Lors de la rencontre avec la femme de théâtre Julie Vincent (comédienne, metteure en scène, codirectrice de la compagnie Singulier Pluriel, autrice, pédagogue), celle-ci m’a dévoilée que son périple dans Alice &. Gertrude, Natalie & Renée et ce cher Ernest de Jovette Marchessault s’est déroulé à une époque qui fut un « segment important de sa vie ».
Michelle Rossignol, la metteure en scène, « a détecté autant fêlures que les forces » des interprètes pour leurs rôles respectifs. « Louise Marleau (Nathalie Barney) était d’une justesse incroyable. Je me remémore le cheminement rigoureux de Monique Mercure pour trouver la force et la fougue de Gertrude Stein par le corps. »
Julie Vincent établit un certain parallèle entre les personnalités rassembleuses de Rossignol et Gertrude Stein. Cette dernière, écrivain états-unienne exilée en France, a été « l’épicentre de toute une génération d’artistes. La notoriété de Pablo Picasso aurait été tout autre sans elle. (Tout comme Ernest Hemingway, qui dans la réalité, n’a jamais reconnu l’influence qu’elle a eue pour sa carrière, contrairement à la pièce.)
Quand Michelle Rossignol a monté Marchesault, ce fut un épicentre avec différentes générations d’actrices (et d’un acteur). Je fus amusée et nourrie par de telles rencontres. Jovette (qui apportait des confitures à l’équipe) a témoigné pour moi d’une tendresse réelle. Elle m’a remercié chaleureusement (avec une ferveur sororale) pour avoir participé à Mourir à tue-tête» (film coup-de-poing sur le viol réalisé par Anne-Claire Poirier sorti en 1979 dans lequel elle incarnait le rôle principal).
Contre « les légendes noires »
L’œuvre de Marchessault, « empreinte d’humour et d’ironie » constitue un rempart contre la tentation toujours actuelle de faire l’apologie du féminin et des figures marquantes au cours des siècles comme « légendes noires » (personnes méprisées, infériorisées ou contestées dans l’histoire).
La perception Renée Vivien (morte d’une overdose d’alcool à 32 ans), que Julie Vincent a incarnée, a évolué favorablement depuis. « On la réétudie. » La poétesse est de plus en plus perçue comme « une inspiratrice pour des autrices-auteurs, comme une érudite qui a réfléchi à la littérature ».
Par ailleurs, Vincent redécouvre ces jours-ci la vie et l’œuvre de Gertude Stein,
L’intérêt renouvelé pour les réalisations de Jovette Marchessault la réjouit également. Deux femmes qui ont écrit des doctorats sur l’autrice de La Saga des poules mouillées disent « s’autoriser (plus librement) leur lesbianisme. Il y a de la subversion dans la langue de la dramaturge. »
Dans son solo La Chair de Julia (dont le texte devrait être publié prochainement à la Pleine Lune, maison d’édition qui avait lancé dans les années 1980 cinq titres de Marchessault), la femme de théâtre mentionne Alice &. Gertrude, Natalie & Renée et ce cher Ernest. « J’ai interprété en ligne sept rôles de jeunes filles qui se suicident. Si je dirigeais la pièce maintenant, j’accorderais davantage d’importance à une Renée Vivien non-victimaire, dotée d’une vivacité et d’une force poétique incroyable. »
Cosmogonie toujours vibrante
En janvier 2014, Julie Vincent a eu le bonheur de replonger dans les mots de la dramaturge lors de la série Théâtre à relier (qui malheureusement n’existe plus), orchestrée par le Centre des auteurs dramatiques (CEAD) avec Sarah Berthiaume et Jean-François Nadeau, sous la direction de Gaétan Paré. Cet événement a permis de réentendre certaines scènes des œuvres scéniques de l’autrice.
« Jovette Marchessault est un continent, une cosmogonie, un astre qui éclaire tout autrement. Un privilège ces jours-ci pour moi retrouver ses textes, des textes trop forts. On voudrait s’y plonger toute une année, toute une vie », avait-elle confié é à l’époque.
Elle évoque l’émotion ressentie par l’échange (extrait lu lors de cette soirée en 2014) entre l’auteur Maurice Sachs et l’écrivaine Violette Leduc dans La Terre est trop courte, Violette Leduc. « Cela m’a sciée en deux. Violette Leduc est un personnage qui m’a écorchée. »
Julie Vincent exprime une admiration similaire pour ses autres rencontres avec son univers. « Pol Pelletier était d’une telle puissance dans Les Vaches de nuit. » Reconnue surtout pour son journal intime, l’autrice Anaïs Nin, protagoniste d’Alice, dans la queue de la comète a eu une influence majeure sur d’innombrables femmes. « Elle nous a énormément aidés à nous épanouir autant sexuellement qu’intellectuellement. »
Lors du décès de Marchessault, en décembre 2012, la comédienne Andrée Lachapelle, qui a interprété Nin dans cette pièce créée à l’automne 1985 au Théâtre de Quat’sous, témoignait que rôle demeurait l’une de ses plus belles expériences de théâtre.
La pédagogue en Julie Vincent revendique l’importance de la transmission. La charge anticléricale de l’autrice de Chronique lesbienne du moyen-âge québécois (tiré du Triptyque lesbien, réédité aux Presses de l’Université Montréal) résonne encore et toujours. « Jovette a fait éclater le clergé, elle y a mis la hache de guerre avec une telle jouissance. Nous avons besoin de sa parole. »
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