôpital de Montréal; il se meurt sous nos yeux, non sans avoir goûté plusieurs plats haïtiens préparés par sa fille Vanessa qui s’était pourtant séparée de lui très jeune, victime en ricochet d’une partie de la violence subie en Haïti. Rassurez-vous : ces plats ne contenaient ni chien ni chat, tel que colporté honteusement et frauduleusement par le sinistre duo Trump-Vance, afin de gagner des votes américains anti-immigrants.
Préparés sous nos yeux par la tante qui en veut au vieil homme d’avoir détruit sa sœur (la mère de Vanessa), les plats alléchants – pour lesquels on distribue au cinéma des recettes en fiches colorées -, forment un lien filial miraculeusement restitué au père, sommé d’enfin délier sa langue sur son passé; or on sait, depuis la madeleine de Proust, combien les saveurs déterrent des souvenirs enfouis. Musicien mis en prison et condamné à mort parce qu’il avait omis de faire jouer à la radio l’hymne au père Duvalier de la nation, le jeune dessine à la craie sur un mur de sa prison des touches de piano sur lesquelles il s’exerce, vulnérable. La musicienne Maryse Legagneur sait utiliser l’imaginative bande sonore de Jenny Salgado, qui amalgame les images fabuleuses de Mathieu Laverdière en un tout qui reste cohérent et tendu, malgré les nombreux allers-retours dans le passé. Le calvaire des prisonniers est suggéré par le Libera du Requiem de Gabriel Fauré dans un arrangement feutré qui convient parfaitement à l’atmosphère voulue, par le pianiste Émile Naumoff. Heureusement, ce musicien est bulgare et non pas russe, puisqu’on a vu dans le film italien L’Enlèvement de Marco Bellochio, sur le rapt d’un enfant juif ignoblement enlevé à sa famille par le pape Pie IX, la symphonie expressionniste principale carrément censurée dans les critiques, entrevues et même crédits du film, parce qu’elle est du russe Dimitri Shostakovitch et sans doute interprétée par Valery Gergiev, du Mariinsky de St-Pétersbourg.
Violent par l’authenticité qui dicte à la réalisatrice de respecter des témoignages recueillis pendant des années, le dernier repas s’adoucit grâce à la présence de deux femmes, dont l’héroïne principale, interprétée avec beaucoup de nuances par Marie-Évelyne Lessard et sa tati personnifiée par la non moins excellente Mireille Métellus. Tous les visages éprouvés des acteurs, cadrés de très près, certains recrutés dans la diaspora haïtienne persécutée en République dominicaine, nécessitent une interprétation de rare qualité par ces comédiens plongés dans des huis-clos angoissants de chambre d’hôpital, de cuisine intime ou de geôle surpeuplée au sinistre Fort-Dimanche reconstitué. On reste néanmoins frappés par l’aspect documentaire de l’œuvre, aidé par plusieurs dialogues en créole, sans paysage de mer ni végétations tropicales, à part un immense quennetier inquiétant dans sa solennité, car on enterre des prisonniers parmi ses racines. Mon fils et moi fûmes aussi impressionnés que la salle, réservant un silence respectueux au générique puis éclatant en ovation debout.
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