Chapitre 1. Ils sont des milliers de gendarmes à avoir rejoint un groupe Facebook privé où ils peuvent exprimer leur mal-être au travail et échanger des conseils pour démissionner.
La gendarmerie nationale compte 101 527 personnels d’active en 2024. (©RT/Enquêtes d’actu)
Par Valentin Lebossé Publié le 24 sept. 2024 à 14h44
Ce qu’il faut savoirMis à jour le 24/09/2024
La gendarmerie aurait enregistré plus de 15 000 départs en 2022, un « record » selon la Cour des comptes. Le résultat d’une vague de démissions sans précédent ? C’est l’interrogation à laquelle répond notre enquête en deux parties.
Sur Facebook, un groupe privé nommé « GIE : Côté démission », a vu le jour en janvier 2024. Il compte près de 22 000 membres. Nous avons pu suivre leurs échanges durant plusieurs mois.
Dégradation des conditions de travail, manque de considération de la hiérarchie envers la base, accumulation de réformes controversées… Les facteurs de mécontentement pouvant pousser au départ sont nombreux.
« L’institution a tellement changé que je ne la reconnais plus. » C’est avec « un goût amer dans la bouche » que François* a quitté la gendarmerie au 1er juin 2024. « J’aurais dû aller au moins jusqu’à mes 50 ans mais la force m’a manquée », explique l’ex-adjudant aux 27 ans de services, dans une publication likée par 300 membres du groupe Facebook privé « GIE : Côté démission ».
Dégradation des conditions de travail, manque de considération de la hiérarchie envers la base, accumulation de réformes controversées… Les échanges qu’Enquêtes d’actu a pu consulter durant plusieurs mois, révèlent un malaise dont nous avons voulu mesurer l’ampleur.
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Une tâche pas si aisée, statut militaire oblige. La plupart des gendarmes ayant publié sur le groupe Facebook et que nous avons cherché à joindre, ont décliné nos demandes d’entretien. Sans doute par crainte d’enfreindre leur devoir de réserve et de se voir sanctionné.
Démissions dans la gendarmerie : un groupe Facebook de 22 000 membres
Créé en janvier 2024, GIE : Côté démission est un groupe privé comptant près de 22 000 inscrits. L’équivalent d’un cinquième des effectifs d’active de la gendarmerie. Son administratrice, qui se présente sous le pseudonyme « Ladie Fox », a voulu « créer un groupe d’échange sur le sujet de la démission », après « une menace de suicide » sur un autre groupe de gendarmes – « GIE : côté filles » – dont elle s’occupe. Avec cette idée qu’« il vaut mieux changer de vie plutôt que de la perdre », livre-t-elle à Enquêtes d’actu.
Notre source ne s’attendait pas à une telle affluence en l’espace de quelques semaines. « Ce groupe a du succès parce qu’il protège ses membres : ils peuvent y publier anonymement pour exprimer leur mal-être et s’informer concrètement sur un retour à la vie civile auprès de ceux qui se sont déjà reconvertis. »
Symbole de GIE : Côté démission, cet écusson s’est vendu à plus de 1 500 exemplaires. Une partie de la recette a été reversée à la Fondation Maison de la Gendarmerie qui s’occupe des veuves et orphelins de gendarmes. (©Image partagée sur le groupe Facebook GIE : Côté démission)
« Ce groupe fait du bien au moral, tu te sens moins seul dans tes pensées », témoigne Pierre*. La trentaine bien tassée, ce gendarme mobile (spécialisé dans le maintien de l’ordre) a commencé, « depuis un an », à « chercher un boulot dans le civil ». Cela pour éviter une mutation en gendarmerie départementale qui pourrait le conduire à plusieurs centaines de kilomètres de son domicile alors qu’avec sa femme, ils ont un enfant en bas âge et ont acheté une maison.
Brigades en « souffrance »
C’est dans les brigades que la « souffrance » est la plus perceptible, selon un sondage interne à GIE : Côté démission. Chargées de la surveillance de jour comme de nuit d’une ou de plusieurs communes ainsi que de l’accueil du public, les brigades constituent l’unité de base de la gendarmerie dans son maillage du territoire national.
Leurs effectifs varient (de deux à une cinquantaine de personnels) ; elles peuvent être autonomes (au nombre de 750) ou, pour les plus petites, réunies au sein des communautés de brigades (COB) – on en compte un millier comprenant 2 350 brigades de proximité, rapporte dans un article le sociologue spécialiste de la gendarmerie, François Dieu.
Auteur d’un post Facebook particulièrement remarqué sur GIE : Côté démission, l’ex-adjudant François a travaillé une vingtaine d’années « en milieu rural », dans des brigades autonomes et communautés de brigades. Il a quitté la gendarmerie « avec presque dix ans d’avance sur une carrière complète », pour se reconvertir dans le civil. « Je gagnais très bien ma vie en gendarmerie, donc ce n’est pas le salaire qui m’a fait partir. Ce sont les conditions de travail, le manque d’effectifs, l’augmentation de l’activité », explique-t-il.
Pour lui, « les choses ont vraiment changé sous la présidence Sarkozy, avec la fermeture de 175 brigades ». Résultat, moins de gendarmes pour gérer des secteurs plus étendus. Et des hommes parfois mis à rude épreuve. « L’an dernier, ma plus grosse journée de travail a duré 21 heures, relate François. Ce jour-là, une rave party avait mobilisé presque tous les effectifs. Nous n’étions plus que quelques-uns pour couvrir un tiers du département. »
Le DGE, « un point de rupture entre la hiérarchie et la base »
Autre réforme dans son collimateur : le dispositif de gestion des événements (DGE), lancé en 2020. Grâce à un algorithme qui analyse les données issues des interventions passées, le DGE est censé aider le commandement à « optimiser le nombre de patrouilles ‘sur roue’ nécessaire à la gestion des interventions […], tout en limitant les astreintes au strict nécessaire », explique le ministère de l’Intérieur sur son site internet.
« On a pris deux gendarmes par-ci, deux gendarmes par-là, pour créer des patrouilles censées gérer tous les événements sur, en gros, un demi-département, reprend François. Sauf qu’on n’était pas assez nombreux pour cela. À prendre des effectifs dans chaque brigade, on s’est tous retrouvés avec six mois de retard dans nos procédures courantes ! »
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« Pour avoir suivi une patrouille de ce dispositif un soir, ce n’est vraiment pas quelque chose qui suscite l’enthousiasme des troupes », abonde Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).
Le sociologue y voit même « un point de rupture entre la hiérarchie et la base ; c’est très net dans les entretiens que j’ai pu mener. Pour la base, c’est une charge inutile par rapport au système d’astreinte : ‘On se retrouve sur le terrain de nuit, il ne se passe pas grand-chose et ça perturbe notre rythme.’ En revanche, pour la hiérarchie, c’est une manière d’occuper la voie publique 24 heures sur 24, ça fait partie d’une réponse à des objectifs gouvernementaux ».
« Beaucoup de transformations qui créent de l’instabilité »
« Pas gérable » selon l’ex-adjudant François, le DGE a été remplacé dans son département par la mutualisation des astreintes de nuit : « De 19 heures à 8 heures, le personnel d’astreinte gère toutes les interventions dans sa brigade mais aussi dans la brigade d’à-côté. » Soit un secteur d’intervention qui double en taille et triple en population : « Pour ma communauté de brigades, on passait de 8 500 habitants sur environ 420 km² le jour, à 24 000 habitants sur 850 km² la nuit. »
Conséquence, François et ses collègues étaient réveillés plus souvent la nuit. « Vous n’arrêtez pas de faire des allers-retours, avec des temps de trajet disproportionnés. On manque de sommeil et avec l’âge, la récupération physique est de plus en plus longue. »
Source : Actu.fr
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